Définition - Une Nouvelle Idée de l'Homme - Une Nouvelle idée de La Religion - Le Retour à L' Antiquité -
Universités et Académies - Humanisme et Raison - Humanisme et Arts Sacrés - Survivance de la Scolastique
Le Moyen âge n’ignorait pas les auteurs grecs. La philosophie d’Aristote, particulièrement, servait de base de réflexion dans les rapports de la raison et de la religion, de l’ordre naturel et de l’ordre divin. Ce qui change avec la recherche, la découverte et l’étude des auteurs de l’antiquité grecque et romaine, c’est que l’on veut les lire dans le texte d’origine, aussi bien grec que latin ou hébreux. Et il en est de même pour la Bible. Les nouveaux penseurs, les humanistes - le terme n’apparaît pas avant 1539 - éprouvent un sentiment de proximité intellectuelle avec les Anciens. Ils font un bond non seulement dans le temps mais un bond intellectuel qui passe par-dessus l’apport culturel du Moyen âge pour se retrouver de plain-pied dans le monde païen de la raison. Monde dans lequel si l’homme n’ignore pas que pour obtenir la faveur des dieux, il doit leur faire des offrandes, il croit néanmoins en son propre jugement, en sa propre capacité à se connaître et à accomplir son destin, et à l’accomplir ici-bas.
« Le mot humanitas désignant en latin la culture, les maîtres qui veulent revenir dans l’enseignement universitaire à une lecture directe des ‘chefs-d’œuvre de la littérature latine’ appellent leur enseignement lettres d’humanité, et bientôt on les nommera eux-mêmes humanistes. Mais ce beau terme d’humanitas évoque aussi une élégance morale, une politesse, une courtoisie, inséparables de toute culture accomplie…ainsi le mot humanisme en viendra à désigner, outre la formation à l’école de la pensée gréco-romaine, un idéal de sagesse et toute une philosophie de la vie. » (Lagarde & Michard, XVIème siècle Ed.Bordas).
L’homme prend pour guide la raison, sa propre raison. Car il sait, lui, que les Dieux de l’Olympe, aussi sont mortels ! Cette confiance en l’homme est une véritable foi en l’homme. Elle fonde l’humanisme philosophique. Ainsi l’homme de la Renaissance va plus porter ses regards vers le monde, la nature qui l’entoure que lever les yeux au ciel. Il n’est pas encore athée, il n’est pas encore individualiste, mais il s’émancipe de Dieu, du Dieu de l’Église, celui de la Septante. Il entreprend de savoir qui Il est et quel commerce il peut avoir avec lui, -comme en avait le Grec ancien avec ses Olympiens- par l’étude de la Bible des origines, la bible hébraïque. Tout un pan de la culture humaniste va s’y consacrer.
L’humanisme de la Renaissance diffère de l’humanisme contemporain. Si le premier est ‘encore’ tout à la fois imprégné de foi en Dieu et de foi en l’homme, de religion et d’humanité, le second est l’aboutissement d’un développement constant de la notion d’individu au détriment de la religion ; l’humanisme au XXème siècle aura intégré une valeur laïque voire athée de la société qui place en son centre et face à lui-même, l’individu comme seul maître de son destin et de celui de la cité, sans plus aucune référence à une transcendance pour fonder ce destin mais sur une liberté ontologique. A cette nouvelle conception d’un humanisme ‘renforcé’ pour laquelle la notion de liberté est devenue fondamentale et fondatrice, le Siècle des Lumières lui a entre temps apporté celle de tolérance. Et l’action Humanitaire, comme pratique socio-politique de l’humanisme moderne, son pragmatisme. La mis en pratique de la notion de solidarité, des peuples et des individus entre eux tendant à dépasser les cadres nationaux, religieux, les clivages politiques dans la volonté d’un humanisme universel.
« Pour aller à l’essentiel, et pour essayer de clarifier ce bouleversement, disons que, dans les deux phases précédentes de la Renaissance et du 17ème siècle, la finitude humaine - l’imperfection humaine, la mort, le mal, la souffrance - est perçue comme un manque par rapport à un absolu posé au départ. On pose cet absolu pour commencer et c’est par rapport à cet absolu que l’on regarde l’homme et qu’on le voit comme un manque, comme un “moindre-être”. Avec la philosophie des Lumières, et notamment avec la philosophie de Kant, qui en représente le parachèvement, la finitude cesse d’être conçue comme un manque, comme une imperfection, pour devenir une finitude “radicale”, qui est à la “racine” de toute l’interrogation sur l’homme. La finitude de l’homme est le point de départ de l’interrogation philosophique, et non son point d’arrivée. Et par rapport à cette finitude posée au départ, l’absolu se trouve relativisé. L’absolu devient relatif au fini, à l’imperfection humaine. En un certain sens, dans cette perspective, Dieu devient une idée de la raison humaine, une croyance de l’homme ». (Pierre-Henri Tavoillot: http://www.erfauteuil.org/ conferences/ qu-est-ce-que-l-humanisme.html)
L’idée courante que l’on se fait de l’humanisme est naturellement celle de l’humanisme éclairé par les Lumières, l’humanisme de l’Encyclopédie qu’a rejoint l’humanisme universaliste des Droits de l’Homme, autrement dit un humanisme laïc, peu ou pas préoccupé de dieu et de théologie. Or l’humanisme des XVème et XVIème siècle est un humanisme chrétien, profondément concerné par les rapports entre les vérités de la raison et la Vérité révélée, et plus encore engagé dans une recherche de ces vérités et de cette Vérité par une approche nouvelle, philologique, des Écritures Saintes dans leurs versions les plus originelles. Mais encore en amont du christianisme,
« À la Renaissance, la reconnaissance et la découverte des mystères – surtout antiques et hébraïques – atteignent leur apogée. Cette période est en effet caractérisée par la rencontre et la profonde interpénétration entre différentes traditions sapientielles, philosophiques et religieuses, assumées dans une dimension fortement syncrétique. On peut considérer cette idée de mouvement, de passage d’une tradition à l’autre, comme un parcours de réélaboration qui favorise la transition vers un nouveau système de pensée. » (Flavia Buzzetta Le Dévoilement des Mystères en France au XVIe siècle. Paganisme, Christianisme et Cabbale, https://www.paris-iea.fr/fr/evenements/le-devoilement-des-mysteres-en-france-au-xvie-siecle-paganisme-christianisme-et-cabbale)
Guillaume Budé “pense que le savoir mène à la sagesse et conçoit l’étude comme une voie de salut et de sainteté. … L’exercice philosophique par excellence est la lecture, l’interprétation et la méditation de l’Écriture Sainte qui conduisent à la contemplation.” (http://classes.bnf.fr/dossitsm/b-bude.htm.)
De grandes figures de l’humanisme de la Renaissance comme Érasme, Nicolas de Cues, Thomas More, et pour la France[1] Guillaume Budé et Lefèvre d’Étaples, sont profondément croyants et, de manière générale, pour eux l’étude des Anciens comme des Écritures Saintes est une voie incontournable vers la sagesse, une sagesse qui ne saurait pour être atteinte se dispenser du recours au Divin même si l’homme nouveau participe (doit participer) à son salut pour l’obtenir et pour ce faire ne pas nécessairement passer par l’intercession de l’Église et par la pratique des œuvres. C’est cet humanisme-là qui portera les Luther, les Calvin, les Melanchthon à la Réforme sans qu’eux-mêmes se soient jamais départis d’un soutien à la papauté.
Si la Renaissance Humaniste des XVème et XVIème siècles, la troisième en Europe, après la ‘Carolingienne’ du IXème siècle et la ‘Courtoise’ du XIIème, peut se définir comme la redécouverte, l’étude et la transposition des œuvres des artistes et philosophes de l’antiquité grecque et latine, on peut aussi avancer qu’elle a commencé dans la seconde moitié du XIVème siècle quand Pétrarque s’inspirait des poètes latins retrouvés, et que Boccace faisait obtenir en 1360 une chaire à Florence pour enseigner le grec au lettré grec, natif de Calabre, Léonce Pilate[2] (†1366) qui avait étudié cette langue en Crète.
Ce mouvement de retour à la culture antique est plus une intensification et un changement d’orientation qu’une réelle redécouverte. Les philosophes grecs, notamment Aristote, n’ont jamais été ignorés des philosophes du Moyen-âge, ne serait-ce que par les traductions soit des philosophes arabes, qu’ils trouvèrent dans les bibliothèques d’une Andalousie reconquise, soit venant de Sicile (Voir Traductions Latines des Auteurs Grecs.docx). En cette phase de la Première Renaissance, au plan littéraire, le latin reste la langue d’excellence et Cicéron le modèle absolu. De Latinæ de Linguæ Elegantiis (1444) de l’humaniste philologue Léonardo Valla[3] aura d’ailleurs un grand retentissement pour la défense de la langue et du style littéraire de la Rome Classique. Le lettré florentin, professeur et homme public de premier rang, Cristoforo Landino (1425-1498), commentateur de la Divine Comédie et de l’Énéide, membre de l’Academia Platónica florentina fondée en 1459 par Cosme l’Ancien Médicis, traduit l’encyclopédique Histoire Naturelle du romain Pline l’Ancien (1er s.).
La nouveauté tient à une intensification de la recherche de par le déploiement des textes originaux, et une réorientation qui tend à mettre en avant la philosophie platonicienne au détriment de celle d’Aristote, bien que l’aristotélicienne Université de Padoue défende résolument les thèses du Stagirite et d’Averroès en opposition à l’humanisme florentin, de même qu’à Paris, le Collège de Navarre, sis à l’actuel emplacement de l’École Polytechnique, est réputé alors pour sa défense de l’aristotélisme. Le dernier grand scolastique français, J. de Gerson († 1429) y fit ses études. L’innovation tient non seulement à la lecture critique des textes dans leur version originale, mais encore à l’importance donnée aux méthodes d’enseignements et à un apport supplémentaire de matières enseignées.
Le savoir se doit d’être universel, l’intellectuel et l’artiste se veulent pluridisciplinaires. Battista Alberti (1404-1472), natif de Gênes, est très représentatif de cet esprit de la Renaissant qui ne s’enferme dans aucune catégorie, aucune discipline. Il fut architecte, théoricien de l’art, poète et philosophe et aussi homme de loi. Il écrivit des œuvres littéraires aussi bien que des traités en latin et en italien, sur l’architecture, la sculpture, la mathématique, la peinture. Architecte, il travailla entre autres à l’église Santa Maria Novella (Florence) et à la Basilique San Andrea de Mantoue et remit à l’ordre du jour l’architecte romain Vitruve (1er s. av. J.C.) dont le célèbre traité De Architecture eut une influence considérable sur les bâtisseurs de la Renaissance[4].
Les académies font être les centres de diffusion de la pensée nouvelle tandis que les universités vont devenir les bastions de la pensée scolastique. Ces dernières vont offrir une forte résistance car, à la création des académies et collèges royaux, elles perdent le monopole de l’enseignement , autrement dit du savoir. Le savoir n’est plus sous leur tutelle et échappe donc à celle de l’Église. Les académies, fondées par les rois et les princes ou les grands seigneurs sont libres et diffusent un savoir indépendant selon des méthodes nouvelles.
Les Universités qui enseignaient la théologie, le droit, la médecine, et les facultés (réunion de collèges), préparant à l’enseignement supérieur des arts libéraux[5], vont devoir s’adapter au courant humaniste. Viennent s’ajouter des cours d’histoire, de politique, de morale et notamment de grec et de philologie, et même des cours techniques. La philologie, science nouvelle, par son approche critique des textes remet en cause l’ensemble de ce qui avait été enseigné jusque là, non seulement en théologie mais en droit, en médecine…
Dans toute l’Europe, détacher l’enseignement moderne de l’emprise universitaire était dans l’air. Les collèges aussi bien que les cénacles, les académies poussaient en ce sens-là. A Paris en 1460, Geoffroy Lenormand quitte le Collège de Navarre (voir tome 1) où il était professeur pour fonder le Collège Ste Barbe, qu’il refuse d’intégrer dans le groupement des collèges (faculté). La création du Collège des Lecteurs Royaux en France en 1530 après la création, en 1517, à Louvain du Collège des Trois langues (grec, latin, hébreu) dont Érasme sera le premier Principal, en est une belle illustration.
Les mécènes joueront un rôle économique important de par leurs commandes et protections. Sous leur impulsion, écoles et académies s’ouvrent dans les villes-états, Florence, Ferrare, Bologne, Venise, Mantoue, Naples. Cités qui vont aussi rayonner par les arts et les lettres lorsque les grandes familles invitent à leur cour les meilleurs peintres et sculpteurs et les écrivains les plus réputés.
Plus tardivement, ce seront des érudits comme Guillaume Budé (1467-1540) qui par leur travaux promouvront le mouvement humaniste en France.
“L’humanisme littéraire à la différence de l’humanisme universitaire, forme un autre genre de communauté qui repose sur un autre type d’universalisme. L’éducation n’a pas pour but la recherche intellectuelle systématique d’une unique vérité, l’universalisme de la connaissance ne dépend pas de la profondeur du raisonnement. Le programme éducatif de l’humanisme littéraire propose le modèle de l’homme à la fois noble et vertueux. Il s’agit d’élaborer une culture au sens large, pas seulement intellectuelle, mais aussi corporelle. Être un ‘litteratus’ signifie alors être un homme complet (uomo completo). C’est la langue, le discours, la parole qui sont l’instrument par lequel on parvient à cette plénitude. Ces humanistes ne veulent pas se consacrer à des études sur des sujets ‘étroitement spécialisés’. (Stefan Swiezawski in Histoire de la Philosophie Européenne, Beauchesne Éditeur, 1990 page 137).
Pendant de la Renaissance, l’Humanisme n’est pas synonyme de rationalisme. Dans le cadre de l’humanisme Renaissant, les références nombreuses à la kabbale, à l’hermétisme, à l’astrologie voire à la magie, qui ne font pas particulièrement appel à la raison raisonnante, et la mise en valeur du platonisme au détriment de l’aristotélisme, font que même si l’Homme prend une place extensive, l’humanisme ne rompt pas ses liens avec une pensée spirituelle pour adhérer d’emblée à une vision rationaliste du monde qui écarterait toute approche ésotérique, intuitive en un mot non cartésienne.
Par ailleurs « Selon la tradition scolastique, l’intellect de l’homme remplit diverses fonctions que l’on peut classer sous trois catégories principales: la formation des idées, la jonction des idées dans le jugement, la jonction des jugements dans le raisonnement…[l’homme] peut parvenir à une grande habilité dans l’élaboration des raisonnements dans le processus de la connaissance, tout en négligeant les deux autres opérations: la conception des idées et la formation des jugements.
Or le rationalisme est l’attitude intellectuelle qui professe que le raisonnement est la fonction de la connaissance la plus précieuse…on la développe par le syllogisme et la méthode déductive. On appuyait l’exaltation du raisonnement aux dépens des autres activités et facultés intellectuelles par l’autorité d’Aristote, par ses œuvres sur la logique dont l’étude était largement répandue.Une crise très complexe du rationalisme se dessine au XV ème s.].
Le but de l’opposition générale à la dictature de l’intellect raisonnant est de rappeler les autres fonctions de l’esprit que l’on avait négligées. La première est la conception des idées et leur représentation. Il s’agit des activités de l’esprit qui permettent de pénétrer la teneur intellectuelle des idées, de concepts non matériels. C’est aussi un exercice, un perfectionnement des facultés d’examen, de contemplation, d’intuition... L’autre activité, menacée elle aussi, la formation du jugement, commence à attirer l’intérêt des milieux savants. On avait perdu le sens de la nature des jugements négatifs, positifs ou décisifs. Le XVème siècle voit la renaissance de cet esprit critique…Si ce n’est plus le raisonnement qui doit décider de l’exactitude des jugements, il reste comme recours la connaissance par les sens et l’empirisme » (Stefan Swiezawski Histoire de la Philosophie Européenne au 15ème s.-P.113-114; Edit. Beauchesne 1990).
Ainsi, toute une frange de l’Humanisme ne va pas intégrer le rationalisme comme moteur de la noétique. Ici, interviennent les platoniciens comme Nicolas de Cues, Pic de la Mirandole, Marsile Ficin qui se sont particulièrement intéressés à l’hermétisme du Trismégiste, et l’hermétisme de Raymond Lulle au travers de l’important mouvement du Lullisme,. Mais ne restent pas sans voix, les « anciens » scolastiques comme le scotiste Gansfort Wessel (ca.1419-1489), que Luther considérait comme un précurseur de la réforme. L’imprécateur Savonarole, pendu et brûlé en place publique en 1498 à Florence, s’éleva tout autant contre le pouvoir financier des Médicis que contre le relâchement des mœurs ecclésiastiques, et s’opposant à l’humanisme organisa sur la Place de la Seigneurie, là-même où il sera brûlé quatre ans plus tard, un autodafé au cours duquel furent jetés au feu quantité de livres et d’objets et instruments de jeu et de plaisirs.
A la Renaissance, particulièrement dans la seconde phase de la Haute Renaissance au XVIème siècle, les arts sacrés connurent un fort regain d’intérêt. Les forces obscures, occultes, cosmiques furent l’objet de nouvelles études et recherches pratiques. L’hermétisme d’un Marsile Ficin, le cabalisme d’un Pic de la Mirandole, l’interdépendance universelle d’un Paracelse, l’art du feu d’un Grosparmy, l’ésotérisme d’un Corneille Agrippa, la philosophie naturelle d’un Giordano Bruno, le lullisme de Padoue ou des Chartreux de Vauvert ( près du Luxembourg, Paris) font partie intégrante d’un mouvement Renaissant qui, riche en ses orientations, complexe , à le ramener à l’émancipation de l’homme vis-à-vis de la religion et de ses dites superstitions médiévales, et à une avancée décisive du rationalisme dans les mentalités, risque de lui ôter sa « substantifique moelle. »
Quant à la scolastique à laquelle l’humanisme naissant va opposer de nouvelles matières et d’autres méthodes d’enseignement, elle est loin d’être à l’agonie même si ces derniers jours sont arrivés et non des plus brillants. A Padoue, par exemple, où à cette époque commencent les premières dissections anatomiques, la dynamique université scolastique jouera encore un rôle important tout au long du XVème siècle. Elle maintiendra un enseignement fondé sur le nominalisme (voir Tome 1). La tradition médiévale y est forte aussi au travers de l’œuvre de Raymond Lulle (1232-1315). C’est dans cette université qui possède « la collection lullienne la plus riche et la plus importante d’Italie, que se développe le cercle lullien le plus influent autour du professeur universitaire Fantini Dandolo. (Eusebie Colomer in Les Chemins du Lullisme en Europe). Les averroïstes et alexandristes, disciples de l’humaniste Pomponace (†1525), s’y affrontent; Tous aristotéliciens, les uns soutenant que l’âme individuelle réintègre après la mort l’âme universelle, tandis que les autres affirmant que l’homme à la mort se dissout dans la matière universelle. Mais le foyer culturel de la péninsule va finir pas se déplacer sur Florence. Cesare Cremonini (1550-1631), très célèbre en son temps, professera encore à Padoue dans le premier quart du XVIIème siècle un aristotélisme hérité du Collège de Navarre fondé en 1304[6], et toute son œuvre sera en latin.
Après la mort du dernier grand scolastique qui annonce d’ailleurs l’humanisme, Jean de Gerson (†1429 cf. Tome 1/ Les Derniers Scolastiques), l’Université de Paris traverse une période difficile de troubles, d’instabilité, de grèves estudiantines et d’opposition royale. Elle a soutenu les Anglais pendant la Guerre de Cent ans qui s’achève en 1453. L’Université d’Oxford où domine le nominalise médiéval reste très active face aux Thomas Moore et autres Lord Montjouy, amis d’Érasme. Les plus beaux fleurons de la scolastique des XVème et XVIème siècles , sont l’augustinien Barthélemy Arnoldi[7] (1465-1532), qui eut pour disciple et ami Martin Luther mais auquel il s’opposa néanmoins, et le Cardinal Thomas de Vio dit le Cajetan (1469-1534), grand commentateur de Thomas d’Aquin, Vicaire Général des dominicains, ambassadeur du pape auprès de Luther.
Connu pour sa controverse à Ferrare contre Pic de la Mirandole, Le Cajetan,joua un rôle prépondérant au Vème Concile de Latran (1512-17). Il est l’auteur de l’Analogie des Noms, (De Nominum Analogia 1498), ouvrage dans lequel, il revient sur la théorie de l’analogie des noms, développée par St Thomas d’Aquin qui, notamment dans De Nominibus Dei, répondait à la question de savoir si les mots par lesquels nous qualifions Dieu révèle Dieu totalement transcendant ou se limite à désigner une connaissance seulement humaine de Dieu. Pour le Cajetan, les noms posent les fondement mêmes de la métaphysique.[8] En 1277, par l’Articuli Parisienses (La Condamnation Parisienne), Étienne Tempier[9], évêque de Paris, pourfendeur de l’averroïsme condamna plus de deux cents propositions dont une quinzaine de celles de St Thomas. (L’opinion selon laquelle le cardinal-archevêque de Canterbury, Robert Kilwarby, aurait fait interdire l’enseignement de certaines thèses comme thomistes est de nos jours démentie).
