Naissance de la Polyphonie - De La Polyphonie -Troubadours et Trouvères
En matière musicale, deux grandes innovations ouvrent le Bas-Moyen-âge. L’une porte sur la notation, l’autre sur la pratique.
Dès le VIIIème siècle, les moines de St Gall, le grand centre culturel carolingien, utilisaient la portée avec ses notes (neumes). D’abord d’une ligne, puis de deux, puis de trois, le moine bénédictin,Guido d’Arezzo (992-1033/60) rajouta à la portée une quatrième ligne et eut l’ingéniosité de faire correspondre ses quatre lignes aux quatre doigts de la main gauche, face paume. Ce que l’on a appelé ‘’la main guidonienne’’ ou ‘’main musicale’’ dont jointures et phalanges servent à placer les notes que l’élève doit mémoriser et chanter.
Guido inscrivit au début de chaque ligne de cette porté à quatre lignes un signe qui indique l’intonation du morceau. Il a choisi comme signe le ‘G’ grec, gamma, pour qu’il ne soit pas confondu avec les lettres de l’alphabet latin qui désignaient les notes (A pour la etc.). Mais en même temps, il a changé la notation par lettre par la notation que nous connaissons encore aujourd’hui : ut, ré, m, fa, sol, la, si qui correspondent aux premières syllabes de chaque vers de l’hymne à Saint-Jean-Baptiste.
L’autre grande nouveauté apportait par le Bas Moyen-âge à la musique occidentale sera la Polyphonie. Alors que la musique sacrée dite savante du Haut Moyen-âge consistait en un plain-chant monodique, le Bas Moyen-âge verra l’apparition d’une musique écrite pour deux puis plusieurs voix. Les premières traces d’une organisation polyphonique apparaissent au IXème siècle dans le Divinasione naturae de Jean Scot Origène datant de 875, et dans un traité de théorie musicale du même siècle, Musica enchiriadis, attribué mais pas de lui, au poète-compositeur de la cour de Charles le Chauve, Hucbald de Saint Amand[1] qui « doit, paradoxalement, sa réputation comme théoricien à des œuvres qui se sont révélées ne pas être de lui, : Musica Enchiriadis, Scolica Enchiriadis, Alia Musica, Commemoratio brevis de tonis…
En revanche, le seul traité que la critique reconnaît désormais comme authentique, De Musica (antérieurement De Harmonica Institutione), était généralement tenu pour peu d'importance. Ce traité [vers 880] contient des renseignements précieux sur la classification des notes, des intervalles, des consonances, des tétracordes et des modes ecclésiastiques (modi, toni, tropi) et représente la première tentative de concilier la doctrine de Boèce, essentiellement tourné vers l'Antiquité, avec la musique liturgique de l'époque carolingienne encore en voie de constitution[2] ».
Au siècle suivant d’autres codex, à Fleury, à Chartres, à Winchester, montrent que l’écriture polyphonique tend à s’affirmer. Mais il faudra attendre le XIIème siècle et l’École de Limoges pour que sa pratique courante soit avérée. Cette école représente la première période de la polyphonie. Le style qu’elle a adopté est appelé le Style Martial. Il se développera de 1100 à 1160.
« L’étape qui suit le chant grégorien est représentée par l’École d’Aquitaine, dite encore École de Saint-Martial, car l’abbaye de Saint-Martial de Limoges fut le grand centre musical de son époque et son influence rayonnait sur toute la région aquitaine. Du fait de sa position sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, elle constituait en outre un point de rencontre privilégié. Les œuvres que l’on définit du ‘style de Saint-Martial’ datent de la fin du XIème siècle et de la 1ère moitié du XIIème siècle, c’est-à-dire en pleine époque de l’architecture romane » (Christian Ricordeau http://www.quatuor.org/ musique02.htm)
Dans sa forme originelle, de la fin du Xème siècle au XIIème siècle, la polyphonie consiste au simple ajout d’une voix dite organale (organum) à la voix monodique du plain-chant liturgique. Cette seconde voix, ajoutée à la voix de teneur (qui donnera ténor), a d’abord été plus grave, à la quinte puis à la quarte. Pour des raisons de dissonance, la voix organale ne pourra pas suivre fidèlement à la quinte la voix prinipale. Des modification devront lui être apportée, ce qui sera le début véritable de la polyphonie par acquisition de l’indépendance des voix. L’ajout d’autres voix, elles aussi en interdépendance mais libres, permettra par le contre-point à la polyphonie de développer de manière de plus en plus complexe toutes ses possibilités musicales, l’ornementation tenant une part de plus en plus large.
Si la polyphonie est cette organisation qui permet de chanter ensemble à plusieurs voix sur les textes fixés de la liturgie, pour autant, les ‘interprétations’ (improvisations) polyphoniques à partir de ces textes établis ne sont pas fixées et varieront d’une église à l’autre, d’une schola cantorum (école musicale) à une autre.
La forme musicale polyphonique basique, originelle, appelée l’organum va assez rapidement évoluée et vont apparaître le conduit organisé sur des textes paraliturgiques et le déchant pour lequel la seconde voix chante à l’inverse de la voix principale (Voir Formes Musicales).
Du point de vue de l’écriture, les manuscrits et traités n’avaient jusqu’alors présentés que des exemples de notations rudimentaires en ce qui concerne la hauteur des sons et le rythme. Nous devons à l’École d’Aquitaine de nous avoir léguer entre la fin du XIème siècle et le début du XIIème, la première composition écrite polyphonique, In omnibus requiem quaesivi (Partout, j’ai cherché le repos, Ecclésiaste 24, 7-12 (non 11-13)). L’organum à partir de cette époque ne sera plus improvisé mais écrit au préalable.
Voir Littérature/ Poésie Courtoise
[1] Selon Wilfrid de Nancey, il s’agirait d’un pseudonyme qui cacherait Ogier de Laon (http://compagnonsdevalerien.over-blog.com/article-la-musique-aux-xiie-xiiie-siecles-38273715.html).
[2] Yves Chartier, Professeur d'histoire de la musique à l'Université d'Ottawa : Documents pour servir à l'histoire de la théorie musicale. Ambiguités de la notation musicale au IXe siècle : Hucbald de Saint-Amand (v. 850-930), Musica (v. 880).