“La Condamnation Parisienne de 1277 nous fait assister à un affrontement entre visions divergentes de la philosophie et nous parle de modes d’existences concurrents: par conséquent, il est question ici non seulement de conflits doctrinaux mais plus encore d’enjeu épistémologiques et éthiques qui revêtent une importance cruciale pour l’histoire de la pensée en Occident” (David Diché, La Condamnation de Paris. Edit J.Vrin, 1999)
Cette condamnation aura des répercutions jusqu’au XVème siècle où la question de l’accès aux vérités divines et à l’immortalité de l’âme peut soit ne se faire que par révélation, par la lumière divine, soit dans une voie ascendante allant de la connaissance de la nature et de l’homme comme images de Dieu -par la « connaissance naturelle » (la lumière de l’intellect humain)- à la connaissance de l’existence de Dieu, auquel cas, la théologie ne serait que la confirmation de la philosophie.
Dès le XIIème siècle avec entre autres Abélard s’appuyant sur les traductions de l’Organon d’Aristote par Boèce, l’aristotélisme avait fait son chemin et au XIIIème siècle, la controverse entre franciscains augustiniens et dominicains aristotéliciens n’allait pas jusqu’à un pour ou contre Aristote. Le réaliste Duns Scot (1266/74-1308
Le nominaliste[10] G. d’Ockam (1285-1347), son supposé disciple, poussa le rationalisme de la veine thomiste dans toutes ses conséquences. De même qu’il sépara le spirituel du temporel dans la vie de la société humaine, il sépara de manière radicale théologie et philosophie. Avec lui, en quelque sorte, la philosophie aller acquérir ses lettres de noblesse : le philosophe usant de sa raison ne se doit plus d’être aussi théologien en questionnant ce qui touche à la connaissance du divin. La philosophie n’a plus à être au service de la théologie. L’on peut bien croire et affirmer ce que l’on veut sur Dieu, ce n’est pas par aspiration intérieure, un « besoin d’absolu » que l’on va à Lui. Mais, c’est à partir de notre connaissance sensible des choses du monde que l’on peut se convaincre de son existence. Quant aux attributs divins, nous les attribuons à Dieu, les faisant divins de notre propre affirmation sans qu’ils ne nous prouvent ni leur existence et ni la Sienne.
Ce nominalisme extrême est déjà la marque d’un scepticisme que ne cesseront d’amplifier les humanistes du siècle suivant. Cette démarche inductive qui va du particulier au général, du relatif à l’absolu, de l’expérience sensible à l’intelligence des choses annonce l’empirisme d’un Locke au XVIIème siècle.
Les uns et les autres interprètent à leur manière De Anima. S’ils accordent plus ou moins d’importance à l’intellectuel possible et à l’intellectuel actif (agent), tous néanmoins adoptent le syllogisme aristotélicien comme mode de raisonnement (Voir Tome 1/ 1200/ La Scolastique).
Notes
[1] Montaigne, grande figure aussi de la Renaissance française, se tient plutôt à l'écart du fait religieux. Les appréciations des philosophes et commentateurs sont diverses et contradictoire sur les rapport de ce nouveau-chrétien* avec sinon la croyance en une transcendance du moins dans ses rapports au Dieu du Christianisme, à la foi. Pour les origines juives des ancêtres de Montaigne voir Sophie Jama, L'Histoire Juive de Montaigne' Édit.Flammarion 2001.
[2] Selon certaines sources, c'est à Padoue que les chemins de Boccace et de Pilate se serait croisés.
[3] Lorenzo Valla (1407-1457 ),humaniste et philologue, surtout connu pour cet ouvrage ouvrant la philologie à une lecture linguistique critique des textes originaux (sacrés). Il est sans doute le premier à utiliser le terme de "gothique" par lequel il désigne la forme d'écriture du Moyen-âge. Lefèvre d'Étaples qualifiera le nominalistes de "gothiques".
[4] Le principe de base selon Vitruve comme des artistes antiques est que l'artiste doit imiter la nature. " Les publications de la Renaissance italiennes en matière de théorie et d'histoire de l'art ont insisté sur le fait que l'art a pour mission d'être une imitation directe de la réalité." (Erwin Panofsky in Idea, Édit. Gallimard, 1989)
[5] Sept arts libéraux : Le Triumvir : grammaire rhétorique, dialectique ; le quadrivium : arithmétique, musique, géométrie, astronomie.
[6] Voir Moyen-Âge/ Philosophie et Spiritualité/1300/ Jean de Gerson
[7] Barthélémy Arnoldi est né à Usingen dans le land de Hesse dont le Landgrave, Philippe 1er le Magnanime, fut un des principaux soutiens de la Réforme. Son disciple et ami, Luther ne convint jamais, malgré ses efforts, à le rallier à sa cause. En 1512, il se fit moine augustinien est le demeura jusqu’à sa mort. Fidèle au pape, il écrivit de nombreux ouvrages contre les hérésies de son temps. Il est un des tout derniers grands représentants de la scolastique qui résista au mouvement de la Renaissance.
[8] Se reporter à Mark Raukas, 'Univocité, Équivocité et Analogie' (Mark Raukas :https://www.folklore.ee/folklore/vol15/analogie.htm et Bruno Pinchard, Métaphysique et Sémantique autour de Cajetan Édit J.Vrin 1987 : https://www.google.fr/books/edition/Métaphysique_et_sémantique/vSf-e0CAcWsC?hl=fr&gbpv=1&dq=métaphysique+sémantique+cajetan&printsec=frontcover).
[9] " Le développement prodigieux des études sur Aristote au 13ème siècle a inquiété les autorités ecclésiastiques qui craignaient que la philosophie florissante ne dévore la théologie. En d'autres termes, les milieux ecclésiastiques affirmèrent de manière décisive que les vérités reconnues au moyen du raisonnement de l'intellect (revelabilia) sont subordonnées aux vérités révélées (revelata). St Thomas était persuadé que l'homme était capable de connaître certaines vérités concernant la réalité de Dieu et l'immortalité de l'âme sans l'aide de la révélation." (Stefan Swiezawski Histoire de la Philosophie Européenne au 15ème s.-Pg.114; Edit. Beauchesne 1990)
[10] Le terme de 'nominalisme' qui "affirme que seul le particulier est objet de connaissance, que les idées générales ou universaux n'ont pas de réalité hors de l'esprit qui les conçoit" (J. Ancelet-Hustache opus cité) est apparu seulement au XVème siècle. Jusqu'alors, c'est le terme de 'terminalisme' qui est employé en opposition à celui de 'réalisme' qui qualifie la thèse inverse. (Voir Tome 1/1100/ La Querelle des Universaux).
Les Premiers Humanistes - Les Grands Innovateurs - La Seconde Génération
En 1360, Boccace, ayant répondu à l’invitation de son ami Pétrarque, se fait accompagner de Naples à Venise par Léonce Pilate[1]. Léonce Pilate (†1366), lettré grec, natif de Calabre, avait perfectionnait son grec et l’avait enseigné d’abord en Crète. Boccace va lui faire obtenir une chaire à l’Université de Florence pour qu’il enseigne la langue de Socrate, en lisant à haute voix comme cela se pratiquait en ce temps, les manuscrits venus de Grèce. Pilate sera le premier traducteur en italien de Platon, d’Aristote, d’Homère et d’Euripide. A cette époque de la fin du XIVème siècle et du début du XVème siècle, Florence est sous la domination de grandes familles, telle la famille Albizzi, qui s’en disputent la gouvernance. En 1434, Cosme l’Ancien (1389-1464) sera le premier à amener les Médicis à gouverner.
Après Léonce Pilate, l’un des tous premiers érudits à enseigner pendant quelques années, de 1397 à 1400, le grec à Florence, est le diplomate grec byzantin Manuel Chrysoloras (1355-1415). Guarino Véronese (ou d’Averona, 1370-1460), après avoir appris le grec auprès de Chrysoloras à Constantinople de 1403 à 1408, l’enseigne à son tour à Vérone, Padoue, Venise et à enfin Ferrare où à l’école fondée par le Marquis Nicolas III d’Este il enseignera pendant une trentaine d’année aux humanistes italiens et européens. Il va jouer ainsi un rôle important dans la propagation de la culture grecque antique en écrivant également des biographies d’Aristote, de Platon. Francesco Filelfo (1396-1481) sera son élève et séjournera également à Constantinople de 1420 à1427. De grande culture, auteur prolifique de lettres, de poèmes, de tragédies, il ira professer dans toutes les grandes cités italiennes, Venise, Florence, Milan, Rome…
Le fils de Guarino Véronese, Batista Guarino [2] (1435-1513), sera professeur de rhétorique à Bologne à l’âge de 21 ans puis succédera à son père à la tête de l’Université de Ferrare où il poursuivra les méthodes d’enseignement que lui avaient transmises sont père. Dans son Petit Livre sur la Méthode d’Enseigner et d’Étudier (De Ordine Docendi et Studendi Libellus, 1459), il réprouve notamment l’usage de punitions physiques et préconise une saine émulation entre les étudiants. Ce qui est une des nouveautés de la méthode d’enseignement humaniste par rapport à celle médiévale.
Une des grands initiateurs à la culture grecque fut avec Chrysoloras, le grammairien Giovanni Malpaghin connu comme Giovanni da Ravenna (Jean de Ravenne , 1346-1417)[3]. Après avoir été le disciple de Pétrarque, il professe de rhétorique et l’éloquence à Padoue puis à Florence. Il sera le maître du Pogge (†1459, voir ci-après).
Nombreux auront été les lettrés, formés auprès de ces deux humanistes auprès de qui ils auront étudié les auteurs grecs dans le texte et qui feront connaitre ensuite la langue et la culture grecque.
D’autres érudits ramènent de leur voyage en Grèce ou plus exactement de Constantinople, les manuscrits de Xénophon, Plotin ou du poète Pindare, faisant ainsi en sens inverse le voyage qu’avaient fait Léonce Pilate. Jean Argyropoulos (1395-1487) quitte lui, avant qu’elle ne tombe en 1453 aux mains des Ottomans, sa ville natale Constantinople où il enseignait le grec pour l’enseigner à la Villa Carregi à partir de 1462. La Villa Carregi est la troisième des grandes villas médicéennes. Là, siège alors l’Académie Platonicienne (Academia Neoplatonica) que Cosme l’Ancien a fondé en 1459 sur le modèle de l’Académie d’Athènes fondé par Platon ver 387 av.J.C.. Argyropoulos va grandement participer à familiariser les Italiens à la philosophie grecque non seulement par son enseignement mais aussi par ses nombreuses traductions.
Parmi les plus illustres membres, élèves, qui fréquentent l’Académie, il y a Pierre et Laurent de Médicis, mais aussi le célèbre philosophe Marsile Ficin (1433-1499) qui en viendra à la diriger et l’historien des religions, Pic de La Mirandole (Giovanni Pico Della Mirandola, 1463-1494) qui orientera ses travaux vers les textes hébraïques. Jean Laskaris (1445-1535), grec d’origine, fait partie de cette vague d’exilés qui fait suite à la chute de Constantinople (1453). Protégé de Bessarion (voir ci-après) à Venise, qui l’envoya apprendre le latin à Padoue, Laskaris enseignera les auteurs grecs à Laurent de Médicis. On le retrouvera aux côtés du traducteur Claude Seyssel au début du XVIème siècle, travaillant de concert à la Libraire de Blois sous Louis XII ( Pour l’histoire du fonds de Blois, voir Humanisme Français).
Marsile Ficin (1433-1499) va commencer à traduire à partir de 1463, à la Villa Carrigi, suivant le désir de Cosme, l’Hermès Trismégiste, les Dialogues de Platon, les traités de Plotin et les commentaires de Proclus[4], Porphyre et Jamblique. Traductions qui s’étaleront jusqu’en 1497. Sa lecture de Platon, notamment, reste encore d’actualité. La Villa Carrigi, où il mourra, ainsi que Laurent de Médicis (1449-1492, que Savanarole aurait tenu dans ses bras à l’iinstant fatal), va rapidement devenir un lieu de rencontre des humanistes qui rayonne d’abord en Italie puis sur toute l’Europe. L’Allemand Reuchlin et le pédagogue anglais John Colet y séjourneront.
John Colet (1467-1519) réside à Florence de 1493 à 1496. Retour en Angleterre, il enseigne le grec à Oxford, centre de l’humanisme anglais. Théologien moraliste, il prône un retour à l’enseignement de la Bible qui tout au long du mouvement humaniste sera lue, notamment par les hébraïsant, de manière critique, réflexive.
Les auteurs ne sont pas les seuls ni même à l’origine de ce renouveau de la pensée antique qui suscitera la création de collections d’œuvres d’art et le début de leurs copies. Les imprimeurs érudits, les philologues traducteurs participent à ce mouvement humaniste. Coluccio Salutati (1331-1406), Chancelier de la République de Florence, défenseur de la studia humanitatis réunit autour de lui le premier cénacle d’humanistes : Niccolo Nicolli (1364-1437), fondateur d’une importante bibliothèque ; Leonardo Bruni (d’Arétin, 1374-1444), auteur d’une histoire de Florence, traducteur entre autres de Platon et Aristote, Plutarque et Démosthène ; Poggio Bracciolini dit Le Pogge (1380-1459), homme politique, auteur de traités philosophiques et politiques. Tous étudièrent Pétrarque, Boccace et découvrirent des manuscrits anciens. Le Pogge, notamment, en compagnie du romain Cencio De ' Rustici[5] (1380 / 90-1445) découvrira dans un monastère en 1417 la copie datant du IXème siècle du De Natura Rerum du poète latin Lucrèce (1er s. av.J.C.), poème en 7400 hexamètres qui illustre la doctrine du philosophe grec Épicure et qui veut présenter au lecteur la nature telle qu’elle est une fois qu’elle est débarrassée des superstitions qui la voilent. D’aucuns font de cette découverte, le commencement de la Renaissance. Mais l’on sait que l’intérêt pour la culture grecque, de ses textes et de ses auteurs, remonte déjà au XIVème siècle. Boccace avait fait obtenir au grec Leonce Pilate († 1366) une chaire à Florence pour enseigner le grec. Manuel Chrysoloras (1355-1415) invité par les premiers humanistes, enseigna le grec à Florence de 1397 à 1400, et le diplomate grec byzantin Guarino Véronese (1370-1460), après l’avoir appris de ce dernier, l’enseigne à son tour dans différentes villes de la péninsule.
Marsile Diotifici dit Ficin (1433-1499) est né non loin de Florence. Issu d’une famille de médecins, il étudiera la médecine mais aussi la grammaire, la théologie, les penseurs musulmans (Avicenne, Averroès) et le grec. Cosme l’Ancien, maître de Florence, qu’il considère comme un second père et dont il sera le médecin, fonde en 1459 l’Académie Platonicienne (Accademia Careggi) dont il aurait reçu l’inspiration vingt ans plus tôt au Concile de Bâle-Florence (1439, voir Nicolas de Cues). Il lui en confie la charge en 1462.
En 1463, Cosme lui demande la traduction en latin de textes grecs. Il s’agit de texte écrits au 2ème et 3ème siècles constituant le Corpus Hermeticum et réunis sous le titre du Pimander. Leur publication en 1471 à laquelle sont ajoutés l’Asclepios –texte prophétisant la fin de la domination romaine en Égypte- et le Crater Herméticum de Lazarello, marque le début du renouveau de l’hermétisme Renaissant.(voir Humanisme/Arts Sacrés/Hermétisme).
Ordonné prêtre en 1473, Ficin devra attendre1487 pour être nommé chanoine de la cathédrale de Florence et recevoir les bénéfices de sa charge.
En 1494, Laurent est mort depuis deux ans ; son fils Pierre lui a succédé[6] et Savonarole, antihumanisme, n’a eu cesse de lancer depuis ces deux ans ses austères prédications sur une population florentine dont il veut réformer les mœurs qu’il juge dissolues. Ses partisans, les piagnoni (pleurnicheurs), qui tiennent le haut du pavé, malgré la forte opposition menée par les arrabiati (furieux), leurs adversaires, parviennent à chasser Pierre II.
En 1491, Anne de France (de Beaujeu, 1461-1522) qui exerçait de fait la régence du royaume depuis la mort de Louis XI († 1483) doit ‘‘rendre’’ le pouvoir à son frère le roi Charles VIII (1470-1498). Le jeune roi est ambitieux, et à 24ans, s’intronise roi de Naples. En 1494, avant d’atteindre Naples, il entre d’abord à Florence. A son entrée dans la ville, comme ensuite à Rome et Naples, il est accueilli en libérateur. Savonarole l’accueille en ‘Ange Vengeur’ et n’en est que plus conforté dans ses admonestations. Ficin quitte la cité, il y reviendra pour mourir cinq ans plus tard à la Villa Carregi où il avait assisté à la mort de Laurent aux côtés de Savonarole.
Marsile aura été le grand traducteur de la Première Renaissance. Il traduit en latin toute l’œuvre de Platon et il est le premier à traduire Plotin (205-270). Cette traduction du premier néoplatonicien de l’ère chrétienne, si l’on excepte Philon d’Alexandrie (†45), est dans son accès direct au néoplatonisme déterminante pour les florentins et tous les humanistes de la Renaissance. A Plotin, Ficin emprunta pour sa cosmogonie le concept de semences, génératrices des choses de la nature. Il emploiera les mêmes termes qu’avait employés Saint Augustin, lui-même influencé par la théorie de logoi spermakitoi des stoïciens et plus avant des pré-socratiques[7].
Non seulement, Ficin aura traduit en latin Platon et Plotin mais aussi son disciple Porphyre (204-305?) et le disciple de celui-ci Jamblique (250-330) ; de l’École d’Athènes : Proclus (412-425)[8] et Synésios de Cyrène (ca.370-ca.414) ; et de l’École d’Alexandrie : Priscien de Lydie; Ainsi qu’ Hermès Trismégiste.
« Ficin, se référant à Saint Augustin, fait d’Hermès Trismégiste le premier des théologiens : son enseignement aurait été transmis successivement à Orphée, à Aglaophème, à Pythagore, à Philolaos et enfin à Platon. Par la suite, Ficin place Zoroastre en tête de ces prisci theologi, [premiers théologiens] pour finalement lui attribuer, avec Mercure, un rôle identique dans la genèse de la sagesse antique : Zoroastre l’enseigne chez les Perses en même temps que Mercure l’enseigne chez les Égyptiens... La traduction d’Hermès Trismégiste par le Ficin, imprimée dès 1471, est le point de départ d’une véritable renaissance de l’hermétisme philosophique. »
(Karel Vereycke : http://www.solidariteetprogres.org/ documents-de-fond-7/culture/article/albrecht-durer-contre-la-melancolie-neo.html)
Au-delà de ses traductions, sa pénétration de la pensée grecque a fait, et font encore de nos jours, de ses exégèses une référence. Amore, exégèse du Banquet reste un modèle du genre. Outre ses exégèses et traductions, Ficin laissera une Theologia Platonica de immortalitate animae (Théologie Platonicienne de l’Immortalité des Âmes, 1482) et De Triplici Vita ou De Vita Libri Tres (Trois Livres de la Vie, 1482>1489), trois livres de préceptes pour une vie saine, longue et préparatoire au Ciel.
“Un des livres d’astrologie médicale des plus influents de la fin du XVe siècle. Contrairement à d’autres qui ont vu l’astrologie comme une menace pour le christianisme (en supposant une capacité à prédire ce que Dieu décide), Ficin a réussi à composer avec des point de vue et des philosophies diverses”.
Le Comte Giovanni Pico Della Mirandola (1463-1494), né à Mirandola (Émilie-Romagne), est issu de la noblesse du Duché de Ferrare sur lequel règne la puissante famille d’Este. Il entre à l’Université de Bologne à peine âgé de 14 ans. Avide de savoirs, ne voulant pas se cantonner dans une spécialité, il interrompt ses études et voyage pendant plusieurs années en Europe, d’universités en universités, à Padoue, à Ferrare et puis à Paris en 1485. Ce Jeune homme doté d’une belle éloquence, au savoir encyclopédique -Il étudie l’hébreu, l’arabe, le chaldéen- attire à lui les plus grands, aussi bien Charles VIII à Paris que Laurent de Médicis (1449-1469-1492) qu’il rencontre lors du premier séjour à Florence en 1486 et se lie d’amitié durable avec Savonarole et sera probablement l’amant du Politien (voir Littérature).
En 1485, à Paris, il approfondit sa connaissance de la scolastique et se lie d’amitié (intime ?) avec Le Fèvre d’Étaples (1450-1536).
En 1486, à l’âge de 24 ans, de retour en Italie, à Rome, il publie 900 articles réunis en Conclusions Philosophiques, Cabalistiques et Théologiques. Il invite les érudits à venir dans la cité papale pour débattre avec lui, en se proposant, si nécessaire, de leur payer les frais. Sans succès. Certaines de ses thèses, non des plus importantes, sont jugées hérétiques. Par exemple, il considère qu’un péché mortel ‘pouvait’ ne pas vouer à la damnation éternelle, que la transsubstantiation ‘pouvait’ ne pas être prise en son sens littéral de transmutation effective d’une essence en une autre[9].
Mais c’est la place qu’il accorde à la kabbale dans l’approche de la connaissance des vérités divines qui inquiète le plus le tribunal devant lequel le pape le fait comparaître. Il se rend en cette même année à Florence. En 1488, il écrit en guise de défense, Apologia, qu’il dédie à Laurent sans succès. Son amitié avec Ficin qui le défend, se renforce à cette occasion -Tous deux, et à titre égal, dans toute l’Europe sont les deux grands vecteurs de la pensée humaniste- Pic choisit de prendre la fuite. Arrêté en Savoie (ou à Lyon ?), il est enfermé quelques temps au Château de Vincennes sur ordre de Charles VIII.
Libéré la même année, il s’installe à Fiesole, non loin de Florence. Il se rapproche du Savonarole spirituel mais non pas du Savonarole imprécateur. Il écrit De la Mort du Christ et De la Vanités des Doctrines Païenne. Ce qui peut paraître surprenant de la part de celui qui, imprégné de la pensée musulmane et notamment d’Avicenne, mais aussi de Platon et de tous les néo-platoniciens, n’a jamais été étranger ni à l’astrologie ni à la magie. Il fut le fondateur de la kabbale chrétienne qui, pour le moins, ne pouvait trouver de concordance avec l’orthodoxie romaine. Il doit attendre 1493 pour que le pape Alexandre VI qui entre temps a succédé à Innocent III se montre clément.
En 1494, alors qu’il n’est âgé que de 31 ans, une fièvre le terrasse en deux semaines. Savonarole qui ‘règne’ alors sur Florence, l’aura assisté et aura selon son souhait fait revêtir sa dépouille de l’habit des dominicains. L’ironie du sort voudra que Pic meure à Florence le jour même où Charles VIII entrera dans la ville (M. Gandillac Histoire de La Philosophie), acclamé par la population pro-républicaine en libérateur et par un Savonarole dont les prêches, qui enflammèrent le jeune Comte de la Mirandole, vont se faire de plus en plus virulents, appelant à l’autodafé (acte de foi)… jusqu’à ce qu’il soit lui-même enflammé.
Il n’a jamais été attesté que Pic, que l’on a dit féru de magie comme Ficin, l’ait jamais pratiquée. Sur la question de l’astrologie, s’opposant à son ami, il objectera dans ses Disputationes adversus astrologiam divinitricem (1492), que les astres n’ont aucun effet sur l’esprit mais seulement sur la matière. Quant à la kabbale dont on dit qu’il fur le créateur de la version chrétienne, quelle que soit l’importance qu’il lui ait donnée, il ne fait jamais référence à elle que pour confirmer la vérité du christianisme.
Il faut imaginer Pic arrivant en 1486 dans une Florence en pleine effervescence intellectuelle, arrivant sans doute au sommet de son rayonnement culturel, sous la gouverne d’un poète humaniste, Laurent dit le Magnifique, auteur de cansons d’inspiration courtoise; Une Florence source de la Renaissance[10] Humaniste et Artistique; Une Florence qui, véritable geyser d’idées nouvelles, baigne dans cette atmosphère où Dante et Boccace sont dans tous les esprits mais où la tradition chevaleresque revient en vogue. C’est la ville qui a connu des architectes, des peintres et des sculpteurs comme Filippo Brunelleschi († 1446), Masaccio (1401-1428) auquel on attribue le départ de la Renaissance en peinture, Paolo Uccello (†1457), et où vivent Donatello (1444-1514), Piero Della Francesca (†1492), Botticelli (1455-1510), Fra Angelico († 1544). Le jeune, le beau, le noble, le riche, l’érudit, l’éloquent Comte de Mirandola, âgé de 24 ans, séduira et sera séduit par cette effervescence intellectuelle. Sa curiosité, sa soif de savoir, qui fera dire à Voltaire qu’elle le rendait superficiel, le porteront à s’intéresser aux arts et aux idées nouveaux, à les assimiler, à en approfondir pour lui et pour les autres leur connaissance mais sans pour autant toujours les faire siennes.
De la Dignité de l’Homme (Oratio de hominis dignitate) que Pic écrira en défense de ses Conclusions Philosophiques, Cabalistiques et Théologiques est à ce titre exemplaire. Avec cette adresse au pape, qui ne sera jamais envoyée mais publiée post mortem, Pic y affirme cette liberté et cette volonté dont Dieu l’a doté, « que l'homme est dit et estimé un grand miracle et un merveilleux être animé …. À qui il est donné d'avoir ce qu'il veut, d'être ce qu'il veut» (§ 5/18... § 6/25).
Dans une vision œcuménique, il fait référence à Hermès Trismégiste, aux Oracles Chaldaïques, au Timée, aux néo-platoniciens Porphyre (204-305), Jamblique (250-330), le Pseudo-Denys l’Aréopagite (6ème s.), à la Kabbale juive, aux Ancien et Nouveau Testaments, aux présocratiques, Empédocle et Héraclite… Est-ce pour l’universalité de son esprit qu’au XIXème siècle, « l’inventeur » de la Renaissance, l’historien suisse Jacob Buckhardt (1818-1817) fera de ce texte, le texte emblématique de cette période?
Ce discours (oratio) est resté comme l’œuvre majeure ou du moins comme la plus connue de La Mirandole et des plus représentatives de cette mentalité nouvelle qui émerge avec la redécouverte ou du moins la relecture des philosophes grecs, comme annonciatrice du Siècle des Lumières.
“ Certes, Pic y donne de l’homme une conception grandiose et exaltante, mais c’est la conception cosmocentrique ou théocentrique traditionnelle, qui place l’homme au centre d’un monde déjà là. À partir de cet «observatoire» — le mot est de Pic — l’homme a pour mission de contempler l’ordre de l’univers. Sa liberté s’y déploie, mais c’est une liberté d’acceptation, ou de refus, jamais ce n’est une liberté de création. L’ordre des valeurs est inscrit dans l’ordre de la nature et en découle. L’homme peut donc découvrir cet ordre, il ne peut aucunement le modifier ni y substituer le sien propre.”[11]
Les nombreuses et éclectiques références, l’emploi d’un style qui fait appel à toute l’élégance du latin littéraire est un choix délibéré. Il s’agissait en ce ‘plaidoyer’ de se faire approuver et soutenir par le cénacle humaniste, notamment par Laurent, très attaché à l’auteur. En cela, ce discours tranche avec le reste de son œuvre dans laquelle Pic n’hésite pas à user de ce latin des scolastiques, ce « latin de cuisine » que les humanistes arboraient.
Pic, aussi ouvert qu’il soit aux autres pensées, aussi grande soit sa curiosité des autres cultures et quoi que l’on ait dit de l’importance qu’il accorde à la cabbale comme mode de connaissance, il n’en reste pas moins profondément attaché au Moyen-âge. Il défendra D. Scott, le ‘Doctor Subtil’, honnis des humanistes qu’il a longuement lu et aussi critiqué.
Pietro Pomponazzi (Pierre de Mantoue, 1462-1525), plus connu sous le nom de Pomponace commence ses études dans sa ville natale de Mantoue[12] et les poursuit à Padoue où il obtient son doctorat de médecine en 1487. En 1494, il enseigne à l’université la « philosophie naturelle ». Après 1509, pour des raisons politiques liées aux troubles que traverse la République de Venise, l’université est fermée. Pomponace s’établit à Ferrare où le Duc d’Este lui confie un poste à l’université. Pour les mêmes raisons, il doit quitter Ferrare. Il retourne à Mantoue avant d’aller enseigner définitivement en 1512 à Bologne où il mourra. C’est à partir de cette date qu’il va écrire à Bologne ses ouvrages essentiels. Quelles qu’aient pu être les réprobations de l’Église vis-à-vis de ses positions naturalistes, il ne fut jamais inquiété.
A Padoue, séparant définitivement la philosophie de la théologie, suivant en cela Guillaume d’ Occam († 1347, Voir Tome 1/Les Derniers Scolastiques), il s’était déjà s’opposé avec ses disciples, les alexandristes, aux averroïstes sur la question de la survie de l’âme. Chacune de ces disciplines, philosophie et théologie, aborde des domaines de connaissances dissemblables, l’une tout ce qui touche à la nature, l’autre à la question divine. Si l’une empiète sur le domaine de l’autre, elle peut révéler une vérité qui est vraie pour elle non pour l’autre. Dans De Immortalitate animae (1516), il développe cette thèse de la ‘double vérité’, et soutient que si pour le théologien l’âme est immortelle pour le philosophe, elle peut ne pas l’être. Pomponace se défendra toujours de ne pas être théologien et regrettera de ne pas avoir été nommé pour enseigner la théologie mais la philosophie d’Aristote. Ouvrage d’un théologien ou d’un philosophe, il souleva quoiqu’il en soit un tollé dans le monde ecclésiastique
Dans De naturalium effectuum causis sive de incantationibus (Les effets d’une cause ou des enchantements naturels) écrit entre 1516 et 1520, paru en 1536, Pomponance enfonce comme l’on dit le clou. La magie est en question. Ses formules (prières) et potions sont- elles efficaces? Les phénomènes merveilleux, les enchantements, les miracles sont-ils bien surnaturels? Pompazzi affirme que, in fine, leurs causes sont naturelles. Si les êtres dits séparés (anges, démons) peuvent bien déplacer les objets, pour les altérer, ils doivent user de moyens, d’objets naturels (pierres, herbes etc.). De ce fait, les enchantements et autres merveilles peuvent tout aussi bien se produire non pas seulement par un recours à ces êtres séparés mais par la main humaine et particulièrement celle d’un homme qui en acquis la science et l’usage.
« Les miracles » ne sont pas ‘‘contre nature ni extérieurs à l’ordre naturel‘‘, ce sont seulement des effets ‘‘rares et inhabituels’’ qui ne se produisent pas conformément au cours ordinaire de la nature, mais seulement à des intervalles de temps très éloignés les uns des autres.[13]»
La pensée de Pomponace est un jalon important de l’avancée dans la pensée occidentale d’un naturalisme qui, initié par St Thomas, aboutira à celui de Spinoza. Il ne s’agit pas d’un matérialisme. Pomponace reconnaît le rôle de l’âme (psyché) dans la vie du corps, les effets que nous qualifions aujourd’hui de psychosomatiques.
Le Mantouan «occupe, si l’on fait abstraction de Pic de la Mirandole, une place plus importante que tous les autres philosophes de son temps dans la conscience des érudits à cause de sa lutte contre le concept d’immortalité de l’âme.» (E.Bloch, La Philosophie de la Renaissance. Édit. Payot 1944).
Filippo Bruno (1548-1600), né près de Naples dans une famille modeste de petite noblesse, prendra le prénom de Giordano en hommage à Giordano Crispo qui lui a enseigné la métaphysique. A 14 ans, après avoir fait des études tournées vers les auteurs antiques et la langue latine, il entre à l’université publique de Naples . Il suit conjointement des cours particuliers par lesquels il découvre l’art de la mémoire (voir Humanisme et Arts Sacrés/ Giulio Camillo & l’Art de la Mémoire) pour lequel il se passionnera. A dix sept ans, il entre au couvent dominicain réputé de San Domenico Maggiore, siège de l’ordre dans le Royaume de Naples alors sous la domination de la couronne espagnole. Il y apprend la théologie, mais ses pôles d’intérêt véritable se portent ailleurs, vers Érasme, qui n’est pas en odeur de sainteté, la magie, l’hermétisme et la cosmologie sous son angle scientifique autrement dit l’astronomie. Rebelle, il s’oppose au culte marial, à la conception de Dieu trinititaire : L’Un en trois personnes consubstantielles (Voir Réforme. Réforme Radicale/M Servet et l’Antitrinitarisme).
Huit ans plus tard, en 1573, il est fait prêtre mais trois ans après, alors qu’il a commencé à enseigner la théologie, il est soupçonné d’hérésie. Il abandonne de lui-même la soutane et se trouve à Rome en 1576. Une vie errante va commercer pour lui qui va durer une quinzaine d’années.
Jusqu’en 1578, il pérégrine. En Italie d’abord, de Gênes à Noli, de Savone à Turin, de Venise à Padoue... Pour survivre, il donne des cours d’astronomie. Il publie son premier ouvrage Des Signes des Temps dont on n’a aucune trace. Puis, on le retrouve ensuite à Chambéry, à Genève où il est adoptée par la communauté italienne calviniste à l’autorité de laquelle il ne va pas tarder à s’opposer. Il fréquente diverses académies. Rejeté, il part pour Toulouse où il enseigne et publie son Clavis Magna ( La Grande Clé[14] ) sur l’art de la mémoire. L’ouvrage est remarqué par Henri III. Il arrive en 1578 à Paris où il obtient la protection du roi. Période de répit, il développe sa pensée, enseigne au Collège Royal (Voir Guillaume Budé). En 1582, paraissent quatre de ses ouvrages : De Umbris Idearum (De l’Ombre des Idées), le plus connu, et Cantus Circaeus (Le Chant de Circée), Tringinta Sigilloru et Sigillus Sigillorum (Le sceau des Phoques) dans lesquels il expose une conceptionrévolutionnaire de l'astronomie selon laquelle la terre n’est pas le centre de l’univers, et l’univers n’est pas clos.
« Il développe deux lignes de pensée parallèles, l'une sur l'ontologie et l'autre sur l'épistémologie. Dans la première ligne de pensée, il délimite la structure métaphysique de l'univers et son processus d'individuation, appelé descension; la ligne de pensée épistémologique explique comment l'homme peut monter dans cette structure. Bruno insiste sur le fait que ces deux thèmes, la descension et l'ascension, doivent exister en conformité et, par conséquent, qu'ils doivent être conçus de manière uniforme. Comme il le soutient dans le Sigillus, l'ascension est une descendance inversée ».(Hilary Gatti, Giordano Bruno: Philosophe de la Renaissance, ebook 9781315254302 2017 Londres)
La même année paraît également Le Chandelier (Candelaio), «comédie satirique féroce à l’égard des mentalités de son temps, qui confirme son talent protéiforme et révèle un vrai style d’écrivain, original et vivant, lyrique et ironique, amoureux d’images frappantes, raffinées ou brutales.» (http://www.publius-historicus.com/bruno.htm)
Il quitte la France pour l’Angleterre en 1583 avec une recommandation du roi. Sa réputation le précède et l’accueil à Londres et à Oxford est froid. Paraissent à Londres sous forme de dialogue, De la Causa, Principio e Uno (De la Cause du Principe et de l’Un) peut-être son œuvre majeure, De l’Infinito, Universo e Mondi (De l’Infini, de l’Univers et des Mondes), Spaccio de la Bestia Trionfante (L’Expulsion de la Bête Triomphante), Cabala del Cavallo Pegaseo Con l’Aggiunta dell'Asino Cillenico (Cabale du cheval Pegaseo avec l'ajout de l'Âne Cillenic) et De Gl’heroici Furori (Le Fureurs Héroïques). Ces ouvrages finissent de le faire passer pour hérétique. Dans La Cabala, il confirme et précise sa pensée sur un univers infini et la pluralité des mondes. Il y soutient les thèses de Copernic. Tout en apportant une vision totalement nouvelle, il conserve une position humaniste d’un cosmos vivant, animé par des forces hermétiques.
Le Repas (du Mercredi) des Cendres (La Cena de le Ceneri),de la même année, ressort d’un banquet organisé par Sir Fulke Gréville au cours duquel Bruno fit « grand scandale » en défendant les thèses de Copernic[15].
En 1585, il est de retour à Paris. Le roi se détache de lui. Il part pour l’Allemagne où il séjourne à Magdebourg puis à Wittenberg où après les calvinistes de Génève, c’est l’Église luthérienne qui l’excommunie. Il le sera ensuite par Rome. Il part pour Helmstaedt et Francfort. Il publie ses Dialogues Latins qui comprennent De Minimo, De Monade, De Immenso et Innumerabiblibus. En 1591 paraît son dernier ouvrage, le plus complexe, De Imaginum Compositione. (De la Composition des Images, des Signes et des Idées).
Puis il se rend à Zurich et entre en Italie, à Venise, où le Doge Giovanni Mocenigo qui l’a invité pour qu’il lui transmette ses secrets de l’art de la mémoire le dénonce à l’inquisition dominicaine. Enfermé, sons procès durera huit années à la fin desquelles, en 1600, à l’âge de cinquante deux ans, il sera reconnu hérétique pour avoir refuser d’abjurer ses convictions. L’Inquisition le condamne et le remet aux mains de l’autorité civile[16]. Il est brûlé vif à Rome sur la place Campo Dei Fiori sur laquelle sera érigée en hommage à son sacrifie sa statue. Un autodafé, Place Saint Pierre, détruit toute son œuvre.
Opposé à la pensée aristotélicienne autant qu’à la pensée chrétienne, Bruno soutient les travaux et thèses de Copernic (†1543) et annoncent ceux de Kepler (†1630), de Galilée (†1642) et les Entretiens sur la pluralité des mondes habités (1686) de Bernard de Fontenelle (1657-1757). Il sera le premier à défendre une conception de l’univers qui renforce l’héliocentrime de Copernic: Non seulement la terre tourne au tour du soleil et non l’inverse, mais notre monde est un monde parmi bien d’autres semblables au nôtre. Dieu ne peut plus occuper la place centrale d’un univers sans centre, multiple à l’infini. Mais Bruno n’aborde pas l’univers au plan scientifique tel que nous l’entendons aujourd’hui, son approche est celle d’un hermétiste de la Renaissance influencée aussi bien par Raymond Lulle que par Pic de La Mirandole et surtout par la tradition initiatrice des pythagoriciens. C’est à Épicure et Lucrèce qu’il emprunte son idée de la pluralité des mondes (M. Gandillac Opus.cité)
Sa conception de l’univers est vitaliste. L’univers est animé comme au sein de la plus petite des choses par la monade. Au sein de tout chose minimale ou maximale, au plan métaphysique, la plus petite unité c’est la monade comme au plan physique, c’est l’atome et au plan mathématique, le point. Dans sa Monadologie (1714), Liebnitz reprendra cette notion de monade en la présentant comme immatérielle, inétendue et substrat de toute chose.
Le monde de Bruno est traversé d’une impulsion vitale unitaire.
Cette pulsion vitale traverse et anime toute chose, tout ce qui est du domaine du particulier, de l’individuel, du «minimum». C’est la raison pour laquelle toutes les choses particulières de l’univers, dont aucune n’est identique à l’autre comme le précisera Liebniz, peuvent constituer un «maximum», un tout, car c’est ce tout lui-même, cet infini, qui, de par son inépuisable abondance créatrice, se concrétise dans le particulier, «qui ne produit rien de général mais seulement des choses différentes les unes des autres, qui dépose dans chaque particules individuelles l’essence même de l’universel.» (E. Bloch , La Philosophie de la Renaissance, Édit. Payot 1994)
Cette conception de l’univers débouche sur le Hen Kai Pan (Un est Tout), sur le Panthéisme, hérésie pour l’Église depuis le Moyen-Âge. Le dieu du panthéisme n’est pas le dieu transcendant; Il n’est plus cette Personne créatrice de l’univers. Il est le Tout de l’univers, de la création. Pan- théisme signifie que Dieu est tout. Et étant tout, il est un. Bruno rejoint les philosophes naturalistes de la Renaissance et de la Grèce Antique. Ce dieu créateur de la Nature n’est autre que la nature elle-même (natura naturans). La Nature est pour lui «plus que l’esprit qui la mesure, la véritable puissance divine » et « l’ordre imprimé de toute chose »» (De Immenso, cité par M.Gandillac)
L’Eroico furore, la fureur héroïque, c’est ainsi que Bruno qualifie l’enthousiasme que provoque cette vision globale, cosmique, au-delà des vicissitudes, des contingences attachées au particulier, à l’individuel. Bruno voit en bon Renaissant, dans le cosmos, une «immense œuvre d’art.». Cet enthousiasme esthétique se transmettra jusqu’au poète et dramaturge Schiller (1759-1805) par l’intermédiaire de Shaftesbury (1671-1713). Mais cet optimisme est chez Bruno teinté de pessimisme. Il se désagrège avec l’homme qui «se trouve sacrifié à la nature» (M.G.) et devient inessentiel.
Notes
[1] Selon certaines sources, c'est à Padoue que les chemins de Boccace et de Pilate se seraient croisés.
[2] A ne pas confondre avec Giovanni Battista Guarini, né à Ferrare en 1538 et mort à Venise en 1612, poète dramaturge de la Renaissance qui avec le Tasse (Toruato Tasso, 1544-1595) renouvela le genre du Drame Pastoral avec Il Pastore Fido (voir Littérature/Poésie/Italie)
[3] A ne pas confondre avec Giovanni Conversini, dit Giovanni di Conversino, ou Giovanni da Ravenna (1343-1408), historien, grammairien d’origine hongroise à la vie plutôt itinérante, Padoue, Ferrare, Urbino, Venise où il meurt. Il fut entre conseiller de Nicolas d’Este, marquis de Ferrare et de Francesco de Carrara, Seigneur de Padoue, Il rencontra Pétrarque à deux reprises. Il enseigna la grammaire. Eut pour élève Guarino da Verona. Il écrivit des traités de philosophie morale et sur la vie de cour à Ferrare.
[4] Il est à rappeler que le 'Liber de Causi' qui joua un rôle primordial dans la réflexion philosophique du Moyen-Âge, est un recueil d'extraits tirés de l'Elementatio Théologica de Proclus (412-485), d'abord traduit en arabe puis de l'arabe en latin par Guillaume de Moebeck après 1261.