École d'Aquitaine - École de Notre-Dame de Paris - Ars Antiqua - Ars Nova - Ars Subtilior - École Franco-Flamande
Roger de Chabannes, moine chantre à l’Abbaye de St Martial de Limoges mort en 1025 et son neveu Adémar mort en 1034 sont deux représentants éminents de cette école. Adémar sera un propagateur du Mouvement de la Paix de Dieu, mouvement apparu dans les dernières décennies du Xème siècle, dont les adeptes se placent sous la protection de Saint Léonard, de Saint Front et de Saint Martial et tendent ardemment à retrouver la vie des temps apostoliques (Voir Introduction Générale).
Si la polyphonie n’est en usage que pour la musique sacrée, pour autant, l’activité de l’École de Limoges ne s’y est pas limitée. Sa création est aussi poétique avec ses troubadours. Quand le mouvement des troubadours débute dans le Limousin, à la même époque se développe le Style Martial.
« Jean Cotton d’Affligem abandonne l’organum strict et définit vers 1100 dans le De Musica Cum Tonario deux nouveaux procédés :
C’est cet organum dit « libre » que pratiquera l’École Saint Martial de Limoges. De la fin du XIème au milieu du XIIème, son rayonnement s’étend sur toute la région Aquitaine. Elle est [aussi] renommée pour ses troubadours et sa poésie lyrique latine ».(Wilfrid de Nancey op. cit.)
On doit également à J. Cotton la rédaction d’un cycle de récits hagiographiques sur le saint thaumaturge, notamment la Vita Proxilior traçant la mission évangéliste de St Martial.
L’École d’Aquitaine fera sentir son influence jusqu’au milieu du XIIIème siècle. Le Style Martial sera adopté en Angleterre et en Espagne du Nord où fut écrit en 1140 le Codex Calixtinus de St Jacques de Compostelle, qui contient entre autres le premier organum à trois voix. L’École de Notre-Dame de Paris lui fait suite.
École Notre-Dame de Paris: La Musique Gothique 1170-1250
La première grande figure de cette école est Maître Léonin (1150?/1180? -1210 ?). Il n’est connu qu’indirectement par un traité anglais datant de 1275 dans lequel il est présenté comme l’auteur, vers 1180, du premier recueil complet de polyphonie écrit sur le mode de l’organum, le Magnus liber organide gradali, et antiphonario pro servitio divino multiplicando, qu’abrégea Pérotin, son successeur à la tête de l’école près avoir été son disciple.
Léonin est souvent classé comme faisant parti de l’Ars Antiqua, comme l’école du XIVème siècle Ars Nova désignait tout l’art musical l’ayant précédé. Mais plus précisément, les historiens font commencer l’Ars Antiqua à partir de 1250, à la suite de l’École de ND de Paris (1250-1320).
L’influence de l’antiquité aux travers des auteurs grecs et latins étudiés à l’université (statuts royaux de 1215) se fait déjà sentir au point que l’on parle pour cette période de Renaissance, placée entre celle de Charlemagne à Aix la Chapelle et celle du courant humaniste du XVIème siècle.
De manière historique, on distingue deux périodes antithétiques :
Au cours de la première période dite de l’organum, Pérotin introduit une troisième voix (voir ci-dessus Codex St Jacques) voire une quatrième à l’organum purum à deux voix. L’organum pur (organum purum) va évoluer selon trois formes différentes. : le conduit, l’organum fleuri et le déchant[1].
Le conduit tire son originalité du fait qu’il utilise des paroles profanes et non plus sacrée.
La nouveauté de l’organum fleuri tient au fait que la voix organale -qui donnera la voix de soprano- passée au-dessus de la voix principale -que l’on appelle alors le cantus firmus- chante des notes de durées plus courtes, ce qui lui donne la possibilité d’orner son chant de vocalises. Quand plusieurs notes ‘occupent’ une seule syllabe, on parle de ‘mélisme’. Ces vocalises, véritables guirlandes de notes qui semblent entourer la voix principale, donnent à l’organum le qualificatif de fleuri[2].
Mais cette voix supérieure peut aussi s’astreindre en opposition au mode ‘fleuri’ à une simplification en ce sens qu’elle va répondre note par note à la (voix de) teneur, et de plus va se développer en sens contraire : quand l’une monte l’autre descend.
La stricte observance de note par note est rompue puisqu’à la note-syllabe du ténor (vox principalis), la voix supérieure (duplum) ou les voix supérieures (triplum, quadruplum) répondront par une ornementation vocale de plusieurs notes (neumes). Plus de liberté dans l’improvisation sera donnée aux voix organales du dessus. De plus, les écarts de voix ne seront plus uniquement à la quinte et à la quarte (ce qui avait amené aux premières modifications) mais apparaissent à la tierce et à la sixte.
L’historien R. Huyghe, a rapproché cette efflorescence vocale au Style Gothique Rayonnant en architecture.
La seconde période dite du Motet, est définie comme une « mise en polyphonie du plain-chant, comprenant des paroles nouvelles aux voix supérieures » (M.C Beltrando Patier, opus cité). Elle installe de manière définitive cette forme dans la musique savante. En réaction aux effloraisons de la période précédente qui se libérait radicalement du plain-chant, la période du motet revient à plus de retenue dans l’expression et à plus de réflexion dans l’écriture. Et surtout, elles donnent des paroles aux voies supérieure. La voix de teneur peut alors être musicale et non plus chantée.
Les principales sources musicales de l’École de Notre Dame de Paris sont les deux Manuscrits Wolfenbüttel, celui de Florence et celui de Madrid.
Au XIVème siècle, les musiciens de la nouvelle école désigneront par Ars Antiqua l’art musical ancien du XIème au XIIIème siècle. Ultérieurement, une distinction sera faite entre l’École Ars Antiqua (1240-1320) et les deux écoles antérieures, l’École d’Aquitaine du Style Martial (ca.1000-1160) et l’École de Notre-Dame de Paris (1170-1250).
L’Ars Antiqua était assimilé à l’art ancien en ce qu’il continuait d’utiliser les mêmes formes en usage depuis deux siècles. Les musicologues associent généralement la seconde période de l’École de Notre-Dame à celle de l’Ars Antiqua couvrant le XIIIème siècle en reprenant la classification de l’Ars Nova. Mais pour autant, les musiciens arsantiquites tout en affirmant et structurant les formes acquises par Notre-Dame, n’en ont pas moins été innovants par rapport à leurs devanciers de Notre-Dame et leurs successeurs arsnovites.