[5] Le romain Censio de’Rustici sera le premier à traduire le Bacchus du rhéteur Aelius Aristide (117 - vers 180 ap. J.-C.) dès 1416 à Constance. Il a été l’élève de Chrysoloras qui lui enseigna le grec de 1410 à 1415. Il hérita d’une partie de la bibliothèque de son maître que l’on peut supposer fournie en textes grecs de l’antiquité. Le Pogge, Chrystorolas et lui-même, écrivain apostolique de la chancellerie papale, suivirent le Pape Jean XXIII à Constance pour l’ouverture du Concile. Sur sa biographie voir http://www.treccani.it/enciclopedia/cencio-rustici_(Dizionario-Biografico)/.
[6] Depuis le XIIème siège, Florence s'est instituée en 'simple' commune. En 1434, avec Cosme l'Ancien, les Médicis détenant un pouvoir financier considérable, deviennent maître de la ville. A la mort de Laurent, en 1492, sous l'impulsion de Savonarole (†1498), Pierre II de Médicis est chassé de la ville qui s'érige en république. En 1512, elle revient sous la coupe des Médicis. En 1529, pour avoir pris parti pour François 1er la ville sera assiégée par la coalition menée par l'empereur du St Empire, Charles Quint qui, en 1532, élèvera Florence en duché et fera d'Alexandre de Médicis le premier duc de Florence. En 1569, la Toscane sera érigée en duché. En 1555, la République de Sienne y sera annexée. En 1559, la Toscane sera érigée en grand-duché. Cosme 1er de Médicis en sera le premier grand-duc. Un autre Alexandre de Médicis sera élu pape en 1605 sous le nom de Léon XII.
[7] Cf. Hiro Hirai Les 'logoi spermatikoi' et le concept de semence dans la minéralogie et la cosmogonie de Paracelse :
http://www.academia.edu/7962_Les_logoi_spermatikoi_et_le_concept_de_semence_dans_la_minéralogie_et_la_cosmogonie_de_Paracelse_Revue_d_histoire_des_sciences_61_2008_245-264
[8] Entre 1268 et 1281,Guillaume de Moebeck de l’École Rhénane avait traduit de Proclos (412-485) : Éléments de Théologie, Dix Questions Difficiles sur la Providence, De la Providence et du Destin, De la Subsistance des Maux, Commentaires sur le Timée et le Parménide.
[9] Depuis le XIème siècle, la présence du christ dans le pain et le vin était entendue comme symbolique, mais le 4ème Concile de Latran (1215) avait établi le dogme de l'eucharistie établissant par transsubstantiation la présence réelle du Corps et le Sang du Christ dans le pain et le vin. La transsubstantiation étant le changement d'une substance en une autre. Cette question de la transsubstantiation sera une des causes majeures de la séparation des protestants d’avec Rome et le sens de La Cène (la communion chez les catholiques), effective ou symbolique, sera un de points de divergence fondamentale entre protestants (luthériens) et réformés (Suisses et calvinistes) Voir Réforme. Il est à noter que l’ordination est le pouvoir conférer au nouveau prêtre d’effectuer par la Communion cette transsubstantiation. Le Corps et le Sang du Christ ne sont pas dans l’ostie ou pain azyme au moment de sa fabrication.
[10] Le mot fut employé pour la première fois par Giorgio Vasari (1511-1574) dans Les Vies (Le Vite de' più eccellenti pittori, scultori e architettori ,1550-1568) mais en référence à la période classique du 16ème siècle italien.
[11] Pour cette partie et en savoir plus: Louis Valcke, "Pic de La Mirandole", L'Agora, vol 1 no 7, avril 1994-
http://agora.qc.ca/Dossiers/Jean_Pic_de_la_Mirandole
[12] Mantoue sur laquelle, en cette seconde moitié du XVème siècle, règne le Marquis Ludovico Gonzaga dit le More qui a commandé à Mantegna le fameux décor de La Chambre des Époux et où son épouse Isabelle d’Este, qui joua un rôle important dans la diffusion des conceptions artistiques et littéraires nouvelles, lui demande de décorer son Studiolo ; Mantoue où nait en 1478, Baldassare Castiglione, auteur du célèbre Il libro del Cortegiano.
[13] Dagron Tristan, La doctrine des Qualités Occultes dans le De Incantationibus de Pomponazzi , Revue de métaphysique et de morale, 1/2006 (n° 49), p. 3-20.zi. http://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2006-1-page-3.htm
[14] Paolo Rossi donne pour date de sa publication 1582 in Clavis Universalis (Êdit.J.Millon, Paris 1993)
[15] Pour en savoir plus sur le Banquet du Mercredi voir Émile Namer Giordano Bruno, The Ash Wednesday Supper, La Cena de le Ceneri, trad, anglaise par Stanley L. Jaki. In: Revue d'histoire des sciences, tome 29, n°3, 1976. pp. 274-276. (www.persee.fr/doc/rhs_0151-4105_1976_num_29_3_1417)
[16] L’inquisition en tant que juridiction ecclésiastique n’a jamais eu le pouvoir de condamnation et d’exécution de la peine.
Le dominicain Albert le Grand (†1280) qui eut pour disciple Saint Thomas d’Aquin avait été à l’origine de l’École Rhénane. Ces derniers grands représentant furent les disciples de Maitre Eckart, JohannTauler († 1361) et Henri Suso († 1366). Maitre Albert avait frappé d’emblée la théologie rhénane du sceau du néoplatonisme que le Maitre d’Erfurt poussa jusqu’à sa plus haute expression par la voie de la déification de l’âme, chère aux béguines, dans un apophatisme radical. Ces deux disciples, s’éctèrent de la rigueur intellectuelle de leur maître ; l’un Tauler, mis par compassion son enseignement plus à la portée de l’humain, et l’autre, Suso, nourrit sa mystique de l’examplarisme christique dans une vision tragique de l’existence.
Parmi le derniers scolastiques médiévaux Guillaume d’Occam (†1347) fit briller de ses derniers feux le nominalisme de St Thomas, et passant le gué des Temps Modernes, Jean de Gerson (†1429), nominaliste modéré, à qui certains attribuent l’Imitation selon Jésus Christ, participa activement au concile de Constantinople en combattant farouche de l’hérésie dont ses principales cibles étaient Jan Huss dont il obtient la condamnation, St Brigitte de Suède qui bien que morte un demi siècle plus tôt était toujours poursuivie de son éréthisme et le panthéisme d’un David de Dinant mort en 1217.
Né au début du XVème siècle, le Cusain opèrera la transition entre Moyen-âge et Temps Modernes conservant l’apophatisme des Rhénans en la formule nouvelle de la Docte Ignorance, et en s’ouvrant aux idées platoniciennes de Marsile Ficin.
Nicolas Krebs (ou Krypfs[1],1401-1464), né en Rhénanie-Palatinat, est issu d’une famille de riches vignerons et d’armateurs de la ville de Cues sur la rive de la Moselle. Il fait ses études de droit à Heidelberg qu’il termine à Padoue où il obtient son doctorat en 1423.
En 1431, il défend la cause d’un évêque dont la nomination est contestée au concile de Bâle qui vient de s’ouvrir. Et deux ans plus tard, il présente un programme de réforme de l’Église, La Concordance Catholique. (Réf. Histoire de la Philosophie, TII-v.1/Renaissance.Nicolas de Cues Edit. Gallimard 1973:
En 1431, après avoir perdu son premier procès à Mayence, il se consacre à la théologie et participe au concile de Bâle comme archidiacre et y présente en 1436 un projet de réforme du calendrier. ( Réf. http://agora.qc.ca/dossiers/Nicolas_de_Cues,
En 1437, il fait part parti de la délégation venue de Constantinople pour participer au Concile de Ferrare (Bâle>Ferrare>Florence, 1431>37-38-39); délégation au sein de laquelle accompagnant le basileus (l‘empereur) Jean Paléologue VIII et le patriarche Jean de Constantinople se trouve également le néo-platonicien Gémiste Phléton (1360-1452) qui a cette occasion aurait donné une sériede conférences. [2]
Son élève, Basileus (Jean) Bessarion (1403-1472) qui l’a suivi, après être retourné à Constantinople pour défendre une réconciliation des Églises d’Occident et d’Orient, reviendra à Rome en 1440 où définitivement installé, il diffusera largement les thèses platoniciennes dans le cénacle qui l’entoure et dans ses déplacements dans les villes importantes du Nord de la péninsule. Traducteur entre autres d’Aristote, il fera venir de Constantinople, après sa prise en 1453, un bibliothèque entière de manuscrits. Il fut pressenti pour la tiare papale. Il sera devenu l’ami du Cusain. En 1472, Gentile Bellini fera son portrait pour la Scuola della Carità à Padoue. Les scuole étaient des confraternités religieuses réunissant plusieurs corporations d’hommes de l’art, laïcs, sous l’égide d’un saint que l’on y célébrait.
En 1440, de Cues publie sa Docta Ignorantia (Docte Ignorance) après avoir reçu la révélation de la « ‘’conciliation des opposé’’ qu’il appliquera de 1443 à 1447 à une série d’opuscules, dont le plus important est ‘De Genesi’, consacrés au rapport de l’un et du multiple ». (Histoire de la Philosophie,TII-v.1/Renaissance/Nicolas de Cues Edit. Gallimard 1973). Ces œuvres suivantes reprendront inlassablement ce thème d’une docte ignorance dont la corrélation avec l’apophatisme traditionnel néo-platonicien est évidente. Pour le Pseudo-Denys, c’est par le détachement même de nos modes intellectuels de connaissance, l’abandon de toutes notions, que nous pouvons être mis en présence de la lumière divine. de Cuse était un lecteur familier aussi bien du Pseudo-Denys l’Aréopagite que de Maître Eckart. En cet état mystique de non-connaissance, ‘d’ignorance absolue’ selon les termes du védantin Nisargadatta Maharaj, les contraires se résolvent (‘coincidentia oppositurum’), le bien et le mal, le vrai et le faux. De Cuse y inclura le maximum absolu et le minimum absolu.
« Il est impossible qu’une intelligence finie puisse s’assimiler aucune vérité précise. Le vrai n’est pas, en effet, une chose qui soit susceptible de plus et de moins; il consiste essentiellement en quelque chose d’indivisible; et ce quelque chose ne saurait être saisi par un être, si cet être n’est la vérité même… Le vrai s’oppose donc, en quelque sorte, à notre raison; il est une nécessité qui n’admet ni diminution ni accroissement; elle est une possibilité, toujours susceptible d’un nouveau développement. En sorte que du vrai nous ne savons rien, sinon que nous ne le pouvons comprendre…l’essence même des choses, qui est la véritable nature des êtres, ne saurait être, par nous, atteinte en sa pureté… Plus profondément nous serons instruits de cette ignorance, plus nous approcherons de la vérité même ». (agora.qc.ca/dossiers/Nicolas_de_Cues O. cit.)
La pensée du Cusain, à l’instar de celles de Pic de la Mirandole et de Marsile Ficin, se rattache également au platonisme et au du néoplatonisme par sa conception hiérarchisée de la Création. Dans cette vision hiérarchique du platonisme chrétien, les entités célestes (les anges dans le sens générique du terme) jouent un rôle important. Rôle que l’on retrouve aussi bien chez St Augustin que chez Avicenne. Les anges étant au niveau le plus bas en relation avec l’humain et les séraphins, en passant par les puissances, les plus élevés[3]. Mais pour autant, au contraire d’un Ficin ou d’un Pic, il est étranger à la métensomatose, au mouvement cyclique des corps qui se réincarnent de l’un à l’autre, contrairement à l’immortalité des âmes que Ficin rappela dans son traité Théologie Platonicienne de l’Immortalité des Âmes (1482). Cette notion de la montée et de la descente, d’un mouvement cyclique soit du corps soit de l’âme se retrouve tout à la fois dan le judaïsme et le christianisme qui en a hérité, mais aussi chez Pythagore et Platon[4]. L’Imitation selon Jésus Christ écrite dans le dernier quart du XIVème siècle est un des derniers ouvrages chrétiens qui fasse ‘encore’ référence à la notion de réincarnation.
De Cues jouera un rôle majeur dans la réconciliation des catholiques au Concile de Bâle qui commencé à Bâle en 1431 pour se terminer à Rome en 1449 en passant par Ferrare et Florence aura vu naître un schisme (voir Les Conciles). Le nouveau pape Nicolas V se montra conciliant. L’anti-pape Félix V qui avait abdiqué et avait reconnu le pape de Rome, fut nommé Cardinal. L’empereur germanique Frédéric IV d’Habsbourg et le roi de France Charles VII ne furent pas étrangers à ce retour des « bâlois » dans le giron romain. Tout allemand qu’il était, en récompense, de Cues put revêtir la pourpre cardinalice, et cette « promotion » exceptionnelle pour un germanique, le fit surnommer « le cardinal teuton ».
En 1449, de Cues publie son Apologie de la Docte Ignorance dans laquelle il fait l’éloge de Maître Eckart. Par la suite, il soutiendra la thèse d’un « Infini absolu, à la fois nécessaire et absolu, au-delà du mouvement et du repos, présent en toutes ses manifestations » (Opus cité).
Il part ensuite en Allemagne soutenir auprès des moines et prélats une réforme de l’Église débarrassée des « faux miracles et du culte superstitieux des images ».
En 1450, le pape Nicolas V le nomme archevêque de Bixen (Tyrol) où il s’engage avec volonté dans une réforme des mœurs monacales. Les moines font appel à l’archiduc d’Autriche qui fait incarcérer pendant plusieurs mois le Cusain. En 1458, le pape Pie II le nomme administrateur des états pontificaux. Retiré en Ombrie, il meurt en 1464.
De Cues n’aura pas connu de véritable audience et ses écrits passeront quasiment inaperçus. Mais Pic de La Mirandole en sera un lecteur attentif ainsi que Ficin qui le lui fit connaître.
Il aura écrit différents traités dont le Possest, « subtile réflexion sur la synthèse de l’acte et de la puissance », le Non Aliud, « sur l’identité et l’altérité », le Compendium « où il résume toute sa philosophie »(Opus cité).
Dans la troisième partie de sa Docte Ignorance, de Cues aura développé le thème du nexus:
« entre l’infini absolu, de soi inaccessible, et son image cosmique (“ou infini contracté”), l’indispensable ‘nexus’ est le microcosme humain, seule nature que “l’infinie puissance divine puisse convenablement élever à sa limite infinie”…[et en bon Eckartien] le Cusain s’attache…à l’effort progressif par lequel ‘l’esprit intellectuel’ de l’homme s’exhausse de “conjoncture” en “approximation” jusqu’à cette “filiation” qui est “déification…. N’oublions pas que dans sa perspective, en dépassant la ratio, l’intellectus s’élève à une vision compréhensive qui est à la fois affirmation, négation et coïncidence de l’affirmé et du nié ».(Idiota, de Sapienta cité dans Hist. De la Philo. Op. cité).
De Cues s’élève contre une scolastique par trop raisonnante. La raison ne pourra jamais appréhender l’infini. Non l’infinité des êtres mais l’infinité qui est au cœur de chaque être. Cet infini qui n’est autre que Dieu ne s’approche que dans et par ignorance. « Aucun n’approche, ô mon Dieu, votre infini grandeur que celui qui se tient dans l’ignorance» (Traité de la Vision de Dieu). Retour à l’apophatisme mystique auquel s’est opposé St Thomas d’Aquin dans sa voie de la connaissance de la nature à Dieu.
Cues découvrit Raymond Lulle lorsqu’il enseignait à l’Université de Padoue, université qui possédait la plus importante collection d’Europe des œuvres du maître catalan. Et lorsqu’il s’installa à Paris, il étudia de ses ouvrages que Lulle avait confiés au Couvent des Chartreux de Vauvert à Paris fondé en 1257 (sis à l’actuel Jardin du Luxembourg) et qui à la Renaissance sera toujours le foyer du lullisme en France. Il possédait lui-même dans sa bibliothèque un important fond des œuvres du Catalan, largement annotées de sa main. Lulle « orientera de manière décisive sa pensée vers une vision de Dieu ou de l’infini comme une identité absolue - c’est le sens théologique du célèbre principe de coïncidence des contraires- et aussi vers une conception métaphysique et cosmique du Christ, le Dieu fait homme, comme médiateur entre l’infini et le fini , Dieu et le monde. » ( Eusebie Colomer in Les Chemins du Lullisme en Europe).
Rodulphus Agricola (1443-1485), fils illégitime d’un abbé et de la fille d’un riche fermier de Balfo, au nord des Pays-Bas, commence ses études dans l’importante ville proche, Groningue, avant de suivre un cursus universitaire en Allemagne, à Erfurt d’abord ensuite à Cologne dont l’université a été fondée en 1329, puis dans le Brabant flamand, au Studium Generale dominicain de Louvain qui, fondé en 1425, deviendra rapidement un des grands centres culturels de la Renaissance en Europe du Nord. C’est à Louvain, qu’en 1517, concuremment à l’université, sera fondé le Collèges des Trois Langues où seront enseignés le latin, le grec et l’hébreu et qui servira de modèmes à Guillaume budé et son entourage humaniste pour convaincre François 1er de créer en 1530, le Collège des Lecteurs Royaux qui deviendra le Collège de France. Au début du XVIIème siècle, Cornelius Jansen (1585-1638), fondateur du jansénisme, y fera ses études et tiendra la charge de recteur. L’université de Louvain s’opposera vivement au luthéranisme.
Agricola obtient, lui, en 1465, avec mention (=grande louange) du jury sa licence es arts[5]. Il séjourne à Pavie, au sud de Milan, après être passé par Paris. Pavie depuis la fondation de son université en 1361 par le Duc de Milan, qui l’a annexé, rayonne par ses lettres et sa musique. Elle sera le centre de la première période de l’Ars Nova au XIVème siècle en Italie avant que ce mouvement ne se déplace à Florence. De 1475 à 1479, il est à la cour d’Hercule 1er d’Este à Ferrare où il occupe la charge d’organiste de la chapelle ducale.
De retour au Pays-Bas, Agricola est employé à la mairie de Groningue. Il séjourne à Bruxelles puis à Heidelberg où il meurt au retour d’un voyage à Rome où il avait effectué une mission auprès du pape.
Excellent latiniste, Agricola a appris le grec, le français et l’hébreu. En son pays comme en Allemagne et en Italie, il a rencontré de grands humanistes de son temps, Érasme, le Batista Guarino, latiniste à Ferrare, promoteur de nouvelles formes d’enseignement classique et d’éducation, l’hébraïsant Johannes Reuchlin, le traducteur et grammairien grec Théodore Gaza. Il a eu pour ami le recteur de l’Université d’Heildelberg, Johann von Dalberg. Il a fréquenté l’Abbaye d’Aduard, proche de Groningue, véritable centre de rencontre des humanistes, et a fréquenté aussi l’école latiniste de l’humaniste Alexander Hegius von Heek, où Érasme et Johannes Reuchlin furent élèves. Il a entretenu une correspondance suivie avec eux et avec le musicien anversois, très célèbre en son temps, Jacobus Barbireau (1445-1491). Il aura séjourné à Ferrare à la cour de Hercule 1er, à Bruxelles, à celle Marguerite de Bourgogne, fille unique de Charles le Téméraire et de Maximilien de Habsbourg qui deviendra empereur du Saint Empire en 1508. Il écrivit aussi une vie de Pétrarque.
Dans son œuvre majeure, De Inventione Dialectica libri tres (1479), Agricola met en place une nouvelle approche analytique qui veut s’inscrire dans le mode de raisonnement, d’argumentation de la tradition grecque. Son intention est de sortir des cadres de raisonnement de la scolastique. Il propose une dialectique rhétoricisée : Dans « sa façon d’agencer les raisonnements [il] montre qu’il mêle dialectique (logique et investigation) et rhétorique (art oratoire et communication) et les unit en un nouvel ensemble: il transforme la théorie scolastique en un art pratique du raisonnement qui tient compte du but que l’orateur se propose, de la nature du sujet et de l’auditoire concerné….‘‘Agricola a inauguré la tradition des logiciens-rhéteurs. Il n’a pas hésité à gauchir la logique traditionnelle ou aristotélicienne, pour en faire un véritable arsenal rhétorique, permettant en quelque sorte une classification, sinon de toutes les pensées, du moins de la plupart des raisonnements tirés du langage naturel’’[6]».
Dans sa Lettre sur l’Organisation du Programme (1484), il dénoncera la logique médiévale, basée sur la dispositio, à savoir le bon agencement des arguments en vue de convaincre.
Agricola sera suivi au XVIème siècle par des grands théoriciens français et allemands comme Pierre Ramus (1515-1572).Voir Humanisme/France /2ème Génération et P. Mélanchton (1497-1560)
« À partir de la publication du ‘De inventione dialectica’, une tradition s’instaure très rapidement, l’analyse de textes profanes et sacrés à l’aide d’outils rhétorico-dialectiques. »
« Ce sont ces analyses rhétorico-logiques, flanquées de leurs compléments rhétoriques, qui vont inonder un marché dûment préparé depuis une vingtaine d’années par deux foudroyants succès de librairie, à savoir les ouvrages d’Agricola et ceux de Melanchthon lui-même, souvent publiées conjointement » (Kees Meerhoff, Logique et éloquence : une révolution ramusienne ? Édit.Paradigme 2001).
Didier Érasme (1466/67/69 -1536/38 ), né à Anvers, est le fils illégitime d’un prêtre de Gouda, Geert Praët et le second fils d’une fille d’un médecin. De petite taille, il sera toujours de santé fragile. Il mènera une vie itinérante qui ne cessera qu’à mort. Il entame très tôt des études à Utrecht, les poursuit très vite à Deventer chez les Frères de la Vie Commune (voir Tome1/14èmes./Mystique Flamande) où il découvre l’œuvre d’Agricola. Il passe à Bois-le-Duc grande ville propère duBrabant, patrie de Brueghel (1455-1516), deux ans au cours desquels il perd ses parents atteints de la peste. Il a alors dix sept ans et orthographie selon une coutume humaniste son prénom en Éramus et se surnome Desiderius qu’il ajoute à son nom d’Érasmus Roterodamus. Puis, en 1487, il prépare bon gré malgré son noviciat chez les chanoines de St Augustin dans l’ancienne petite ville de Steyn (Hollande-Méridionale) où il poursuit une formation dans l’esprit de la Devotia Moderna.
En 1492, il est ordonné prêtre. L’évêque de Cambrai, dont il est le secrétaire, assure à partir de 1494 ses études au Collège Montaigu, collège dépendant de l’une des quatre facultés de Paris, la faculté des arts, et délivrant l’enseignement secondaire dans les matières des arts (libéraux) préparatoire aux études du droit canon, de la médecine ou de la théologie enseignés dans les trois autres universités.
Il se rapproche du diplomate et doyen de l’université, professeur de rhétorique, le trinitaire[7] Robert Gaguin (1433-1501), auprès duquel il découvre Jean de Gerson (1363-1429) sous ses aspects humanistes et la nouvelle pensée venue d’Italie, qu’on adoptait ses contemporains Guillaume Budé (1467-1540) et Lefèvre d’Étaples (1450-1537). Relevé de ses vœux par le pape en 1495, il commence à avoir des élèves.
En 1497, il est en Angleterre. Il séjourne à Oxford, ville conquise à l’humanisme florentin (Encyclop. Larousse), chez son élève William Mountjoy. Il fait la connaissance de John Colet[8] et de Thomas More, jeune étudiant en droit, d’une dizaine d’années plus jeune que lui et qui restera son proche ami. Il perfectionne son grec auprès de l’helléniste William Grocyn et de Colet. Par cet entourage humaniste, il découvre les florentins, Ficin, le Comte de la Mirandole, le Pétraquisme et de là sa vocation humaniste.
En 1500, il est de nouveau à Paris où il approfondit sa connaissance des Grecs et publie des Colloque et une première version des Adages, inspirés de Elegantiæ de Lorenzo Valla, « manuels de conversation latine à usage scolaire ». (M.Gandillac OP.Cit.)
En 1503, paraît son premier livre L’Enchiridion Militis Christiani. Ce petit livre qui, au départ, se voulait un livre de bonne manières à l’usage de gens rustres comme le militaire qui l’avait suscité, il devint au fil de la plume un vrai traité de morale chrétienne dans lequel la foi s’annonce comme primordiale. Petit pas sa taille, il n’en est pas moins l’ouvrage resté après l’Éloge le mieux connu et le plus répandu d’Érasme.
En 1505, il séjourne à nouveau chez son ami Thomas Moore qui anime alors un cénacle d’hellénistes.
Entre 1506 et 1509, c’est comme précepteur des fils du médecin italien d’Henri VII, qui veulent poursuivre leurs études à Bologne que s’offre à lui l’opportunité de se rendre enfin en Italie. En 1506, il est fait docteur en théologie à titre honorifique par l’université de Bologne.
Il sillonne l’Italie de Bologne à Venise, de Padoue à Ferrare, Rome, toujours à se plonger dans la lecture des grecs anciens. C’est au cours de son retour à Amsterdam en vue de se rendre en cette année 1509 à nouveau chez son ami Morus, qu’il conçoit l’Éloge « en chevauchant au caprice de sa mule. » (Pierre de Nolhac Éloge de la Folie Edit.Garnier Flammarion 1964).
En 1510, il arrive à Cambridge où selon les sources, il a pu être étudiant au Queen’s College ou avoir des étudiants comme Richard Croke au King’s College .
Il se déplace souvent. Reconnu, appelé par les grandes cours d’Europe, il ne se fixe nulle part. En 1516, il publie l’Éducation du Prince qu’il dédie à Charles Quint. En 1530, avec son Traité de Civilité Puérile, il reviendra sur le thème de « l’éducation [qui est] une grande préoccupation des Humanistes de la Renaissance qui voulaient en finir avec la scolastique médiévale (le par-cœur, la glose) ». Dans ce traité, il dresse tout un programme de savoir-vivre à usage des jeunes enfants car l’art d’instruire est aussi l’art d’éduquer et « la civilité suffit à concilier la bienveillance, à faire valoir des qualités supérieures. » (Céline Roumégoux, www.weblettres.net/blogs/article.php?w= MonplaisirLett&e_id=10939).
Entre 1517 et 1521, il s’installe pour quatre années à Louvain où il enseigne au Collège des Trois Langues ( grec, latin, hébreu) fondé par les humanistes de son entourage. Et, alors que monte en puissance la réforme luthérienne, il annonce sa neutralité, refusant une invitation de Luther etdécevant les réformateurs qui avaient cru trouver en lui un allié. En 1524, son De libero arbitrio (Du libre arbitre) est une vraie opposition la prédestination luthérienne. Après Bruxelles et Anvers, c’est à Bâle qu’il s’installe, qu’il quittera pour Fribourg en 1529, ‘’poussé par la Réforme’’ (voir Réforme Suisse/Bâle/Œcolompade). Il revient à Bâle en 1535 où, malade, il écrit sa Préparation à la Mort et y meurt l’année suivante.
Ce « Prince de l’Humanisme », comme il sera surnommé, aura toujours vécu dans une pauvreté plus ou moins grande, « forcé longtemps de quémander les mécénats et les prébendes » (M.Gandillac, Hist.Philo Ops cité) sauf dans la période de Bâle où ayant pris position contre la Réforme donc pour le pape, il se voit octroyer prébendes, secrétaires et grande maison. Il aura « laissé une œuvre multiforme d’éditeur, de traducteur, de commentateur, de prosateur et de poète, sans parler des milliers de lettres qui nous le font connaître « (Encyclopédia Universalis).
Au plan politique, il reste plutôt traditionnaliste et ne prône aucune grande réforme. Entre le pouvoir héréditaire et le contrat social, il opte pour un pouvoir pyramidal au sommet duquel se trouverait le Christ, à la base le peuple, et entre l’ensemble des pouvoirs spirituels et temporels se résumant au niveau du pouvoir royal à une sorte de monarchie constitutionnelle avant l’heure, encadrant le prince de devoirs contraignants. Pour réduire les inégalités trop marquées, il condamne l’usure et les gains prohibitifs faisant de Dame Folie, la fille de Ploutos divinité de la richesse, de l’argent, le premier corrupteur de la société. Loin de l’idée d’un bouleversement social, il s’insurge contre les révoltes paysannes.
Par ses éditions commentées, notamment des latins, Cicéron, Plutarque, Pline l’Ancien, Tite-Live, Sénèque, et par ses traductions en latin des grecs comme le satiriste Lucien de Samosate (†180) dont il s’inspira pour son Éloge, il aura été un grand diffuseur des auteurs anciens. Et ce, en appliquant ce principe humaniste de base d’un retours aux sources, aux textes authentiques, lus sous l’angle de la nouvelle philologie.
De nature indolente, toujours dans l’entre deux et la neutralité, Érasme a refusé d’enseigner au Collège Royal (de France,1530), n’a assumé aucune responsabilité auprès des grands comme François 1er et Charles Quint qui le réclamaient. On peut être amené à penser qu’il n’a pas développé une pensée particulièrement originale comme son ami très proche, Thomas Morus ; qu’il n’a pas eu la profondeur d’un Nicolas de Cues, que son « œuvre le plus typiquement érasmien est l’Introducio ad Novum Testamentum …le reste est intéressant mais superficiel. » (H.J. Vleeschauwer Hist. De la Philo. Édit. Gallimard 1973) ou penser par contre que « son étude est infinie », qu’ « il met en lumière pour les générations à venir une nouvelle vision du mouvement de la chrétienté dans le temps historique, qui forme le caractère profond de l’humanisme français du XVème siècle » (Myron P.Gilmore, Le Monde de L'Humanisme Édit. PgWestport, Conn. : Greenwood Press 183).
Formé à l’origine par l’ancienne scolastique, Érasme s’est tourné délibérément vers l’humanisme anglais, s’est nourri en Italie de la pensée antique et par son intelligence, sa sensibilité, sa tournure d’esprit, son érudition, a su incarner l’esprit nouveau de son temps et en devenir ainsi la figure emblématique au point que de nos jours encore, le programme universitaire européen d’échanges entre les universités et les grandes écoles de leur étudiants porte son nom. Tous ses écrits sont en latin.
En opposition à l’humanisme paganisant qu’il dénonce dans son Ciceronianus[9], Érasme s’inscrit dans ce courant pré-réformateur de l’humanisme biblique qui pensait que le retour aux versions les plus originelles des textes sacrés et leur mise en parallèle avec les versions « officielles » de l’Église devait pourvoir suffire à montrer la nécessité d’une réforme du christianisme. Sans pour autant remettre en cause l’autorité papale. Néanmoins, ce courant particulièrement important viendra se greffer sur le mouvement contestataire du XIVème siècle, initié par un disciple de Ruysbroeck, Geert Groote et sera poursuivi par la Congrégation de Windesheim (1386) et les Frères de la Vie Commune dont l’influence fut déterminante dans l’adhésion des Pays-Bas à la Réforme. (Voir Tome 1/ Les Prémices de la Réforme).
« Érasme ne cultive pas l’Antiquité pour elle-même. Son humanisme est philologique pour mieux être théologique. L’essentiel pour lui n’est pas l’érudition mais la piété dans la foi. Toute la science de l’ethnica litaratura ne peut être qu’un prélude à de l’Écriture Sainte, en vue d’une théologie nécessairement mystique et biblique. Il ne s’agit plus pour l’homme moderne d’être grec ou latin mais d’accéder à la seule vérité digne de son temps, celle du mystère du Christ, progressivement dénaturé par des siècles de scolastique. D’où pour Érasme, complétant et dépassant l’enquête littéraire, morale et esthétique de l’Antiquité païenne, tout un travail préliminaire de restitution des textes sacrés dans leur pureté originelle s’impose. » (d’après Encyclopédie Larousse/Didier Érasme)
La traduction à la fin du IVème siècle en latin de la Bible (Ancien et Nouveau Testaments) en très grande partie due à Saint Jérôme (traduction qui sera une des raisons de sa sanctification), connue sous le nom de la Vulgate, était la seule encore utilisée par le clergé jusqu’à ce que, soucieux d’appliquer un humaniste retours au sources, Érasme ne s’engage dans un travail comparatif avec les manuscrits arrivés d’Orient en s’appuyant sur les travaux du linguiste Lorenzo Valla (1407-1457) et en reprenant ainsi le lointain travail du ‘' père de l’exégèse biblique’, l’alexandrin Origène (†253). En 1516, sa traduction paraît présentant en vis-à-vis le texte grec et le texte latin. Le succès est retentissant. Luther publiera sa propre traduction en 1542. Face à ces remises en cause de la Vulgate, en 1546, le Concile de de Trente, concile de la Contre-Réforme, fera en réaction de cette dernière la version ‘officielle’ de l’Église Romaine.
Érasme et Luther se rejoignent sur la nécessité d’un retour direct à la Bible relativisant ainsi le rôle d’intercesseur de l’Église, de la liturgie et des œuvres, mais Érasme reste attaché à l’institution ecclésiale. Fidèle à l’Église, il n’ira pas comme Luther jusqu’à la rupture. Mais la dissension d’avec le Réformateur de Wittenberg est plus profonde qui touche à la liberté ou non de l’homme de participer à son salut. En 1524, il publie à cet effet son Libre-Arbitre (1524) auquel Luther répond par son Serf-Arbitre.
Vis-à-vis du judaïsme, Érasme semble avoir eu une position hostile: “Érasme a décrit plusieurs fois les Juifs comme des « pestes ». En 1517, par exemple, dans un échange de lettres avec le réformateur hébraïsant Wolfgang Fabricius Capiton de Strasbourg, il écrit : ‘’Rien n’est plus dangereux pour l’enseignement du Christ que cette peste la plus néfaste : le Judaïsme’’… Dans la même lettre, il désigne l’Hébreu comme une ‘‘langue barbare’’. En 1516, il écrit dans les travaux publiés sur Jérôme, que les hérétiques aiment tromper la populace et l’effrayer par des mots magiques tirés du Talmud et de la Kabbale. Érasme était un fervent opposant à la littérature hébraïque, qui était réimprimée et réétudiée, durant la Renaissance. Il sentait que le renouveau des études de l’Hébreu et de sa littérature était le signe d’un regain d’intérêt pour le Judaïsme[10]. »
Inspirés de Elegantiarum latinae linguae (1444), une défense et illustration du latin classique écrite par le philologue Lorenzo Valla (1407-1457), les Adages sont “ les notes de lecture d’Érasme, tirées de l’ensemble de la littérature antique … un choix de citations commentées… Sans doute une vingtaine de mille au total… Il concevait ce recueil comme une collection de modèles d’élégance de style, de formules ‘‘bien frappées‘‘ riches de sens métaphorique, qu’il commentait avec humour… Les humanistes ne s’y trompèrent pas en en faisant leur livre de chevet, au même titre que les Élégances de Lorenzo Valla. Les adages fleurissent en effet à chaque page des meilleurs auteurs de l’époque, depuis Hutten jusqu’à Montaigne. Les professeurs par la suite y trouvèrent une mine de règles de style à faire étudier à leurs élèves.” (J.C. Saladin, Présentation des Adages. É dit. Les Belles Lettres: https://www.lesbelleslettres.com/livre/1540-les-adages).
Qui dit humanisme dit Érasme, qui dit Érasme dit Éloge de la Folie. Moriae Encomium en grec, Stultitiæ Laus en latin, est son titre original. C’est une déclamation. La Folie déclame. Il faut l’imaginer, faisant son propre éloge avec tout l’art déclamatoire, emphatique et les gestes appropriés d’un comédien averti. Le ton est facétieux, le verbe caustique.
C’est à la Folie que les hommes doivent d’être heureux et joyeux et de ne pas sombrer dans l’ennui. L’homme habité par la folie jouit pleinement de la vie et de ses plaisirs et jette la raison par dessus tête. C’est elle qui « conserve la jeunesse et met en fuite la vieillesse fâcheuse ».
Sur le ton de la plaisanterie, l’Éloge est une attaque virulente mais « classique » contre les pouvoirs en place, les princes, les marchands et plus contre prélats, moines et théologiens. La lecture peut être double comme fréquemment chez l’auteur. Dame Folie n’est pas coiffé du bonnet à grelot de sa représentation picturale ; elle est vêtue en déesse dionysiaque d’une peau de lionne et « à ceux qui briguent le titre d’ « archifous », elle impose une initiation qui conduit par une sorte de renversement dialectique, de la critique ironique des faux sages au paradoxe d’une plus haute sagesse. » (M.G. Op.Cit.)
Érasme n’a jamais considéré cette œuvre comme importante mais comme une fantaisie dont il fut le premier étonné d’un succès rarement égalé. Une fantaisie qui porta la réprobation chez les Réformateurs et dans les cours, bien que le Pape ne s’en formalisa pas outre mesure.
Comme ses traductions des Écritures Saintes à partir des sources, Érasme fait ici un rappel au retour à la vrai foi.« Une fiction d’un pédantisme qui s’avoue en souriant, ces proverbes grecs qui alourdissent le texte, déjà chargé de réminiscences littéraires et mythologiques. » (P. Nolhac. Op. Cit).
Juan Luis Vivès (1492-1540), converso (juif converti au catholicisme), quitte à 17 ans l’Espagne pour fuir l’Inquisition et suivre des études à la Sorbonne d’où il en sort docteur en théologie. En 1512, n’aimant pas la façon de vivre des parisiens, il s’établit à Bruges sous domination des Habsbourg, centre d’échanges importants entre le Nord et l’Espagne. En 1517, il entre au service de la Famille de Croÿ, famille de haute noblesse proche de Charles-Quint. En 1519, il obtient une chaire à l’université de Louvain. Érasme, qui a écrit L'Éducation d'un Prince pour le Duc de Croÿ, précepteur de Charles de Habsbourg (futur Charles-Quint), est à cette époque Principal du Collège des Trois-Langues (grec, latin, hébreu) fondé par des humanistes de son entourage et qui servit de modèle à Guillaume Budé pour convaincre en 1530 François 1er de créer à son tour un collège humaniste, indépendant de l’université de Paris, Le Collège des Lecteurs royaux plus tard le Collège de France.
Vivès devient l’ami d’Érasme comme il sera celui de Budé et de Thomas Moore. En 1517, il avait été présenté à Henri VIII à qui il avait dédié son commentaire De civitate Dei de St Augutin. Arrivé en Angleterre en 1523, il enseignera d’ailleurs au Corpus Christi College d’Oxford où Moore est le chef de file de l’humanisme anglais. Il sera précepteur de la future Reine Catholique, Marie 1ère Tudor, fille de Catherine d’Aragon et d’Henri VIII. Mais, en 1527, s’étant opposé au divorce des époux royaux, il sera assigné à résidence pendant plusieurs semaines avant de s’installer à Anvers.
Vivès laisse son nom dans la pensée humanise comme créateur d’une nouvelle pédagogie et comme penseur social. Il rejette la poussiéreuse scolastique et prône un enseignement basé sur la logique, l’expérience et la psychologie descriptive, branche de la psychologie qui étudie les phénomènes psychiques et non leur mode d’apparition réservé à la psychologie génétique.
Égalitariste, pacifiste, humaniste chrétien, pédagogue, Vivès préconise l’étude de la nature et intègre à sa méthode d’enseignement l’initiative et l’expérience personnelles qu’il expose dans De ratione studii puerilis (1523, De La Bonne Méthode d'Instruction Pour Les Enfants) et dans De disciplinis libri XX (1531, Vingt Livres sur les Disciplines), son œuvre maîtresse sur la pédagogie.
« Le De disciplinis est divisé en trois parties. Le premier tome, De causis corruptarum atrium, décrit la corruption des savoirs et de leur enseignement, tout en exposant les causes de cette corruption: c’est le temps du constat critique. Le deuxième tome, Detradendis disciplinis préconise une réforme des contenus scientifiques et des méthodes éducatives, qui doivent être liés: c’est le versant positif de l’ouvrage. Le troisième tome, De artibus est composé de traités plus techniques, portant sur la philosophie première et sur la dialectique ». (Tristan Vigliano, Introduction à Juan Luis Vives, Les Belles Lettres, 2013)
De anima et vita (1528) expose ses conceptions nouvelles sur la psychologie. De Tradendis disciplinis (1531) est une forte attaque contre la scolastique. On l’a surnommé le Doctor Mellifluus (Suave).
Notes
[1] En allemand, Krebs et en patois mosellan Krypfs, signifie crevette (http://agora.qc.ca/dossiers/Nicolas_de_Cues)
[2] Certaines sources précisent que ces conférences auraient été données à l’Académie Platonicienne, mais Cosme ne l’a fondée qu’en 1459… ?
[3] Les Séraphins, les Chérubins, les Trônes constituent la hiérarchie la plus élevée, la première, la plus contemplative. Ils transmettent le mystère à la deuxième, les Vertus, les Dominations et les Puissances, qui les transmettent à la troisième,les Principautés, les Archanges et enfinles Anges qui les transmettent aux humains selon Stefan Swiezawski (opus cité).
[4] " Si l'on rapproche la doctrine de Pythagore et Platon sur la périodicité régulière de la montée et la descente des âmes…" (Bessarion cité par M. Gandillac in Histoire de la Philosophie, Édit. Gallimard 1973, Pg.35)
Le thème de la descente et de l'ascension qui trouve ses racines dans la tradition judéo-chrétienne est typique du néo-platonisme chrétien et s'exprime des plus clairement au XVème siècle chez Ficin et Nicolas de Cuse" (Stefan Swiezawski Op.Cit.)
[5] Depuis l'époque carolingienne, le corpus des études supérieures, comprend sept matières (arts) : la grammaire, la rhétorique et la dialectique qui constituent le Trivium et qui se rapporte à ce que nous appelons des études de lettres; l'arithmétique, la géométrie, l'astronomie et la musique qui constituent le Quadrivium et qui correspond à des études scientifiques (la mathématique). L'ensemble constituent les Arts Libéraux.
[6]:Véronique Montagne, Savoir(s) et rhétorique(s) à la Renaissance , Noesis [En ligne], 15 | 2010, document 3, mis en ligne le 01 janvier 2012. Citation interne de J.C.Margolin.
[7]"L'Ordre a fait de la libération des opprimés et de l’amour des pauvres le signe distinctif de sa propre mission au sein de l’Église et dans le monde » (Jean-Paul II, 7/6/1998). L'ordre des Trinitaires, fondé en 1194, avait pour mission à l'origine de délivrer les chrétiens des maures, et restera toujours en contact avec le monde musulman.