Au plan de l’écriture musicale, ils ont accordé définitivement une liberté rythmique à chaque voix, aboutissant à la forme finale de la polyphonie. Ils inventent une notation plus claire et plus précise concernant le temps et lui accorde une valeur rythmique. Ils intègrent dans la musique religieuse cette forme très ancienne du poème chanté et qui aurait donné naissance à la Chanson de Geste, la cantilène. Ils vont aussi apporter au motet une tournure profane en composant sur des sujets amoureux.
« Ce qui frappe le plus [dans] cette polyphonie du XIIIème c’est son côté naturel, simple, exempt de toute recherche apparente et de toute gratuité : il nous plait que Marie, Virgo Virginum, et la belle Marion voisinent dans le même motet ou que sur la teneur liturgique Domino, le musicien affirme : “Je languis des maux d’amour“ ». [Marion du Jeu de Robin et Marion voir Théâtre/ Adam de La Halle, et ci-après] (M.C. Beltrando-Patier op.cit.)
Les pièces musicales intégrées après 1314 au roman satirique Le Roman de Fauvel sont les dernières œuvres représentatives de l’Ars Antiqua.
Sumer is Icumen in (Le Rondeau du Coucou) est une chanson anglaise du milieu du XIIIème siècle (1260), écrite en moyen anglais, sous forme d’un rondeau, chantée à quatre voix en alternance, suppor
tées par deux voix plus graves C’est la deuxième plus ancienne chanson en anglais après Mirie It Is, et c’est le plus ancien exemple de la polyphonie anglaise, si l’on ne tient pas compte des deux Winchester Tropers. (Tropes ou Tropaires de Wincherster) de la fin du Xème siècle, manuscrits de neumes d’organum restés longtemps inexécutables[3].
Les chanteurs peuvent choisir les paroles soit de Sumer en anglais soit celles en latin du Perspice Christicola. Les paroles de Sumer célèbrent l’arriver de l’été avec le chant du coucou et d’autres imitations d’animaux. A l’opposé, les paroles de Perspice sont celles d’un chant adressé à Dieu pour qu'Il envoie le Messie libérer les captifs et les couronnent au ciel.
« …combien est floue la distinction entre musique “savante“ sacrée et profane à cette époque [Moyen-âge].
Il est tout aussi difficile sinon impossible de distinguer la musique anglaise proprement dite de la musique (en particulier religieuse) importée de France ou du moins trahissant une forte influence française… en comparaison avec l’héritage des troubadours et des trouvères du nord de la France, il reste étonnamment peu de musique profane qui ait survécu aux siècles… cette rareté s’explique en partie par la prédominance de la culture franco-normande aussi bien dans les cours que dans les centres ecclésiastiques. » (Paul Hillier, Directeur du Hillier Ensemble in Sumer is incumen in, Harmonia Mundi HMC 401154).
Voir aussi Littérature/Théâtre/
Adam-de-la-Halle est le seul nom d’un compositeur de cette époque qui nous soit resté car il était non seulement polyphoniste mais également trouvère. En tant que polyphoniste, on le fait parfois appartenir au courant de l’Ars Nova du siècle suivant. Mais il appartient bien au XIIIème siècle.
Musicien, il introduit la polyphonie, autrement dit la musique savante, dans les formes populaires que sont la chanson et le rondeau jusqu’alors monodiques. Il adapte en fait au parler vernaculaire le conduit qui est une forme de l’organum qui tout en restant en latin se détache des textes liturgiques pour créer son propre texte. Écrit pour la chanson et le rondeau (poème chanté avec strophes et refrain), ce nouveau ‘conduit’ met en étroite relation le texte et la musique comme le faisait déjà l’organum purum. On parle de relation homosyllabique : une syllabe par note, qui préfigure l’harmonie (lecture verticale). Au contraire d’une forme de l’organum dite fleurie qui donnant toujours plus d’indépendance à chaque voix préfigure l’écriture contrapuntique (lecture horizontale).
Adam est ainsi l’auteur de nombreuses chansons monodiques, mais aussi de rondeaux (dits polyphoniques) et de motets ( dits organiques) à trois voix. Si l’Ars Antiqua a introduit le chant profane dans le chant religieux, autant, inversement, Adam a incorporé les formes polyphonique savantes de l’Ars Antiqua à la chanson populaire.
« Les intervalles musicaux qui font la base de notre système harmonique étaient, au XIIIe siècle, rigoureusement proscrits, et inversement ceux qu'on trouvait alors agréables nous semblent discordants… Il nous est donc impossible d'apprécier le talent musical d'Adam[4]. »
Philippe de Vitry (1291-1361), évêque de Meaux, diplomate et humaniste, écrit en 1320 un traité intitulé Ars Nova dans lequel il prône une nouvelle façon d’écrire la musique ainsi que de nouvelles formes rythmiques. Cet art, cette science musicale nouvelle, marque alors une rupture avec l’écriture ancienne et qualifie ce qui l’a précédé d’ars antiqua, Pour nouvelle qu’était la théorie de de Vitry, elle ne se coupait pas de l’écriture polyphonique mais la renouvelait du point de vue rythmique. L’isorythmie déjà en usage au siècle précédent devient un procédé d’usage courant.
L’isorythmie consiste en la répétition d’un même rythme, d’un même module rythmique, répété tout au long du déroulement de la mélodie. Elle donne son climat à l’œuvre, sa couleur et qui, de ce fait, et appelée ‘color’. La façon dont est organisée la répétition rythmique est appelée ‘talea’, terme pris à l’ébénisterie signifiant tenon et renvoyant à un emboitement. Appliquée originellement au cantus firmusalors tenu
dans le registre moyen, celui ténor, son usage s’étendra à la voix supérieure puis à l’ensemble de la polyphonie. [5]
Pour mettre en musique le Roman de Fauvel de son contemporain Gervais du Bus, de Vitry utilisera des genres très variés (polyphonique, monodique, pseudo-chant grégorien, chanson paillarde). Pour certains historiens cela marque dans les parties polyphoniques le passage de l’Ars Antiqua à l’Ars Nova.