[8] John Colet (1467-1519) séjourna à Florence de 1493 à 1496. Retour en Angleterre, il enseigna le grec à Oxford, centre de l'humanisme anglais. Théologien moraliste, il prônait un retour à l'enseignement de la Bible qui tout au long du mouvement humaniste sera lue, notamment par les hébraïsant, de manière critique, réflexive.
[9] Pour nombre d'humanistes, Cicéron fut le modèle par excellence des latinistes. Il constituèrent un courant dont le meilleur représentant en Italie fut le cardinal Pietro Bembo et dans le Nord, le Flamand Christophe de Longueil,"mordu grave" de la Rome Classique et un des trois personnages de ce dialogue, dont se moque Érasme.
[10] Hans Jansen, Christian Theology after Auschwitz. :https://leve-toi.com/erasme-prince-de-lhumanisme-et-farouche-antisemite-sur-messianisite/.
Introduction - Thomas More - Francis - Bacon
En 1485, la dynastie des Tudor s’installe avec Henry VII pour plus d’un siècle sur le trône d’Angleterre, mettant fin à la dynastie des York par la mort de Richard III. La première moitié du XVIème siècle anglais sera celle d’Henry VIII (†1547) marquée par son divorce d’avec Catherine d’Aragon pour épouser Anne Boleyn, veuve de son frère. Ce divorce, à l’origine de la Réforme Anglicane, sera prononcée contre la volonté du pape avec l’arrière-pensée de se saisir des monastères et de leurs biens. Lui succéderont, son fils Édouard VI (†1553) qu’il a eu avec sa troisième femme Anne Seymour, sa fille Marie 1er Tudor (†1558) qu’il a eu de son premier mariage, surnommée Marie la Catholique ou encore la Sanglante, son règne sera une parenthèse catholique avant le retour à l’anglicanisme avec la montée sur le trône de sa demi-sœur, Élisabeth 1er (†1603), qu’Henry a eu avec Anne Boleyn. La seconde moitié du siècle sera celle donc de la « Reine Vierge » qui régnera pendant 44 ans et donnera son nom à une des périodes les plus florissantes d’Angleterre et d’Europe.
La première moitié du siècle est marquée par la fin de la Guerre des Deu) Roses (1455>85) opposant pour le trône la rose blanche des York à la rose rouge des Lancastre et par trois actes fondateurs :
Il est à noter qu’avant la question de son divorce, Henry VIII était un fervent catholique, lui qui écrivait une Défense des Sept Sacrements pour s’opposer à La Captivité de Babylone (1520) de Luther.
La seconde moitié du siècle est couverte par la grande période du théâtre, de la poésie et de la musique élisabéthains.
Le centre de l’humanisme anglais se trouve à Oxford dont les principaux représentants sont William Mountjoy[1] qui fut l’élève d’Érasme à Paris, l’helléniste William Grocyn qui aida Érasme à se perfectionner en grec, Thomas More chez qui Érasme, son proche ami dès 1499, séjourna par deux fois, et John Colet.
John Colet (1467-1519) séjourna à Florence de 1493 à 1496. Retour en Angleterre, il enseigna le grec à Oxford. Théologien moraliste, il prônait un retour à l’enseignement de la Bible qui tout au long du mouvement humaniste sera lue, notamment par les hébraïsant, de manière critique, réflexive.
Thomas More (1478-1535) est issu de la bonne bourgeoisie londonienne. Son père était avocat. Très jeune, il est placé comme page auprès du cardinal John Morton (†1500), archevêque de Canterbury, diplomate et Grand Chancelier (Garde des Sceaux). More commence ses études supérieures par des études de droit, droit qu’il exercera avec succès et qu’il enseignera au collège même où il a été élève, le Lincoln’s Inn. Il exercera aussi la fonction de vice-shérif (juge de paix).
Au début des années 1500, More, un temps tenté par la vie monastique, se retire chez les Chartreux de Londres où il développe sa culture des Écritures et des Pères. Il traduit certains traités de Pic de la Mirandole qu’il admire et à qui il empruntera des thèmes comme l’exemplarité christique, parfait modèle de l’homme.
En 1505, il marie Jane Colt avec qui il a quatre enfants auxquels il donnera une éducation humaniste. Sa fille Margaret se forgera une forte réputation pour sa pratique des humanités. Sa première femme morte cinq ans après leur mariage, il se remarie avec la veuve Alice Midelton.
Thomas More s’installe dans son manoir de Chelsea (ouest de Londres), qui devient l’épicentre de l’humanise anglais.
Il est chargé de diverses ambassades par Henry VIII qui est monté sur le trône en 1509. Notamment des missions d’abord en Flandre en 1515 où il fréquente les humanistes proches d’Érasme, puis en France en 1517.
Déjà comblé d’honneur, il reçoit le titre de Grand Chancelier d’Angleterre en 1529. Mais en 1532, fervent catholique, ne reconnaissant pas la validité du divorce d’Henri VIII d’avec Catherine d’Aragon, il donne sa démission que le roi lui refuse. L’année suivante, en 1533, après le mariage d’Henry VIII avec Anne Boleyn, auquel il n’assiste pas, toujours opposé à la séparation des Églises, il refuse de prêter le serment qui fait d’Henry VIII le chef de l’Église Anglicane. Non seulement le souverain accepte cette fois-ci sa démission mais le fait arrêter. Il est accusé de trahison cette même année 1534. Éminent juriste, au cours de son procès, il fera montre d’une défense remarquable qui obligera la cour à valider un faux témoignage. Il est condamné à mort. Enfermé à la Tour de Londres, il écrit un Dialogue de la Consolation dans lequel on retrouve des accents eckartiens sur le renforcement de la foi par l’épreuve et le ton malicieux qu’avait adopté dans sa Folie son ami Érasme. Il est décapité en 1535. En 1886, il est béatifié, en 1935.
Partisan des réformes religieuses que soutiennent Colet et prudemment Érasme, il se sera néanmoins opposé à la séparation des Églises que propose Luther. Il a écrit après 1520 et à l’appui de la Défense des Sept Sacrements d’Henry VIII, une Réponse aux Injures de Martin Luther. « Craignant que le salut par la seule foi sape toute morale, il refuse de s’associer à l’abolition des intermédiaires institutionnels entre l’Église et les fidèles. » (Dialogue, cité par M. Gandillac, opus cit.)
Thomas Morus reste comme un des plus grands latinistes de la pensée anglaise. Son œuvre, en latin et en anglais, mais dans laquelle le latin finira par l’emporter, est volumineuse: traductions grecques et latines, traités spirituels, poésies, correspondance. Ses œuvres religieuses ne seront publiées qu’en 1557, sous le règne de la catholique Marie Tudor après donc la mort d’Henry VIII, son père, survenue en 1547. Seront édités notamment :
-le Traité des Fins Dernières - le Dialogue concernant les Hérésies et plusieurs Sujets Religieux - le Dialogue sur le Réconfort dans les Tribulations, la Supplique des Âmes du Purgatoire. la Réfutation contre Tyndale[2].
Œuvres dans lesquels « une bonhomie, une humanité charmantes s’y marquent constamment, le goût le plus simple et le plus vif pour la vie quotidienne observée d’un regard amusé et pénétrant. » (Marie Delcourt/ livres-mystiques.com /Thomas More) .
La Supplique des Âmes du Purgatoire (deux volumes,1529) est une réponse au luthérien Fish dont les attaques contre les richesses du clergé, les faux pauvres ordres mendiants ébranlaient l’Église Romaine dont More tenait à défendre fermement la suprématie et l’universalité. Il s’y s’érige contre toute hérésie et continue de s’opposer à la survivance des Lollards qui, apparus à la fin du XIVème siècle dans la mouvance du pré-réformateur Wyclif, s’étaient révoltés contre le pouvoir royal et l’Église, et prônaient la pauvreté (Voir B.M.A./Philosophie et Spiritualité/1300 Prémices Réforme.htm.).
Les Écrits de Prison seront publiés en 1555. Son ouvrage majeur, Utopia, est imprimé en 1516.
Le grand humaniste anglais aura laissé, outre celle d’un homme sensible et intelligent, l’image d’un homme courtois, gracieux, « porté au rire », mais pouvant pourtant faire preuve d’une intransigeance telle qu’il alla jusqu’à enfermer à Chelsea pendant trois semaines un récalcitrant du nom de John Field et aussi le juriste et éminent latiniste James Bainhaim que More aurait fouetté de ses propres mains. (Bernard Cottret, Thomas More, Chap. De la Rigueur à l’Intransigeance, Edit Taillandier, 2012). Rabelais faisant de ses Géants les souverains d’Utopie aurait introduit le terme dans la langue française en 1532 (cf Pierre Macherey, Radieux Tropiques ? L’utopie De More, 2008, http://stl.recherche.univ-lille3.fr).
Commencé au Pays-Bas en 1515, De optimo Reipublicae statu deque nova insula Utopia libellus vere aureus, nec minus salutaris quam festivus (Du meilleur état de la chose publique et de l’île nouvelle d’Utopie, un précieux petit livre non moins salutaire que plaisant), écrit en latin, est édité à Louvain en 1516, édité à Paris en 1517, à Bâle en 1518 où Érasme la supervise. L’ouvrage sera traduit en allemand en 1524, en italien en 1548, en 1550 Guillaume Budé préfacera celle en français, et il paraît en hollandais en1553.
Si More annonce dès son titre que l’ouvrage est divertissant, c’est qu’il a beaucoup apprécié le ton facétieux de l’Éloge de la Folie de son ami Érasme dont il avait encouragé à poursuivre l’écriture que ce dernier avait entamée lors d’un périple qui, d’Italie par l’Allemagne, l’amenait chez lui. D’ailleurs si dans Utopia, le voyageur à quelques réticences à relater son voyage sur l’île inconnu, n’est-ce pas que « ce serait raconter une histoire à des sourds » ou « délirer avec les fous »…?
Utopia est un terme latin, forgé du grec par More à partir de ou-topos, le non-lieu, nulle-part, et eu-topos, le bon-lieu. Ce terme comme le genre qu’il représente seront définitivement intégré à la culture européenne. L’œuvre ouvre en effet à un genre littéraire qui fera florès. La Cité du Soleil (1602, Voir Humanisme Politique) de l’humaniste politicien, Thomaso Campanella (1568-1639), par exemple, sera basée sur la même structure d’un dialogue introductif d’un récit et sur le même thème d’un voyageur qui relate à son interlocuteur sa découverte d’une île imaginaire sur laquelle vit un peuple inconnu, dont la description des mœurs permet à l’auteur de développer ses conceptions d’une vie idéale en société. Bien évidemment, More a eu vent des grands voyages maritimes qui ont commencé à la fin du XVème siècle comme ceux du florentin Amerigo Vespucci (1454-1512) qui navigua pour la couronne du Portugal et relata dans ses lettres et récits, qui eurent grand succès, ses voyages dont il est difficile de faire la part du vrai et celle de l’imaginaire.
L’ouvrage est en deux parties. La première est sous forme d’un dialogue inspiré du dialogue platonicien[3], la seconde sous forme de récit.
Dans la première partie, qui est une critique de la société anglaise, le dialogue s’instaure entre l’auteur lui-même représenté par son ‘porte-parole’, le flamand Pierre Gilles, son éditeur à qui il adresse sa préface, et un voyageur portugais (!), Raphaël Hythlodée (c.à.d le « conteur de balivernes »). Dans la seconde partie, ce dernier relatera son voyage sur Utopia, une île censément être bien dans notre monde et dans son temps contrairement à l’ancienne Atlantide de Platon ou à la Cité de Dieu de Saint Augustin, idéale cité à venir.
Un île où les habitants, les Utopiens, vivent non comme More le souhaite mais comme il l’espère, ainsi qu’il l’écrit à la fin de son ouvrage. Le programme politique de More est de « bannir en même temps que ce qui relevait du principe de l’individuel, tout ce qui pouvait ressembler à une domination exercée à titre personnel, livrée à l’arbitraire et non soumise aux règles communes imposées par la nécessité rationnelle. » (Pierre Macherey ref.cit.).
La propriété privée est abolie car c’est elle qui sépare le peuple de son souverain. Sont imposés la chasteté avant le mariage et la fidélité après. L’adultère est puni d’esclavage. La vie quotidienne est décrite avec précision comme par exemple la description des repas en commun, au cours desquels hommes et femmes sont séparés et servis par des enfants après un chant choral; La disposition administrative est de 6000 familles par ville. La famille paysanne étant la cellule de base…
La tolérance religieuse existe pour des raisons de paix sociale mais le polythéisme est interdit. Prédomine une forme de christianisme avec un Dieu tutélaire. Les prêtres, élus par le peuple, peuvent se marier.
L’humaniste More a confiance en l’homme qu’il dote d’une nature qui le porte au bonheur par un plaisir « droit et honnête » : « Le bonheur, pour eux, ne réside pas dans n’importe quel plaisir, mais dans le plaisir droit et honnête vers lequel notre nature est entraînée. »
Utopia est à deux optiques de lecture. L’ouvrage peut être lu comme la rêverie d’un âge d’or perdu, que (re)découvre le voyageur : une île où l’homme naturel est foncièrement bon dans un avant-goût rousseauiste. C’est ainsi que la justice rendue est suffisamment impartiale qu’elle ne nécessite pas de défenseurs. La tolérance assure la paix sociale. Mais, quand même, la société est patriarcale et esclavagiste.
La seconde optique de lecture montre une volonté de réforme de la gouvernance des rois comme l’espérait More de la part d’Henry VIII, avant qu’il ne soit nommé Chancelier et ne se heurte à la réalité politique. Le mouvement humaniste a cru pouvoir par la sagesse et la raison amener les princes à moins, si non à la fin, de pouvoir personnel et autoritaire. Mais les fortes personnalités que réunissait le XVIème siècle, Charles Quint, François 1er, Henry VIII, puis Marie Tudor et Élisabeth 1er, ne concouraient pas à une telle orientation démocratique avant l’heure.
« Utopia va influencer considérablement les autres villes imaginaires : propriété collective, égalité sociale, souci d’hygiène, autarcie économique, démocratie politique; organisation de la vie quotidienne, du travail et des loisirs. »( http://edu.saline.free.fr/01-cites/1-thema/02-utopia.html).
L’ Utopie est comme une parenthèse politique divertissante dans l’œuvre de More car il retournera aussitôt à ses préoccupations essentielles qui sont d’ordre religieux.
Francis bacon (1561-1626), né à Londres, est le fils d’un juriste qui sera le Ministre de la Justice d’Élisabeth 1ère et membre de son conseil. Enfant précoce, il fait ses études à Cambridge. Ses études terminées, il accompagne l’ambassadeur d’Angleterre à la cour d’Henri III. A la mort de son père en 1579, il revient en Angleterre. Reçu avocat, il se spécialise dans la jurisprudence. N’étant pas très fortuné, porté vers les affaires publiques, il trouve un protecteur en la personne de Robert Devreux (1551-1601), fils de Walter fait Comte d’Essex en 1572 et amant de la reine qui le fera décapité pour avoir comploté suite à sa disgrâce.
En 1592, Bacon entre à la Chambre des Communes (chambre basse). L’opinion publique va se retourner contre lui quand il justifiera sans barguigner la condamnation de son protecteur comme Élisabeth 1ère lui avait demandé de le faire et qui n’en fut pas pour autant reconnaissante le laissant plusieurs fois arrêter pour dettes. C’est de Jacques VI Stuart, roi d’Écosse, premier Stuart à monter sur le trône d’Angleterre en 1603 sous le nom de Jacques 1er, qu’il obtiendra les faveurs. Il sera nommé successivement Procureur Général en 1615, Conseiller du roi en 1616, Garde des Sceaux en 1617, Chancelier en 1619 et Lord et Pair en 1620. Mais face à l’opposition des amis d’Essex et de jalousies politiques, il dut trouver un autre protecteur en la personne du Duc de Buckingham Cette protection se retournera contre lui quand il sera dans l’obligation de recevoir lui et son entourage des sommes d’argent pour orienter ses décisions juridiques. Condamné à 40000 livres d’amende[4], il sera ruiné. Dans sa disgrâce , vivant dans l’indigence, il consacrera les dernières années de sa vie à ses travaux et ses écrits.
F. Bacon s’est marié tardivement, à l’âge de 45 ans. Aux dires de différents témoignages, son homosexualité serait indéniable; Mais toute une bibliographie fait état de controverse sur la question.
Francis Bacon est considéré comme le père de l’empirisme[5]. Il développe et amplifie les thèses de son homonyme, le philosophe expérimentaliste du Moyen-Âge, Roger Bacon. (Cf. 1200/ La Scolastique/ L’Ordre Dominicain). En 1606, il écrit De Dignitate et Augmentis Scientiarum (de la Valeur et de l’Avancement de la Science), ouvrage dans lequel il trace le tableau de tous les domaines que les sciences peuvent embrasser et traite des rapports entre elles. C’est le début de l’épistémologie en ce que Bacon circonscrit le domaine général de la connaissance scientifique et fait de la science l’unique moyen pour acquérir un savoir vrai. Écrit à l’origine en anglais, il en donnera une traduction latine en 1620.
En 1620, dans son Novum 0rganum Scientiarum (De la Nouvelle Organisation de la Science), l’anti-Aristote Bacon écarte le syllogisme comme méthode d’accès au savoir tel que tout au long du Moyen-Âge, il a été pratiqué, et le remplace par l’induction ; et il ajoute que l’autorité (des maîtres) ne fait plus foi.
Mais comme son contemporain Giordano Bruno, Bacon aborde plus la question du savoir (scientifique) à la manière d’un philosophes qu’à a manière d’un scientifique, se référant lui-même à des écrits antérieurs plus qu’à de réelles expérimentations. C’est plus en théoricien qu’en savant que Bacon approche la question du savoir. Par exemple, pour savoir ce qu’est la chaleur, il indique toutes les circonstances dans laquelle elle se manifeste sans pour cela en faire une sujet d’expérience. Bacon traite de la même façon des questions importantes pour lui que sont celles de la vie, de la mort et des vents sur lesquels il veut fonder sa méthode.
La position de Bacon sur l’empirisme, sur la connaissance du réel par l’expérience sensible est en fait tempérée par l’inévitable interprétation que l’on donne aux faits, dans l’ordre, la cohérence, le rapport que l’on établit pour les comprendre.
Il s’est aussi particulièrement intéressé aux plantes. Son Sylva Sylvarum Sive Historia Naturalis paru en 1627 et suivi d’une édition en 1661 à Amsterdam, rassemble ses propres expériences sur les plantes avec nombre de témoignages, d’observations.
Bacon avait projeté de rassembler ses écrits en un seul ouvrage, Instauratio Magna. Seuls des six ouvrages qu’il devait réunir, les deux principaux, cités, seront achevés.
On doit à Bacon le célèbre adage « le savoir lui-même est pouvoir » que l’on utilise dans la formulation courante « savoir c’est pouvoir.».
Notes
[1] William Blount, 4e baron Mountjoy (1478-1534) , homme de confiance d’Henri VIII, il assuma des charges et des missions d’importance… comme annoncer à Catherine d’Aragon dont il était le chambellan que son roi la répudiait.
[2] L’Anglais William Tyndale (1494-1536), fervent luthérien, acheva sa traduction du Nouveau Testament du grec en moyen anglais en 1525 à Wittemberg. Elle paraitra à Worms l’année suivante. Il n’avait pu obtenir en Angleterre, qu’il quitta définitivement en 1524, l’autorisation de traduire le N.T.. More parle de « la secte pestilentielle de Luther et Tyndale » (cité par M. Delcourt op. cit.)
[3]Dans le Théétète (traité sur la science), Platon écrit que la pensée est « un dialogue intérieur de l’âme avec elle-même ». Ce dialogue est recherche de la vérité. Il ne s’agit pas d’une conversation, mais d’une mise sous forme orale de la pensée dans sa démarche dialectique.
[4] A titre indicatif, l'entière collection du duc de Mantoue était évaluée à 25000 livres.
[5] «L’empirisme désigne un ensemble de théories philosophiques qui font de l'expérience sensible l'origine de toute connaissance ou croyance et de tout plaisir esthétique.» ( Art. Wikipédia) .
« Par extension, on appelle "empirisme" toute méthode qui prétend ne s’appuyer que sur l’expérience, sur les données, sans recourir au raisonnement ou à la théorie.» ( http://www.toupie.org/Dictionnaire/ Empirisme.htm).
L’empirisme s’oppose à l’idéalisme et du certaine façon au primat de la ration.Dans la lignée de Francis Bacon : John Locke (1632-1704) , David Hume (1711-1776).
Les Précurseurs - Première Génération - Seconde Génération
Jean Charlin de Montreuil (1318-1418), secrétaire de Charles VI, homme lettré et investi dans les querelles littéraires, avait déjà ouvert la voie par ses recherches et lectures des latins classiques. Autour de lui, c’était constitué dans la seconde moitié du XIVème siècle, en cette période du Style Courtois, un petit cénacle de premiers humanistes parmi lesquels on comptait Gautier Col, comme lui homme d’état et comme lui mort tragiquement lors de la prise de Paris par les Bourguignons[1], et Nicolas Poillevillain de Clamages qui, secrétaire de l’antipape Benoit XIII, maitrisant le grec, chose devenue rare à son époque, éveilla l’humanisme à la cour papale d’Avignon en se réclamant pour son du style des auteurs de la Rome Antique.
Après la fin de la Guerre de Cent Ans (1453), l’Université de Paris, ruinée, avait subi les conséquences du soutien qu’elle avait apporté à l’Angleterre. La rivalité entre terministes (nominalistes) et réalistes, entamée dès la Querelle des Universaux au XIIème siècle, qui opposa par la suite les Thomistes et Scotistes, se poursuit. Le pétrarquisant Guillaume Fichet (1433-ca1485) et le trinitaire Robert Gaguin (1433-1501) redonneront du lustre à l’enseignement parisien en reprenant dans la seconde moitié du XVème siècle la relève du premier cénacle humaniste de Charles VI.
Le savoyard Guillaume Fichet (1433-1490 ?) a fait ses études en Avignon et a ensuite continué d’y séjourner. C’est un théologien qui a pris une orientation platonisante. Nommé recteur de l’Université de Paris, il y introduit une nouvelle forme d’enseignement de la rhétorique (Voir Agricola), qui avec ses sœurs, dialectique et grammaire, fait partie du triumvir. Il participe directement en 1470 à l’implantation de la première imprimerie en France, à la Sorbonne. Il supervise l’impression du premier livrequi y est imprimé, une correspondance du grammairien italien Gasparin de Bergame, qu’il accompagne d’une épitre. Le troisième livre sorti des presses des typographes alsaciens de la Sorbonne sera son Rhétorica (1471), véritable introduction à l’humanisme italien. Il fera aussi imprimer des Lettres de Platon. Il repartira définitivement en Italie à la suite du Cardinal Bessarion (†1472 Voir) qui, plus lettré que diplomate, sut s’entourer d’humanistes. Ce cardinal d’origine byzantine tenta vainement de lancer une énième croisade et de réconcilier Rome et Constantinople au sujet de la Question du Filioque [2].
Fichet mourra à Rome où il aura occupé à la fin de sa vie la charge de chambellan (camerlingue, camérier) de Sixte IV.
Le flamand Robert Gaguin (1434-1501) entre très jeune à Paris dans l’Ordre des Mathurins ou Ordre des Captifs - Ordre fondé en 1194 pour le rachat des prisonniers des musulmans en Terre Sainte. Le Couvent des Mathurins où il fait ses études, situé en plein cœur du Quartier Latin, fait partie intégrante de l’université et joue un rôle important dans la vie universitaire et intellectuelle en accueillant les assemblées de l’université aussi bien que diverses confréries. Non pleinement satisfait de l’enseignement qu’il y reçoit, en 1458 avec son ami Guillaume Fichet, il suit les leçons du premier professeur de grec nommé à la Sorbonne, Le Tiffernate (Gregorio Tifernate † 1462).
« L’effort de critique textuelle sur l’Écriture, commencé au XIIIème siècle, s’est vite affaibli chez les réguliers et les séculiers; l’on ne sait guère soucier de former des hébraïsants, et la connaissance du grec reste rare et fragile. » (M. Gandillac Op.Cit.).
Professeur de rhétorique et doyen de l’université, Gaguin va alors tenir une place importante pour avoir dès la seconde moitié du XIVème siècle formé à l’enseignement humaniste. Il aura notamment pour élèves Reuchlin et Érasme qui, arrivé à Paris en 1494, deviendra son ami. Ministre Général de son ordre, il va devoir accomplir de nombreuses missions diplomatiques pour les rois Louis XI et Charles VIII, ce qui l’éloigne pour de longs séjours hors de Paris.
Il traduit La Guerre des Gaules de J. César du latin en moyen-français, publie en 1485 une lettre de Pic de la Mirandole et fait imprimer une partie de sa correspondance à l’instar des humanistes italiens (Il était en 1486 en mission à Florence).
Un ouvrage, qui eut un grand retentissement et circula largement dans les cercles humanistes, peut marquer une introduction à l’humanisme français: La Théologie Naturelle (Theologia naturalis sive Liber creaturarum ou Liber creaturarum seu de homine ) du médecin et philosophe catalan Ramon Sibiuda (Raymond Sebond, 1385-1436), écrite en 1436 mais rééditée en 1485/87, traduite en français en 1519 . Cet ouvrage est fortement inspiré par l’Ars Magna de Raymond Lulle (1232-1315), qui lui-même « eut une grande influence en France pendant plusieurs siècles »[3] .On attribua à Lulle, le célèbre Testamentum, ouvrage hermétique d’un Pseudo-Lulle, qui suscita un engouement considérable dès la première moitié du XVème siècle pour l’alchimie (voir Humanisme/arts sacrés)
Dans sa Science du Livre des Créatures, Sebond développe une philosophie naturelle de par laquelle il sépare la science de la nature ou science de l’homme de la théologie.
« Il reprend le projet lullien de justification rationnelle du contenu dogmatique de la foi chrétienne, mais dans un langage simple et sans utiliser l’apparat logico-métaphysique de l’Art [Magna]. L’oeuvre de Sibiuda inaugure la tournure anthropologique de la pensée moderne et ébauche en même temps une ligne apologétique dont le point culminant sera Pascal » (Eusebie Colomer in Les Chemins du Lullisme en Europe https://core.ac.uk/download/pdf/39084145.pdf 1995) .
Les humanistes y trouvent leur compte de rationalisme et d’empirisme par lesquels la connaissance des vérités théologiques ne dépend plus tant de leur révélation que de leur approche déductive, d’une méthode. L’œuvre, au moins en partie, sera mise à l’Index. Montaigne qui en avait entrepris une traduction du latin en 1569 crut devoir en atténuer les expressions et dresser une apologie de l’auteur dans son Livre XII des Essais dans lequel au prétexte de prendre sa défense discrédite en fait sa thèse qui fait reposer la Vérité sur un homme imparfait, et qui ne peut connaître que son propre univers sans le recours à la grâce divine.
Deux étapes importantes marquent l’implantation définitive de l’humanisme en France: La création en 1522 par François 1er de la « Librairie du Roi » (Bibliothèque de Fontainebleau) à partir du fond de « la « Librairie de Blois » de Louis XII, à l’instigation de son entourage d’humanistes dont Guillaume Budé et le cousin du poète Joachim du Bellay, l’influent cardinal Jean du Bellay, ambassadeur du roi. Cette bibliothèque sera transférée à Paris en 1567 lorsque Jacques Amyot sera nommé Maître de Librairie par François II[4]. Sous l’influence des mêmes, sera créé en 1530, le « Collège des Lecteurs Royaux », futur Collège de France, toujours en activité.
Lefèvre (Jacobus Fabri Stapulensis 1450-1537), né à Étaples (Picardie), reçoit à Paris une formation traditionnelle mais limitée. Puis très tôt, il voyage en Europe. En 1485, il rencontre Pic de la Mirandole à Paris. Il le rencontrera à nouveau à Florence ainsi que Marsile Ficin en 1491-92.
En 1495, bien que son « bagage » universitaire se soit limité au grade de bachelier es arts, il enseigne néanmoins la théologie au Collège du Cardinal Lemoine, fondé par ce dernier. C’est à cette période qu’il édite l’œuvre d’Aristote. Dans une première partie de sa vie, Lefèvre porte tout son intérêt sur la philosophie du Stagirite qu’il débarrasse des lourdeurs de la scolastique, que Rabelais qualifiait de « gloses tant sales » ; et sur des traductions musulmanes jugées par lui trop interprétatives. Ses traductions et commentaires de 1490 à 1506 offrent une nouvelle lecture de l’aristotélisme. Il publie en 1499 le Pseudo-Denis.
En 1505, il publie avec commentaire, dans la traduction du grec en latin, le Pimandre et la ‘révision’ latine de l’Asclépius, faites par Ficin, et le Crater Hermetis (Le Bassin d’Hermès), ouvrage en latin du poète hermétiste Ludovico Lazzarelli (1447-1500), qui fait suite aux travaux de Ficin(Voir ci-après Hermétisme). La traduction française, altérée, des trois ouvrages paraîtra en 1549.
En 1508, marqué par les travaux du philologue Lorenzo Valla à Florence, il introduit en France dans son commentaire de la publication d’un psautier en cinq langues, cette nouvelle analyse des textes sacrés qui le conduira à une approche mystique influencée par le « docte ignorance » du Cusain. A la même époque Érasme, dans le Nord, a la même démarche vis-à-vis des Écritures Saintes et se situe dans la même veine d’un humanisme biblique. En 1512, sa publication commentée des Épîtres de Paul qui renforce son propos, fera référence dans les milieux de la Réforme.
En 1521, son commentaire sur les Évangiles, lui vaudra les foudres de la Sorbonne. Il se réfugie avec un noyau d’élèves à Meaux auprès de son élève, l’évêque Guillaume Briçonnet qui en fait son vicaire général. Il fonde le Cénacle de Meaux, foyer réformiste d’humanistes évangélistes qui prônent une retour à Église originelle et la prédication des Écritures dans les paroisses. Guillaume Farel (1489-1565), qui deviendra un fervent zélateur de la Réforme en Suisse, fréquente le cénacle qui sera dissout en 1525. C’est à Meaux que Lefèvre commence sa traduction du Nouveau Testament à partir de la Vulgate. Achevée en 1524, elle provoquera l’enthousiasme de Luther.
En 1525, sa traduction est condamnée et faite brûlée par le Parlement de Paris. Il se réfugie à Strasbourg. Il revient à Paris l’année suivante et François 1er, de retour sur le trône après un an de captivitée[5], le nomme précepteurs de ses enfants.
En 1530, paraît sa traduction du Nouveau Testament avec un commentaire dans lequel il réaffirme la prévalence de la foi sur le salut par les œuvres. Marguerite de Navarre, grand-mère d’Henri IV l’appelle en son Château de Nérac où elle reçoit Calvin en 1534. C’est à Nérac qu’il finira ses jours en terminant sa traduction de la Bible. Il aura également traduit le syrien orthodoxe et Père de l’Église, Saint Jean Damascène (676-749).
Lefèvre s’inscrit comme Érasme dans cette veine de l’humanisme chrétien qui prône un retour à une lecture au plus près des textes bibliques les plus anciens. Il est l’un des premiers à faire prévaloir la foi sur les œuvres.
Si dans un premier parcours, il s’attache à une relecture d’Aristote, la fréquentation des Florentins, ses travaux sur Nicolas de Cues sur lequel se spécialisera son élève Charles de Bouelle, ses commentaires et éditions de R. Lulle, du Pseudo-Denis, le feront se tourner vers le platonisme et vers une mystique contemplative orientée par le Lulle de La Contemplation de Dieu (1272), directement inspirée, elle, des Six Illuminations de Cette Vie (1270) de l’augustinien Saint Bonaventure (†1274), dans lequel celui-ci trace le parcours des lumières jusqu’à l’illumination divine.
Lefèvre s’orientera vers la Devotio Moderna, prenant ainsi le chemin de la Réforme. Sous l’influence de Pic de la Mirandole, il ne sera pas étranger à une « magie naturelle » qui sait voir en la Nature toutes les forces occultes en œuvre et toutes les « transmutations » des champs terrestres et célestes.
Dans la continuité de Guillaume Fichet et Robert Gaguin,
Lefèvre aura une activité d’éditeur importante qui lui permettra de diffuser les textes allant à ses préférences: le corpus aristotélicien, Lulle, le Corpus Herméticum et le Pseudo-Denys, les Épîtres de St Paul et l’ensemble de l’œuvre de Nicolas de Cuse. Porté sur la mathématique -il écrira des ouvrages musicaux- il édite La Sphère de Holywood, faisant rappel dans son commentaire de l’intérêt porté par Platon aux mathématiques[6].
Mais tout aussi important, les commentaires accompagnant ses publications font de lui non seulement la figure majeure de la Renaissance française avec G. Budé, mais encore un précurseur de la Réforme tout en restant comme Érasme fidèle au Vatican.
Guillaume Budé (1467-1540) nait dans une famille bourgeoise parisienne anoblie au siècle précédent. Celle-ci l’oblige pour assumer la succession de ses charges à des études de droit qu’il suivra à Orléans. Ce n’est que tardivement à vingt cinq ans qu’il décide de se consacrer à l’étude. Et c’est à trente sept ans, en 1505, qu’il se marie avec une jeune fille de quinze ans dont il aura onze enfants. Après sa mort, sa femme se convertira au protestantisme et s’installera en 1549 à Genève.
Du point de vue social, Budé présente l’originalité de ne pas être un clerc mais d’être un laïc, d’être mariée et père de famille nombreuse, et de devoir passer plus de temps à la gestion des biens qu’il a reçu en héritage et assumer les importantes charges royales qu’à ses ferventes études. Ce qui peut expliquer son œuvre tardive.
Il étudie le grec[7], les mathématiques, l’histoire, la philosophie, la médecine et l’ensemble de ces connaissances feront de lui l’homme de la Renaissance tel qu’on l’appréhende de nos jours, pluridisciplinaire.
Budé fut un homme sensible, attentionné envers ses amis, bon et non dépourvu de bonhommie. Il dit de lui-même « avoir le caractère gai »[8]. Mais son travail assidu provoquera chez lui des troubles de la nervosité dont il ne se départira jamais.
Budé va connaître trois règnes : Celui de Charles VIII († 1496) auprès de qui il aura le titre de « secrétaire du roi », celui de Louis XII (†1515)[9] duquel il restera en retrait, celui de François 1er dont il sera entre autres l’accompagnateur, pourrait-on dire, attitré et notamment au célèbre Camp-du-Drap-d’Or où en 1520, dans la plus grande des magnificences la rencontre des rois de France et d’Angleterre, de François 1er et Henry VIII.
En 1522, François 1er crée la Bibliothèque de Fontainebleau qui, déplacée à Paris deviendra la Bibliothèque Nationale[10]. Il met Budé à sa tête avec le titre de Maître de Libraire du Roi. Dès 1536, le fond sera alimenté par le dépôt obligatoire de toute œuvre publiée. De nos jours, tout ouvrage édité doit obligatoirement obtenir un numéro de la BNF. Cette même année de 1522, les honneurs s’accumulant, Budé est nommé Maître des Requêtes (haut fonctionnaire) en charge d’affaires de justice (affaires du Connétable de Bourbon et de l’hérétique Louis de Berquin[11]), ce qui le désigne de facto comme Prévôt des Marchands de Paris.
En 1530, écoutant et partageant l’avis de personnages influents de l’entourage du roi, Budé intercéda auprès de François 1er pour qu’il fonde un collège Royal sur le modèle du Collège des Trois-Langues (latin, grec, hébreu) de Louvain, fondé en 1517. Érasme, réclamé par toutes les cours, avait été sollicité dès sa création pour y participer et donner ainsi forme de caution. Mais après des tergiversations peu claires, il déclina l’offre[12]. Ce sera le Collège des Lecteurs Royaux qui portera ensuite le nom de Collège Royal avant de devenir le Collège de France. Sa mission est toujours de délivrer à tous un enseignement gratuit de haut niveau supérieur, professé par des sommités françaises et étrangères. Budé proposa un poste à Érasme qui, trop épris de son indépendance, déclina l’offre. Budé, laïc, ouvrait ainsi la voie à un enseignement en dehors de la tutelle de l’université de Paris sous protection de l’Église. Université qui s’opposait fermement à la lecture des Saintes Écritures dans les textes originaux grecs. François 1er autorisa en 1534, la lecture en grec de ces textes au sein du collège.[13]
« C’est Budé qui, le premier, introduit dans la langue française le mot « encyclopédie » [dans l’Institution du Prince, dédiée à François Ier]. Rabelais reprendra le terme pour désigner le savoir complet qui doit être celui de Pantagruel.» (http://classes.bnf.fr/dossitsm/textfond.htm#Bude)
« Il a déployé un vaste programme d’études historiques et philologiques destinées à révolutionner trois domaines scientifiques : l’exégèse des sources du droit romain, l’histoire économique de l’Antiquité et la lexicographie grecque. » (Luigi-Alberto Sanchi, Budé lecteur d’Hérodote, anabases.revues.org/750)
C’est tardivement, passé la quarantaine, que Budé publie son premier ouvrage. Dans les Annotationes in XXIV libros Pandectarum (1508) , Budé applique l’approche philologique aux textes de droit et les débarrasse de leurs couches d’interprétations. « Le but des Annotations aux Pandectes est d’expliquer les passages difficiles ou de corriger les corruptions du texte des Pandectes de Justinien grâce à l’apport de la littérature grecque et grâce au croisement des sources antiques ».(L.A.Sanchi Op.Cit.). Les Pandectes ou Digeste est un recueil de textes juridiques de l’Antiquité classique romaine compilés aux VIème siècle. Il ne compte pas moins de cinquante livres relevant chacun d’une question du droit.
De Asse et Partibus Ejus (Du Sou et ses Parties, 1515), est un ouvrage sur la valeur des monnaies et mesures de l’Antiquité par lequel « il a renouvelé largement l’interprétation des textes des historiens, des jurisconsultes de l’Antiquité et de Pline dont il étudie les manuscrits très altérés ». (http://classes.bnf.fr/dossitsm/b-bude.htm). Cette publication lui conférera une très grande considération. Elle reste son œuvre la plus connue. Il en fera un résumé en 1522, Summaire ou Epitome du livre de Asse.
Dans De Literarum Recte et Commode Instituendo (1532), Budé réaffirme l’étude et la culture comme véritables voies vers la sagesse.
En 1526, il publie de nouvelles Annotations aux Pandectes. Passage de l’Hellénisme au Christianisme (De Transitu Hellenismi ad Christianismum)’, sa dernière œuvre, paraît en 1535, quelques mois après l’Affaire des Placards qui a vu s’afficher dans les rues de grandes villes et jusque sur la porte de la chambre du roi à Amboise, des billets s’élevant contre l’efficience de la transsubstantiation dans l’eucharistie. L’auteur, un pasteur suisse calviniste, fut condamné à mort avec plusieurs personnages importants. Calvin après cette affaire s’exilera en Suisse. Les tensions étaient vives entre les luthériens et les romains défenseurs de la liturgie et des sacrements. Budé en un style éloquent, complexe, savant, faisant le bilan de sa vie d’intellectuel et de croyant, d’humaniste-chrétien, assume cette transition d’une même sagesse qui a pris forme d’hellénisme avant de prendre forme du Christianisme.
“Guillaume Budé a été un helléniste cyclopéen et encyclopédique, comme en témoignent ses ‘Commentaires de la langue grecque’, l’œuvre de la fin de sa vie, avec ses dix-huit mille citations grecques tirées d’une centaine d’auteurs anciens et tardifs dans le but d’éclairer la naissante lexicographie gréco-latine».
Il a commencé sa carrière d’homme de lettres par des traductions de traités du gréco-romain Plutarque (†125), c’est de même qu’il aura consacré toute sa vie à la traduction du Placetis Philosophorum naturalibus, « un répertoire très apprécié des philosophes anciens sur les divers problèmes de physique et de métaphysique qui préoccupaient ceux du XVIème siècle. » (H. Busson Le Rationalisme de la Renaissance Librairie J. Vrin 1971)
La correspondance que Budé entretint avec les grands humanistes de son temps, D.Érasme, E. Dolet, T. More. P. Bembo entre autres, tient pour beaucoup dans la grande renommée dont il jouissait de son vivant dans toute l’Europe. Son œuvre est autant volumineuse qu’importante en tant que traducteur et lexicographe, juriste et philosophe. Il apporta une contribution non négligeable aux sciences et en particulier à la mathématique.
Claude de Seyssel (1450 -1520), né à Aix-en-Savoie, est le fils bâtard du Gouverneur du Piémont et Maréchal de Savoie, Claude Seyssel appartenant à la plus ancienne noblesse savoyarde. Il est aussi connu sous le nom de Claude d’Aix. Il fait des études de droit canon et de droit civil à Pavie et enseigne à Turin à partir de 1482.
En 1496, il devient conseiller du Duc de Savoie, et en 1498, il entre au Grand Conseil de Charles VIII qui meurt la même année. Louis XII, qui lui succède accorde à Seyssel toute sa confiance voire sa confidence. Il sera maintes fois son missionnaire à l’étranger et particulièrement en Italie.
En 1505, il découvre la ‘Librairie de Blois’ dont il dira que le fond est « un très amas noble », fond alimenté par les manuscrits que Charles VIII a ramené de ses campagnes d’Italie, par la collection d’Anne de Bourgogne qui l’hérita de son père Jean-Sans-Peur (branche Valois-Bourgogne), et par celle de Louis XII qu’il a hérité de son père, le poète Charles d’0rléans[14]. Jean Laskaris et lui, en double traduction, traduisent en français les auteurs grecs dont Xénophon et Thucydide, Lascaris traduisant du grec au latin, Seyssel du latin au français,. Ils traduisent également de 1504 à 1514 les historiens romains Didore (1er s. av.J.C.) et Justin (3- 4èmes s.). François 1er transfèrera la libraire à Fontainebleau en 1522 et fera de Guillaume Budé son « Maître de Libraire du Roi ».