Johannes de Muris ou Jean des Murs (1290- 1351/55), mathématicien à l’université de Paris, théoricien, lui aussi, de la musique, prétendit être l’initiateur de cette nouvelle manière de noter la musique : N’a-t-il pas fait éditer en 1319 Ars novæ musicae portant sur les intervalles? Et en 1321, dans son traité Notitia Artis Musicae, décrit-il pas le tout nouveau mode de notation, le système mensuraliste qui permet pour la première fois d’indiquer, de mesurer, la durée de la note.
« Au début du XIVème siècle, les compositeurs et les théoriciens élaborèrent un système de notation musicale permettant d’indiquer la valeur relative des différentes durées de notes. Au XIIIème siècle, déjà, les théoriciens et les compositeurs faisaient une distinction entre les différentes figures de notes, mais le système ne fut pleinement développé qu’au début du siècle suivant. Plus spécifiquement, on commença à utiliser des signes au début des morceaux pour indiquer comment devait être décomposée chacune des cinq différentes durées de notes.» (Anna Maria Busse Berger, Notation Mensuraliste et autres Systèmes de Mesure au XIVè Siècle, Médiévales 32, 1997).
Giacomo da Cascia (1324-1351) est un des tout premiers musiciens représentant de l’Ars Nova en Italie du Nord. Actif à la cour de Mastino della Scala, seigneur de Vérone, il donne au madrigal sa forme définitive. En 1332, Antonio da Tempo écrit une ‘Summa Artis Rytmici Vulgaris Dictaminis’ qui normalise l’exécution du madrigal polyphonique.
Francesco Landini (1325-1397), poète, musicien, aveugle, vécut une période florentine particulièrement riche en nouveauté et productions poétiques, musicales et artistiques. Figure la plus illustre de l’Ars Nova florentin, sa production dans laquelle la ballata tient une place de choix, représente à elle seule 1/3 de la production musicale du Quattrocento. Sa musique reçoit l’influence française dans ses formes, sa rythmique, mais elle reste entièrement italienne dans la souplesse de la mélodie, dans la liberté donnée aux voix. Il a composé 140 ballate (composées à partir de 1365), 12 madrigaux, 1 caccia.
Johannes Ciconia I[6] (1335/40-1411/12), auteur de messes (10 fragments conservés), de madrigaux et de motets, représente bien la diversité et la richesse de la musique de l’Ars Nova. Né à Liège, il appartient à la suite du cardinal Gil Álvarez Carrillo de Albornoz (1310-1367) et de ce fait le suit en Avignon et en Italie la même année 1358. Le pape lui ayant octroyé un canonicat (dignité et bénéfice de chanoine), il retourne à Liège. Il enseignera par la suite la musique à Padoue et composera pour les autorités de la ville. Il revient à Liège et il est de nouveau en Italie vers 1402/04.
« Le 17 novembre 1405, Padoue est vaincue par Venise, et capitule le 21. Les Carrara sont égorgés dans leur cellule le 17 janvier 1406. Zabarella est le négociateur pour Padoue. Le Palais est rasé, les armoiries effacées. Il ne reste que neuf chanoines à la cathédrale, et les douze Mensionarii et custos [sacristain],
dont Johannes de Ciconia ».
Ciconia conserve son canonicat de St Jean de Conselve, proche de Padoue. Il bénéficie alors de plusieurs prébendes. Il a droit à de somptueuses funérailles à sa mort survenue en décembre 1411.
Il sera un des plus importants vecteurs du Style Franco-Flamand dans sa phase d’Ars Subtilior qui fera suite à l’Ars Nova. Héritier de Landini dans le style florentin pour le madrigal et la ballata, il réalise la synthèse entre la complexité savante polyphonique et une courbe mélodique expressive proprement italienne. Dans son traité Musica Nova, il marque nettement sa distance vis-à-vis de l’Ars Antiqua.
L’on retrouve ses œuvres dans les Codex Chantilly, Oxford, Modène et Apt : Messe Regina Gloriosa (1388), 10 fragments de messes, 10 motets, 4 madrigaux, 11 balatte. Cette Messe Regina Gloriosa de 1388 serait la première missa parodia. La messe-parodie est une imitation de la messe traditionnelle dans laquelle on introduit des voix extraites d’autres compostions, motet ou chanson. Elle se développera à la Renaissance.
Poète et musicien, Guillaume de Machaut (1300-1377) se situe entre d’une part les trouvères, et de l’autre, les polyphonistes de la Renaissance. Il fixe les formes de la ballade, du virelai et du rondeau. Sa Messe de Notre-Dame, entre 1349 et 1363 est avec ses six pièces la première messe conçue comme un ‘tout’. Poète, on lui doit entre autres, avant 1342, Le Remède de Fortune, récit en vers d’inspiration courtoise; en 1356, Le Confort d’Ami dédié au roi de Navarre Charles II, prisonnier des Français ; et en 1360, Le Dit de La Fontaine Amoureuse, dédié à Jean du Berry.
Musicien, il a composé 40 ballades, 32 virelais, 23 motets, 20 rondels, 18 lais. Un seul hoquet, le Hoquet de David (voir Formes Musicales).
D’origine champenoise, après avoir été au service de comte, rois et ducs, vers le milieu de savie, il se retire comme chanoine de la cathédrale de Reims et composera l’essentiel d son œuvre.
En Italie, entre 1321 et 1326, paraît Pomerium artis Musicae Mensurabilis, traité de Marchettus de Padoue (1270-1335), qui servira de référence à la notation musicale d’abord dans le nord du pays (Milan, Bologne, Pérouse, Padoue) puis dans le reste de la péninsule. Marchettus y traite des manières de noter italiennes mais aussi françaises et particulièrement des subdivisions de la note dite « brève ».
En Angleterre, le Codex Roberts Bridgge du début du XIVème siècle (c.1320) contient des transcriptions de motets, entre autres trois du Roman de Fauvel (ca.1310), et les premières tablatures d’orgues.
Le Codex Rossi, du nom de son propriétaire au XIXème siècle, est le plus précieux pour la connaissance de la musique profane italienne de
cette époque. Il contient madrigaux et caccie.
Un recueil très important, le Codex de Squarcialupi (vers 1410) est un manuscrit enluminé, demeuré longtemps dans la bibliothèque des Médicis. Il reste la première source pour découvrir pas moins de 350 compositions des quatorze musiciens florentins de l’Ars Nova italien. Le nouveau genre ballatta, proche du Virelai français, y tient une place plus importante que le madrigal du trecento. Landini, le plus célèbre de ses compositeurs, écrivit de nombreuses ballatte au cours de la seconde moitié du siècle.
On retrouve des œuvres de Ciconia dans les Codex Chantilly, Oxford, Modène et Apt (voir Ars Subtilior).
A la Cour de Savoie, le Codex d’Ivrée datant du dernier quart du XIVème siècle contient des motets, chasses (caccie), virelais et ballades, attribués à Guillaume de Machaut, Loys, Depannis, Maître Henricus, Matheus de Santo Johannes (Mayhuet de Joan), Orles, Sortes
Le Codex Reina contient des œuvres de compositeurs italiens du XIVème siècle, de compositeurs français de la seconde moitié du XIVème siècle, et des compositions françaises et italiennes de la de la première moitié du XVème siècle. On y trouve sept œuvres de Machaut (Collection Carapetyan. B.N.)
A l’aube de la Renaissance Italienne, cet art couvre la période du grand schisme (1378-1417) et correspond en peinture à l’Art Courtois (de cour) ou Gothique International, courant musical et artistique (particulièrement pictural) qui marque la fin des formes médiévales dans un même souci de raffinement que l’on pourrait qualifier de précieux.
Avec le retour de la papauté à Rome en 1377, année de la mort du grand Guillaume de Machaut, une ère nouvelle voit le jour. L’art raffiné, complexe de la Cour d’Avignon dont le motet aura privilégié le « color » (la mélodie) et la syncope, mais aussi l’art de la Cour de Jean de Berry, trouve une terre d’élection dans la péninsule italique. La noblesse des cours s’ouvre alors au goût français. Art raffiné, il est qualifié par ses détracteurs de trop complexe, de grauit, d’intellectuel, trop technique et sans inspiration. On parle de « fantaisie graphique » pour Cordier et de « vaillant maniérisme » pour Cesaris.
Les principaux manuscrits où sont recueillis les œuvres de cette période artistique extravagante sont le Codex de Chantilly et le Manuscrit d’Apt pour la France et le Codex de Faenza pour l’Italie. Le Codex d’Apt répertorie 81 compositions de la Cour d’Avignon, religieuses et profanes, dont des œuvres de de Vitry, Machaut, Hasprois, Mayhuet de Joan et Haucourt.
S’il n’innove en rien dans la forme ni la technique, l’Ars Subtilior se signale par son ‘subtil délire intellectuel’ (MC. Beltrando-Patier, opus cité), sa fantaisie poétique aussi bien que plastique. Parmi les musiciens les plus notables : Jehan Robert, dit en inversion Trebor, actif 1380-1409, Solange, actif entre 1370-1390, Jacob Senleches, actif entre 1378-1395, Johannes Ciconia (vers 1370-1412) qui fait le lien avec l’Ars Nova, et Matteo da Perugia, actif entre1400-1416.
L’École Franco-Flamande apparait en cette période entre Moyen-
âge et Renaissance, qualifiée de Pré-Renaissance. (Voir Renaissance/ Pré-Renaissance/ Musique).
Avec une écriture polyphonique qu’elle porte à son apogée, elle va se prolonger bien au-delà de cette phase de transition, jusqu’à ce que les formes nouvelles apportées par la Renaissance (monodie, basse-continue) ne soient définitivement stabilisées dans la période baroque.
A sa naissance, la polyphonie ne faisait appel qu’au seul concours de deux voix. Ces deux voix, dès l’origine peuvent être constituées de plusieurs chanteurs par voix. Elle superposera ensuite trois, puis quatre voix comme dans la Messe de Notre-Dame (1349) de Guillaume de Machaut. Elle continuera à ajouter des voix jusqu’aux grandes polyphonies de l’École Franco-Flamande.
Une des avancées de la polyphonie sera de ne pas faire entrer toutes les voix en même temps. Chaque entrée constituera un canon. L’étape suivante sera l’indépendance rythmique des lignes entre elles. Mais il est à rappeler que jusqu’au milieu du XIIIème siècle, le signe musical n’a pas de valeur rythmique. La partie rythmique n’est pas écrite. Ce sera l’Ars Antiqua qui, en sa seconde moitié du XIIIème, apportera la première véritable école polyphonique en Europe avec le développement et l’établissement des formes organiques. Elle sera suivie de l’École de l’Ars Nova au XIVème siècle puis de l’École Polyphonique Franco-Flamande au XVème siècle.
L’écriture polyphonique trouvera son apogée à la Renaissance Humaniste. Ce sera le temps des grandes chapelles, à Venise (Chapelle St Marc), Rome (Sixtine), Madrid (Capila Flamenca), Paris (Chapelle Royale)…(voir Renaissance/ Musique/École Franco-flamande). Elle se maintiendra néanmoins tout au long de l’âge baroque sous la forme de l’écriture contrapuntique de compositions instrumentales telles que les fugues de Bach. Mozart ira dans sa jeunesse en Italie perfectionner son contrepoint auprès du célèbre abbé Martini et l’infiltrera dans certaines de ses compositions (Symphonie 41 dite Jupiter, Messe en ut mineur).
[1] Les musicologues ne s’accordent pas tous sur l’évolution de l’organum, faisant les uns précéder le déchant au fleuri ou inversement, attribuant à l’un ou à l’autre de ces modes d’organum la primeur d’avoir inversé l’ordre des voix même s’ils s’accordent sur une distinction de la voix seconde à la quarte et la quinte avec début et fin à l’unisson. Apparus à la même période, fleuri ou en déchant, l’organum pourrait avoir donné à ses voix simultanément deux voies différentes.
[2] Wilfrid Nancey attribue cette apparition de l’ornementation (plusieurs notes en voix supérieure pour une pour le cantus firmus et l‘inversion des ampleurs à l’École de Limoges , un siècle plus tôt (voir note 367)
[3] Selon la médiéviste, spécialiste de la musique anglaise, Marguerite-Marie Dubois à l'époque l'on faisait commencer l'été en mai. Son travail sur les deux Winchester Tropes (l'un est copie de l'autre) a permis leur exécution.
[4] Olivier Bettens Op. Cit.
[5] A la Renaissance, un court chant, l’homme armé , resté très célèbre et auquel les historiens attribuent des origines diverses, servit de cantus firmus à de très nombreux musiciens comme Josquin des Prés, Pierre de la Rue, Palestrina pour écrire leurs compositions polyphoniques.
[6] De et pour en savoir plus sur les Ciconia, voir Jean-Marc Warsawski: http://www.musicologie.org/Biographies/j/johannes_ciconia.html. Plusieurs sources font état d'un Johannes Ciconia II qui serait né en 1370 à Liège pour mourir à la même date de 1411(ou 12) à Padoue?! Selon Jean-Marc Warsawski qui suit en cela la musicologue Suzanne Clercx, l'existence de ce Ciconia II serait fort improbable. Elle serait due à un second style musical qu'on ne peut attribuer au premier. " Il faut réaliser qu'il n'y a pas à cette époque d'état civil. Ce que l'on sait des personnes de cette époque, c'est à travers une documentation transversale et lacunaire." (Correspondance personnelle).
Partition de l’ Homme armé
Formes Musicales du Haut Moyen-Âge et du Bas Moyen-Âge
A un quart de siècle près, les historiens font commencer le Haut Moyen-âge aux alentours de 500 Ap.J.-C. Les textes liturgiques étaient scandés, psalmodiés ou chantés. Le plain-chant, monodique, était avant que n’apparaisse la polyphonie, la forme la plus évoluée de la récitation de ces textes en même temps qu’elle est a contrario la forme la plus rudimentaire de l’écriture de musique vocale. Texte et musique en symbiose ne font appel à aucun instrument, aucune ornementation et sont chantés a capella. Les indications écrites originellement au-dessus du texte ne sont pas des notes mais des neumes, des signes de lecture marquant les inflexions, les intonations, la cadence, les mouvements de la voix.
Dès le début du Moyen-âge, l’Église chrétienne se sert pour son répertoire liturgique de ce chant plain, c’est-à-dire plan dans le même sens que de plain-pied, de même niveau. Il est monotone, dans un mode fixe (sans modulation). La tonalité du plain-chant contrairement
« à la tonalité de la musique actuelle qui consiste en ce que l’oreille appelle naturellement à la fin d’un morceau une certaine note à l’exclusion de toute autre, la tonalité du plain-chant consiste en ce que la finale y est appelée par l’habitude et non par une préférence naturelle comme dans notre musique » (Dict.Littré, Déf. Plain-chant)
Le plain-chant est aussi appelé chant grégorien le pape Grégoire le Grand (540-604) ayant fait réunifier les anciens chants liturgiques paléochrétiens (Antiquité Tardive) dits romains auxquels sont venus ‘jouter des chants gallicans de l’époque suivante, mérovingienne (5ème>8ème s.).
L’Église éprouvera le besoin d’établir en quelque sorte un canon dans lequel elle pourrait faire entrer les textes liturgiques afin que le répertoire ainsi constitué, et la manière de les chanter pendant les offices soit commun à l’ensemble des régions. Les différents répertoires, milanais (ou ambrosien), gallican, romain, hispanique furent ainsi réunis. À en croire la tradition carolingienne, Grégoire 1er, pape en 590, aurait pris l’initiative de cette compilation (?) et ce répertoire fut à partir de là désigné par Chant grégorien. Cette unification est un fait majeur autant politique que religieux dans l’histoire de la culture européenne car elle romanise la liturgie des Francs, des Carolingiens, des Ibériques.
L’antiphonaire, le livre autoritairement imposé par Rome, contient l’ensemble des chants liturgiques et les antiennes. Il fixe le calendrier et l’organisation des offices. L’établissement de cet antiphonaire est une canonisation des textes liturgiques comme l’a été celle des textes évangéliques. Pépin le Bref et Saint Boniface jouèrent un rôle déterminant.
De là, l’importance que revêt l’organisation liturgique, avec la formation d’écoles dont les membres, religieux et élèves, vivant à l’exemple des moines en communauté autour des cathédrales, sont chargés des chants aux offices et processions ; processions qui instaurent tout un decorum avec litanies et cantilènes, et au cours desquelles il est fait montre de beaucoup d’exaltation.
« Les liturgies sont des liturgies de l’extériorité. Leur objet est de mettre avec force et dilection, les signes propres de la scène sacrée, de composer un espace rempli de personnages, de voix, de vocables, d’images, de figures, d’actions, d’odeurs et de lumière…la cantilène ecclésiastique sera caractérisée par son “expressivité” ».
L’Antiphonaire du Mont-Blandin à Gand est un exemplaire complet et unique de la messe au VIIIème siècle.
Le grand Alcuin (730-804), ami et conseiller de Charlemagne,
est la grande figure culturelle de cette période de la Renaissance Carolingienne. L’empereur le plaça à la tête de l’Académie Palatine. Cénacle réservé aux seigneurs, celle-ci se donnait pour but de faire valoir tout ce qui touchait à la culture. Les enfants de ces mêmes seigneurs étaient instruits à l’École Palatine pour que, leur formation terminée, ils diffusent le savoir au peuple. Le principal disciple d’Alcuin, Amalaire (775-860) tiendra une place importante dans l’évolution du chant liturgique
« destiné à retentir, ébranler en mettant en valeurs les virtualités sémantiques, discursives, affectives voire purement phoniques du texte. » (Jean-Yves Hameline, Une Poétique du Rituel, Édit Cerf. 1997).
Pendant toute cette période s’étendant de Grégoire 1er à l’An Mil,
l’ars musica évolue lentement mais sûrement. Il passe de la composition responsariale (verset-répons) du mode psalmodique (dit sur une seule note) à la composition antiphonique de l’antienne qui initialement basée sur des types mélodiques préétablis tendra avec une scansion plus ample, au type modal ouvrant à l’ornementation et à une déclamation expressive, à savoir :
· la détermination d’une note principale qui donne le ton (les toniques do, ré mi sont les plus anciennes)
· l’organisation des intervalles entre cette tonique et les autres notes. La sélection des intervalles est fondamentale en monodie comme en polyphonie. En écriture polyphonique, les passages de octave-quinte à quarte, puis sixte et tierce, détermineront des styles différents. La liberté du rythme et sa mise en mesure (mensuralisme) seront tout aussi déterminants. Les modes ayant survécus jusqu’à notre époque sont les deux modes majeur et mineur.
Il faudra attendre trois bons siècles pour que la musique vocale connaisse un changement radical en passant au IXème siècle de la monodie à une polyphonie qui ira se complexifiant de siècles en siècles. Pour la première fois, il est parlé de polyphonie dans le manuscrit Divinasione naturae de Jean Scot Origene datant de 875, et dans un traité de théorie musicale du même siècle, attribué à Hucbald de Saint Amand, Musica enchiriadis. Traité dans lequel il est question de diaphonie (deux voix) ou organum en rapport de quinte mais plus originalement de quarte (voir Style Martial/Naissance de la Polyphonie).
Dans son expression la plus simple, la polyphonie est l’organum (organiser) . L’organum est une forme d’écriture musicale qui utilise deux puis, par la suite, plusieurs voix au contraire de la monodie (homophonie) qui ne se sert que d’une seule voix.
Mais cette simplicité n’est qu’apparente. Faire chanter plusieurs voix à l’unisson ne constitue pas une polyphonie. Ni même faire chanter des hommes et des femmes ensemble, celles-ci chantant naturellement à l’octave supérieur. Pour que les voix se distinguent entre elles encore faut-il non seulement que leur ligne mélodique mais aussi leur registre et leur rythme diffèrent. Tout le talent des grands polyphonistes consistera à varier, à combiner, à complexifier ces trois éléments.
A la base de l’écriture vocale polyphonique se trouve une voix ferme (continue) correspondant en quelque sorte à la voix monodique du plain-chant (grégorien), appelée cantus firmus et tenue par un ténor A cette base vocale, la voix principale, est fait adjonction d’une voix, en contre-chant (note pour note). Lorsque cette voix en contre-chant évolue à l’inverse de la vox principalis, elle est en déchant : Elle monte quand la voix principale descend et inversement descend quand l’autre monte.
Au début, du moins, cette voix dite voix organale était plus grave qui chantait à la quarte (non à l’octave ni à l’unisson). Les deux voix progressaient sur une même ligne mélodique, sur un même rythme non vraiment défini. Ce couple est appelé organum, (organum purum ou organum parallèle).
Au XIème siècle, la voix organale passe au-dessus de la voix principale et annonce le futur soprano. Les deux voix, dites alors en déchant, n’obéiront plus à la même ligne mélodique mais progresseront de façon autonome bien que tenant compte l’une de l’autre en fausses lignes parallèles qui jouent à se rapprocher et à s’éloigner l’une de l’autre : le contrepoint, en sa forme élémentaire est né.
Le conduit se distingue du déchant et de l’organum purum par le fait que, d’une part, sa musique comme son texte sont originaux et non pas tirés du traditionnel répertoire du plain-chant, et que, d’autre part, ce « chant de (bonne) conduite’ sert selon deux acceptions différentes à deux usages, l’un moral : dire la bonne conduite à suivre, l’autre fonctionnel : conduire, suivre les déplacements du prêtre pendant l’office. L’École de Notre-Dame de Paris, au XIIème siècle fera grand usage du Conduit. L’on peut certes encore parler d’une certaine manière d’homophonie pour ces différents modes d’écritures vocales puisque l’ordonnance note pour note et identité rythmique sont respectées, mais d’une homophonie évoluée.
L’École de Notre-Dame (1170-1250) accordera avec l’organum fleuri ou mélismatique (du grec melos pour mélodie) plus de liberté à la voix ou aux voix organales du dessus. La stricte observance de note par note sera rompue puisqu’à la note-syllabe du ténor (vox principalis), la voix supérieure (duplum) ou les voix supérieures (triplum, quadruplum) répondront par une ornementation vocale de plusieurs notes (neume) par syllable, mélisme qui définit l’organum fleuri. De plus, les écarts de voix ne sont plus uniquement à la quarte mais apparaissent à la tierce et à la sixte. Plus tard, des musiciens de la fin du Moyen-âge et du début de la Renaissance comme Jean Ockeghem (1420-1497) qui vécut 45 ans à Tours à la cour des rois de France, et Josquin des Prés (1440-1521) continueront à faire grand usage de ce contrepoint ornementé.
Au XVème siècle, les musiciens anglais, toujours fidèles à l’usage des intervalles ‘dissonants’ comme la sixte et la tierce, et fidèles à l’improvisation, mettront à l’honneur le Faux-bourdon (fauxbordon) jusqu’alors fort peu usité : dans les parties improvisées, la basse est placée à la tierce au-dessous du cantus-firmus et la voix supérieure à la quarte de ce dernier et à la différence du déchant, il n’est pas fait appel au mouvement contraire (une voix monte, l’autre descend).
La cantilène tient une place importante dans l’histoire de la poésie et de la musique. La cantilène (de cantare, chanter) est un poème chanté de façon monodique, en langue vulgaire (romane). Elle remonte au Haut Moyen-âge. Elle signifie « complainte lyrique » (Encyclopædia Universalis). Dans sa forme, elle fait une large place à l’improvisation et l’accompagnement reste succinct.
La Cantilène de Saint Faron du VIIème siècle occupe une place majeure dans la naissance du genre et son évolution. Le texte rapporte à un moment donné qu’un « chant rustique », a célébré l’acte vertueux (du saint) qui vient d’être narré, en cite un extrait et donne des indications sur la façon d’exécuter ce chant. La question a fait débat entre les historiens de savoir si ce chant est lyrique ou épique ou…lyrico-épique ? La question a aussi été de savoir qu’elle était la langue d’origine de ce chant. Les extraits cités par l’hagiographe ayant été traduits en latin. Il est en tout cas admis maintenant que le chant d’origine est en langue romane et représente ainsi un des plus ancien vestige de la poésie [en Europe][1]». Les historiens, tels que Joseph Bédier et Jacques Chailley, s’accordent à faire de la cantilène le genre qui a donné naissance à la Chanson de Geste.
D’autres vies de saints, Vie de Saint Léger, Vie d’Alexis ont été transposées du latin (VIIIème s.) en langue vulgaire (Xème s.) .
« Le concile de Tours (812), qui décida de “transposer les homélies en langue romane rustique“, est partiellement responsable de ce mouvement de francisation qui affecta la musique et la littérature ». » (Encyclopædia Universalis).
La Cantilène de Saucourt du IXème siècle retrace la bataille des Francs et des Normands. La Cantilène d’Hildebrand raconte l’affrontement d’un Hildebrand à son fils Hadebrand. La Cantilène de Sainte-Eulalie et la Chanson de Sainte Foy datent du XIème siècle.
Au XIIIème siècle, pour continuer à donner toujours plus d’indépendance mélodique et rythmique aux différentes voix de leurs compositions polyphoniques, les compositeurs de musique religieuse de l’Ars Antiqua l’adoptent sous la forme du motet (musique sacrée) à la suite du Conduit qui s’est déjà libéré du texte liturgique.
Au XIVème siècle, la cantilène intègrera le Rondeau, le Virelai ou encore la Ballade.
Bien que souvent antérieures et souvent se prolongeant au-delà, toutes ces formes de chants furent prisées pendant la période l’Ars Nova au XIVème siècle :
Sur des thèmes courtois, la ballade chante le rituel chevaleresque.
Le virelai est un poème dont un des vers revient en leitmotiv en fin de strophe. Christine de Pisan (1364-1430) écrivit l’un de ses plus beaux poèmes, je chante par couverture, sous la forme du virelai. Les chansons balladées de Guillaume de Machaut font de lui un des meilleurs illustrateurs du virelai.
Le rondeau est à l’origine un poème (rondel) à forme fixe : 5 vers-3 vers-5 vers avec refrain de 2 vers pour un total de 15 vers. Les poètes Charles d’Orléans (1394-1465) et Clément Marot (1496-1544) écrivirent nombre de rondeaux.
Sous sa forme musicale, le rondeau est chanté en monodie ou polyphonie. Adam de la Halle (1240-1297) comme Guillaume de Machaut (1300-1377) composèrent pour ce genre. Il est caractérisé par un refrain qui revient périodiquement après chaque couplet. Si le rondeau est binaire, la reprise donne AA’BB’, s’il est ternaire AA’BB’CC’, quaternaire AA’BB’CC’DD’ avec retour final AB
La Caccia serait tirée de la Chasse française et apparaît en Italie dans le second quart du XIVème siècle. Sur un canon à deux voix, enne se développe en dialogues, altercations, anecdotes, allégories amoureuse. La chasse chante avec couleur et animation la poursuite du gibier, parle des oiseaux.
Durant les XIVème et XVème siècles, la Caccia gardera son nom bien qu’elle en vienne plus tard à chanter l’amour… autre forme de chasse(?). Jacopo Bologna, actif de 1340 à1360, en était un de ses compositeurs les plus réputés.
Le hoquet ou truncatio vocis est une forme polyphonique consistant comme son nom l’indique à faire hoqueter, à tronquer chacune des voix. Pour cela, les voix s’entrecoupent à chaque syllabes: un syllabe par voix. Ce qui donne l’impression qu’une voix chante non seulement en pointillé mais aussi sans continuité de sens, les sens étant donné par l’ensemble continu de toutes les voix. L’Ars Antiqua et l’Ars nova pratiquèrent volontiers cette forme. Elle perdurera encore à la Renaissance.
D’origine germanique (signifiant étymologiquement ‘son’), le lied, aux origines très anciennes est un chant accompagné. Il suivra les modes et les us du temps : polyphonique en période polyphonique, préfigurateur de la chorale luthérienne, avant de devenir au XVIIIème siècle, dans la période néo-classique, l’expression du ‘cœur qui chante, de la poitrine qui se soulève’, selon les mots du poète Heine. En plein âge romantique, il saura être le reflet des âmes de Frantz Schubert (1797-1828) et de Robert Schumann (1810-1816).
Le terme de Messe est utilisé la première fois pour désigner la partie musicale de l’office relative à la célébration de l’eucharistie constituée des cinq pièces appelées l’ordinaire de la messe (ordinarium missae). Elle est chantée en polyphonie. La première messe a avoir été signée est la Messe de Notre dame (1349) de Guillaume de Machaut. Antérieurement, les Messes de Tournai (vers 1330), de Barcelone, de Toulouse ou de Besançon étaient des œuvres éparses restées anonymes.
La messe-parodie est une imitation de la messe traditionnelle dans laquelle on introduit des voix extraites d’autres compostions, motet ou chanson. Elle se développera à la Renaissance
[1] Gaston Sénéchal La Vie de Saint Faron par Hildegarde, 1910. http://bibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/9c8eb009a262375c0d7b987fed63e055.pdf
INDEX DES MUSICIENS DU BAS-MOYEN-ÂGE
École Saint Martial d’Aquitaine (Limoges) 1100-1160 :
Roger de Chabannes †1025 Ademar 989-1034
École de Notre-Dame-de-Paris 1170-1240 :
Maître Léonin 1150-1210
Pérotin dit le Grand 1160-1230
Codex calixtinus de St Jacques de Compostelle ( Liber Sancti Jacobi ou Livre de Saint Jacques) 1140
Adam de la Halle (ou Adam d'Arras ou le Bossu d'Arras) Arras 1240- c. 1287 Italie
Codex is icumen in c. 1260
Philippe de Vitry 1291-1361
Johannes de Muris ou Jean des Murs 1290- 1351/55
Guillaume de Machaut 1300-1377
1ère Période : Centre Nord de l'Italie (Bologne, Padoue, Vérone)
Jacopo Bologna actif de 1340 à1386
Marchettus de Padoue 1270-1335
Johannes Ciconia I 1335-1412
2ème Phase : Centre Florence :
Francesco Landini 1335-1397
Giovani da Cascia (da Firenze) actif 1340 à 1350
Don Paezzo da Firenze
Pietro Casella
Gherardello da Firenze
Donato da Firenze
Nicolo Preposit
Lorenzo Masini.
Bartolino da Padova 1365 – 1405 (Codex Reina)
Codex Rossi c.1350
Codex Scarcialupi vers 1410
Codex Roberts Bridgge début du XIVème (c.1320) :Transcription de motets –1ère tablature d’orgues.
Codex de Chantilly
Jehan Robert dit Trebor
Jacob Senleches actif 1378 – 1395
Solange actif entre 1370 -1390
Johannes Simon de Haspre dit Hasprois Fumeux †1428 Rome
Mayhuet de Joan (Matheus de Sancto Johanne) c.1320-1391
Jean Haucourt (Johannes de Alta Curia).
Codex d’Ivrée, dernier quart du XIVème siècle :
Œuvres de Guillaume de Machaut, Loys, Depannis, Maître Henricus, Matheus de Santo Johannes (Mayhuet de Joan), Orles, Sortes
Johannes Ciconia II ? c.1370-1412
Matteo da Perugia actif 1400-1416
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