Seyssel est un membre actif du Parlement de Paris. Il accomplit pour Louis XII de nombreuses missions diplomatiques aussi bien dans le Nord qu’en Italie auprès du pape Léon X de qui il obtient les lettres de dispense pour être prêtre. En 1509, sur instance royale, il est nommé évêque de Marseille. Il ne fréquentera pas son diocèse au point que le chapitre le croira mort et le remplacera. En 1513, il prépare le Concordat de Bologne de 1515, qui restera en vigueur jusqu’ à Napoléon. Il est nommé archevêque de Turin en 1516 et mène campagne contre les Vaudois (voir La Réforme en France) du Piémont et du Luberon. Dans ses dernières années, il revient en sa Savoie natale (il n’était pas français) où il meurt en 1520 après avoir assumé les fonctions de conseiller auprès du Duc et ses propres charges ecclésiastiques.
La Grant’Monarchie de France, œuvre de ce juriste et théoricien politique paraît dans une première édition falsifiée en 1519 sur laquelle seront basée les suivantes jusqu’à l’édition complète et original de 1961.
“Juriste, diplomate, théoricien politique, prélat, c’est une de ces hommes de la Renaissance dont l’activité multiple suscite l’étonnement” (P. CHavy.Huma.Fr. Réf citées)
Voir également Humanisme Politique/ Claude Seyssel.
Symphorien Champier (c.1472- ca.1531) est né près de Montpellier où il a fait ses études de médecine. Il deviendra un médecin de renom. Notable lyonnais, il est élu au Consulat de Lyon, doyen du Collège des Médecins de Lyon et participe à la fondation du Collège de la Trinité dont il fut le premier Principal.
Lyon, au XVIème siècle, opulente par ses filatures, est un important foyer culturel qu’animent les amis médecins, musicologue, lettrés de Champier : Maurice Scève, Clément Marot et les traducteurs Claude Seyssel et Jean Lascarys lors de leurs séjours. Rabelais qui, nommé médecin à l’Hôtel-Dieu en 1532, a pu ‘aider’ Champier dans la rédaction de ses dernières ouvrages de médecine,. Autres fréquentations, la vraie ou fausse Louise Labé et encore Corneille Agrippa. Les ateliers lyonnais d’imprimerie, comme celui de Jean de Tournes, d’une grande production, ont atteint une qualité qui n’a rien à envier à ceux de Venise ou de Paris.
Entre 1520 et 27, Champier n’est plus à Lyon et on ne sait où il a habité. De retour en 1527, il quitte à nouveau la Capitale des Gaules. En 1529, sa maison est saccagée pendant le soulèvement des « hommes de l’art mécanique » provoqué par le manque d’approvisionnement en céréales et leur hausse des prix, évènements connus sous le nom de La Grande Rebeyne (ou Rebeine) dont il fit un récit qu’il intégra aussitôt à son histoire de Lyon.
Sa renommée, Champier la doit à ses écrits sur la médecine dont il fut un vulgarisateur; écrits dans lesquels il conteste la médecine venue au Moyen-âge des musulmans (Al Ghazali, Rhazès, Avicenne, Averroès) et à partir de laquelle il a acquis sa science. Il défend une médecine locale à laquelle des accents de chauvinisme ne sont peut-être pas étrangers: Selon lui les affections locales doivent être soignées par des médecines locales. Mais il est aussi connu à son époque pour ses écrits divers sinon éclectiques qui touchent à la chronique, l’histoire, la théologie, la pédagogie, et à l’astronomie et l’occultisme auxquels il s’attaqua vivement. Champier, polygraphe et plumitif –son élève releva 105 titres- suscita la louange autant que la critique,.
Il fut le premier à écrire une biographie de Pierre Terrail, seigneur de Bayard (1475-1524), Les Gestes Ensemble de la Vie du Preux Chevalier Bayard, qui était de sa famille de par sa mère.
Écrivant soit en latin soit en français, ses ouvrages portent parfois le pseudonyme de Théofile Du Mas ou l’anagramme de son nom Morien Pierchamp. Champier, chrétien de stricte obédience, « fait figure de philosophe, notamment pionner du platonisme ficinien en France, et d’adversaire des sciences occultes ». (Richard Cooper http://www.persee.fr/doc/rhren_0181-6799_1998_num_47_1_2223).
Jean Dorat (Auratus, dit d’Aurat (d’or), 1508-1588) de son vrai nom Jean Dinemandi, brillant helléniste, principal du Collège de Coqueret (Montagne Ste Geneviève, Paris), enseigna les poètes grecs, latins, et toscans qu’il traduisit et commenta. Il fit découvrir Horace, Virgile, Pindare, Catulle, Dante, Boccace, Pétrarque à ceux qui allaient fonder la Pléiade (voir Littérature) : Ronsard, Du Bellay, Antoine du Baïf qui formèrent autour de lui un petit groupe qu’il appela la ‘Brigade’.
Jacques Amyot (1513-1593), issu d’une très modeste famille de commerçants melunais, fait ses études au Collège de Navarre, sis à l’actuel emplacement de l’École Polytechnique, réputé alors pour sa défense de l’aristotélisme, et où le dernier grand scolastique français, J. de Gerson († 1429), fit lui-même ses études. Amyot poursuit ensuite des études de droit à l’université de Bourges où il se forme au grec et au latin. Il les enseignera par la suite grâce à la faveur de l’écrivaine Marguerite de Navarre, sœur du roi.
Avant cela, il sera précepteur des enfants de personnages de haut rang. Une traduction de l’auteur dramatique grec Héliodore (3èmes. ap.j.c.), Amours de Théagène et Chariclée, lui vaudra d’être remarqué et de recevoir les prébendes d’une abbaye. François 1er fera de lui le précepteur de ses petits-enfants, les futurs rois Charles IX et Henri III. L’un le fera nommé par le pape évêque d’Auxerre en 1570, l’autre , Grand Aumônier de France.
Henri II, duquel il reste proche, l’envoie au Concile de Trente (1542>63). En janvier 1589, il assiste aux côtés d’Henri III à la messe en l’honneur du Duc de Guise qui vient d’être assassiné en décembre sur ordre du roi au Château de Blois où Amyot venait de se rendre. A la suite de cet assassinat, le peuple de Paris qui vénérait le Chef de la Ligue Catholique et le considérait comme son roi détruisit les armoiries royales.
Amyot occupe une place de premier plan dans l’histoire de l’humanisme français par ses traductions de Plutarque (1er s. ap. JC.) en une langue française qui lui doit beaucoup. Du biographe et moraliste d’origine grecque, paraissent les traductions de la Vie de Démétius, en 1542, des Vies Parallèles des Hommes Illustres (grecs et romains) en 1559 et ses Œuvres Morales et Meslées en 1572.
Pierre de La Ramée (Pierre Ramus, 1515-1572),originaire de Picardie, est d’origine extrêmement modeste garda les troupeaux dans son enfance, avant de partir, mû par une soif de connaissance, à Paris. Comme Guillaume Postel, il se fit, ce qui n’était pas rare, valet d’un élève du Collège de Navarre et put ainsi tout en assumant sa charge, s’instruire.
D’emblée, Ramus est en bute avec l’établishment. Farouchement antiaristotélicien, il commence par commettre le crime de lèse Aristote en 1536 en intitulant sa thèse de maître ès arts Quaecumque ab Aristotele dicta essent commentitia esse (Ce que tout ce qu’avait dit Aristote n’était qu’un tissu d’erreurs) alors que le Stagirite trônait encore au firmament de la Scolastique. Sa vie est une suite de cabbales et de reconnaissances. Après un temps passé au Mans où il met au point avec deux autres humanistes sa nouvelle méthode d’enseignement, il est nommé en 1545 sous l’aval de François 1er,Principal au Collèges de Presles situé sur la Montagne Ste Geneviève. En 1551, est créé spécialement pour lui, au Collège des Lecteurs Royaux (de France), une chaire d’éloquence et de philosophie « groupant jusqu’à deux mille auditeurs… l’esprit hardi qui animait son enseignement, les réformes qu’il accomplissait ou qu’il proposait, soulevèrent de nouveau contre lui les rivalités et les haines[15] ». Son enseignement a un retentissement dans toute l’Europe.
Au début des années 1560, il est définitivement acquis aux thèses calvinistes. En 1562, il adresse au roi Henri II, un Avertisse-mens au Roi sur la réformation de l’université de Paris, dans lequel il dénonce les abus financiers de l’université et ses méthodes. Et la même année, il approuve l’Édit de Tolérance de Saint-Germainen Laye que fit promulguer Catherine de Médicis pour tenter d’apaiser les tensions entre catholiques et Huguenots (voir Réforme/ Guerre des Religions/ Colloque de Poissy). Il meurt assassiné dans la nuit de la St Barthélémy non seulement pour ses convictions religieuses mais sans doute aussi à cause de l’animosité qu’il provoqua dans le milieu universitaire.
Il mit au point une nouvelle méthode d’enseignement en introduisant l’éloquence comme matière et en faisant références aux auteurs antiques.
« …La méthode de Ramus, dit M. Vallet de Viriville, peut- être définie ainsi : Mêler aux pratiques à peu prés exclusives alors de la simple argumentation, la lecture et l’imitation des meilleures écrivains de l’antiquité…Instituer le raisonnement (je dirais plutôt le jugement), le goût et la critique, là où régnait, presque sans partage, un aveugle emploi de la mémoire et un usage en quelque sorte mécanique de l’esprit… Un autre trait caractéristique de la réforme de Ramus, c’est qu’il faisait grand cas de la forme, il aimait l’élégance du langage et l’éclat du style. » (Gabriel Compayré Ref.Cit.)
Disciple de Socrate, Ramus publia deux autres ouvrages contre le fondateur du Lycée, Institionnes Dilaecticæ et Aristotelicæ animadversiones.
« Les Dialecticæ partitiones et les Aristotelicæ animadversiones de Ramus, mathématicien et humaniste, farouche adversaire d’Aristote sont immédiatement condamnés par la Sorbonne (1543). Dans ces ouvrages consacrés à la dialectique, est étudiée la notion d’«arrangement», première apparition de l’idée de « méthode » qui sera exposée par Descartes. L’auteur propose une exposition ordonnée de l’ensemble du savoir selon un enchaînement logique. Curieusement, Ramus, bien qu’opposé à l’aristotélisme, rejettera les théories héliocentriques de Copernic[16]. »
Grammairien, Ramus publie en 1559 une grammaire latine, une grecque en 1560 et une française, Gramere, en 1562. « Sa Dialectique (1555) est le premier livre de philosophie qui ait été écrit dans notre langue. Elle a quelque droit à être placée à côté de la Logique de Port-Royal, qu’elle devance et qu’elle prépare ».(Gabriel Compayré). L’esprit réformateur de Ramus se portera aussi sur le vocabulaire.
Michel Eyquem (1533-1592), né au château de Montaigne en Dordogne (Périgord), est le fils d’Antoinette de Louppes d’une lignée de petite noblesse d’origine séfarade d’Espagne, les Lopez, et de Pierre Eyquem, riche négociant anobli par François 1er, nommé prévôt et jurat (agent municipal en charge de la magistrature), puis maire de Bordeaux. Le père formera très tôt son fils selon les nouvelles méthodes dont parlera l’auteur des Essais dans un de ses plus fameux chapitres. « Son village tout entier s’était mis au latin pour le lui rendre plus maternel que le français ou le gascon » (M. Condillac Op.cit.)
Après des études secondaires peu concluantes au Collège de Guyenne, fondé à Bordeaux en 1533, le jeune Eyquem suit des études de philosophie à Bordeaux puis de droit à Toulouse.
En 1554, il est conseiller à la Cour des Aides de Périgueux. En 1556 (57?), il est nommé au Parlement de Bordeaux. En 1558, à 25 ans, il fait la connaissance du Conseiller Étienne de La Boétie (†1563) qu’il admire et avec qui l’entente intellectuelle est parfaite. Une amitié plus forte que l’amour, s’il faut en croire Montaigne lorsqu’il écrit « après tout que l’amour n’est pas autre chose que la soif de la jouissance sur un objet désiré et que Vénus n’est pas autre chose non plus que le plaisir de décharger ses vases, qui devient vicieux ou s’il est immodéré ou s’il manque de discernement. » Durant la courte période d’une amitié qui les lie indéfectiblement, La Boétie, de trois ans son aîné, l’initie au stoïcisme. De 1559 à 1561, il séjourne à Paris.
Il se marie en 1565. En 1568, son père mort, il hérite du titre et des terres. Il abandonne sa charge en 1570. Après un court séjour de nouveau à Paris, il se retire dans son château jusqu’en 1581 pour se consacrer à l’étude, à la lecture du stoïcien Sénèque († 65) et du moraliste Plutarque (†125), et à la rédaction des Essais. Pour sa fidélité au roi durant les troubles religieux, Henri III le fait Chevalier de l’Ordre de St Michel.
En 1572, lors de la quatrième guerre de religion (1572>73), il rejoint l’armée royale. Quatrième guerre au cours de laquelle, après le mariage de la Reine Margot, fille de Catherine de Médicis et d’Henri II avec Henri de Bourdon, futur Henri IV, et après la tentative d’assassinat de l’amiral Coligny, survient le massacre de la Saint Barthélémy (nuit du 23 août 1572).
En 1574, il est à nouveau temporairement tiré de sa retraite pour effectuer une mission auprès du Parlement de Bordeaux.
En 1578, Montaigne commence à être sérieusement atteint de la gravelle (calculs urinaires) dont est mort son père, et dont lui-même souffrira jusqu’à sa mort quatorze ans plus tard. Pour chercher à se guérir ou du moins être soulagé, il entreprend de voyager en Europe pour « essayer les eaux », en France (Plombières, Vosges), Allemagne (Baden, Munich), Italie (Rome, Lucques). Voyage duquel il tirera un Journal de Voyage, riche d’observations. Parlant des voyages dans les Essais, Montaigne écrira que « certains ne partent en voyage que pour revenir ». Apprenant, qu’il vient d’être élu maire, il rentre en 1581 à Bordeaux où il assumera sa charge jusqu’en 1585. Cette année-là, alors qu’il transmet sa charge, la ville est touchée par la peste. Il regagne ses terres qu’il devra quitter, la peste s’étant étendue jusqu’à Montaigne. De retour l’année suivante, il entreprend de publier le troisième et dernier livre de ses Essais qui comprendront en tout 109 chapitres.
En mai 1588, c’est la Journée des Barricades qui voit le soulèvement des parisiens menés par le Duc de Guise. Henri III qui a convoqué le Duc Henri 1er de Guise le fait assassiner dans son cabinet du Château de Blois. Montaigne qui vient d’arriver à Paris est embastillé quelques heures. Cette même année, il rencontre Mlle de Gournay qui admire son œuvre et qui deviendra « sa fille d’alliance ». Elle se chargera de l’édition complète des Essais trois ans après sa mort. Il meurt en 1592 alors qu’il travaillait encore à son unique œuvre d’une grande nouveauté. Montaigne parle en son nom propre. Il dit « je ». Il ouvre ainsi à la voie à des philosophes comme Pascal, Descartes et Rousseau.
Montaigne est plus un penseur qu’un philosophe en ce qu’il ne construit pas un système philosophique, en ce qu’il n’élève pas une architecture conceptuelle mais en ce que sa réflexion aborde des sujets divers, la politique, l’éducation, la religion…
La majorité de ses commentateurs font de Montaigne un sceptique. Les Essais seraient traversés par cette pensée antique, née au 3ème siècle av. J.C. du fondateur du scepticisme, Pyrrhon, qui rapporta de son séjour en Inde à la suite d’Alexandre, une philosophie nettement teintée de sagesse hindoue. Une philosophie qui veut que l’homme ne peut rien savoir sûr rien, ne peut affirmer ce qui est bon ou mauvais, beau ou laid et ainsi vit dans un doute qui le préserve des fausses opinions et le laisse ouvert à toutes les hypothèses, le laisse en quelque sorte dans une ignorance bien heureuse qui ne nie pas la réalité des faits, qu’il reconnaît tels qu’ils lui apparaissent, mais qui rejette tout jugement sur sa nature. Ce doute posé non sur les faits mais sur la certitude de leur valeur, laisse l’esprit en éveil lui évitant de s’enfermer dans les croyances et passions. Cet état de doute qui n’est pas indécision même ataraxie, notion commune aux sceptiques, aux épicuriens et aux stoïciens, qui peut se traduire par «absence de troubles», autrement dit qui mène à la quiétude.
«Montaigne a été un de ceux qui ont su placer le scepticisme à sa juste place: en amont de toute investigation intellectuelle, méthodologie d’un sain exercice du jugement ne se refusant à aucune enquête, place où rien ne peut a priori le dévoyer» (Emmanuel Naya, Université Lumière Lyon-2/ Hubert de Phalèse, Littérature et Informatique)
Sa rhétorique s’inscrit dans sa conception sceptique sur le savoir.
«Il y a lieu, en effet, de comprendre l’écriture de Montaigne comme un art de la neutralisation de toute normativité sémantique, une altération du système de pensée prévalant: de nombreux essais insistent sur l’instabilité de ce qui est déclaré critère. Penser que l’on comprend un mot parce qu’il possède un contenu sémantique stable et donné une fois pour toutes s’ancre dans une fausse image des notions de «comprendre»,«signifier», «penser»… L’anacoluthe, qui disloque la syntaxe, est fréquemment employée dans les Essais[17]. » (Danièle Rodamar “La Rhétorique de Montaigne.” Études françaises 272 (1991): 25–33. Variété Volume 27, numéro 2, automne 1991)
Son éthique, se reportant à la philosophie naturaliste de la Grèce Antique, est de «suivre la nature»: «Laissons faire un peu à nature : elle entend mieux ses affaires que nous».
Montaigne est l’initiateur d’un nouveau genre littéraire : l’essai. L’essai n’est pas une étude philosophique, morale, sociologique ni un texte pédagogique, et pourtant il est tout cela à la fois parce qu’il est une réflexion libre sur un ou des sujets qui touche(nt) à la mentalité d’une époque, la façon dont une époque – en l’occurrence celle de l’auteur - aborde telle expérience de l’existence : la maladie, la mort, l’éducation, selon ses concepts, ses aspirations et sûrement avec tel ou tel préjugé. L’essai s’autorise sa propre forme de développement, son propre style, son ton. Il exprime un point de vue, celui qui s’élabore à l’écriture de l’essai. Ce qui n’empêche pas son auteur d’évoquer telles autres approches autres du sujet, tels auteurs contradicteurs. Le but de l’essai n’est pas tant qu’il veut faire le tour de la question mais qu’il veut répondre à la question qui, propre à son auteur, était à l’origine de l’essai. A la fin de l’essai, il veut, l’auteur, pouvoir dire : maintenant je sais ou du moins je sais mieux. La finalité de l’essai est un enseignement, au moins à soi-même.
Ainsi Montaigne, le sceptique, celui non qui doute mais qui examine (selon l’étymologie du terme), examine sa vie, ses phases : son enfance, ses voyages, ses amitiés, sa maladie, la mort (de son père)… tout ce qui se rapportant à son existence se rapporte à celles de ses semblables. Ne serait-ce qu’en cela, Montaigne est humaniste.
Le premier volume des Essais, commencés bien des années auparavant, paraît en 1580, le troisième et dernier de son vivant, en 1588. Il laisse une œuvre par laquelle il nous dit avoir cherché la ‘tranquillité de l’âme’ (selon le mot de Sénèque), l’ataraxie (l’équanimité) de la philosophie hellénistique, dans et par l’équilibre de ses passions, de ses instincts et de sa raison. Il aura cherché une sagesse qui ne tiendrait qu’à la connaissance que l’homme a, peut avoir, de lui-même.
Montaigne est un grand styliste. Il sera de ceux qui en son siècle auront jeté les bases de notre langue française actuelle mais il aura aussi été des premiers à lui donner un éclat, un rythme, une sensibilité, un génie propre. Chose quand même rare à son époque, il écrivait en prose.
Deux citations de l’auteur des Essais : « Mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine. » « Instruire, c’est former le jugement.»
Notes
[1] Pendant la Guerre des Armagnacs et des Bourguignons entre 1407 et 18 (Voir
Introduction/Événements Majeurs), les Bourguignons vont soutenir les ducs de Bourgogne, Jean-Sans-Peur puis Philippe le Hardi ; les Armagnacs dont le chef de file est le Comte d’Armagnac, Bernard VII d'Armagnac, beau-frère de Charles VI le Fou vont être fidèles au roi et favorables à l’antipape Benoit XIII. Paris fsera prise et reprise tour à tour par un camp puis par l’autre. En 1415, les Bourguignons occupent la capitale. En 1418, les Armagnacs entrent dans la ville et massacrent la population. Cette guerre économique autant que politique se déroula sous le double font du Grand Schisme et de la Guerre de Cents Ans.
[2] Voir Bas Moyen-Âge/ Philosophie et Spiritualité/1100/ Gilbert de la Porrée note
[3] A.Llinarès, L'Humanisme Français au Début de la Renaissance, Édit J. Vrin 1973: un bon tiers de ses ouvrages avaient été écrits en Françe et au XVIème siècle plusieurs de ses œuvres comme Le Livre des Merveilles connurent plusieurs rééditions.
[4] Le fond fut déposé dans une maison de location, fond qui sera pillé par les ligueur en 1593 (Wikipédia/jacques_Amyot). D'autres sources indiquent qu'il deviendra la BNF.
[5] Entre 1523 et 1525, le conflit qui oppose François 1er à son petit-cousin Charles III Duc et Connétable de Bourbon, allié pour la circonstance à Charles-Quint, verra la mort du chevalier Bayard en 1524 et la captivité du roi en 1525 à la défaite de Pavie.
[6]Pour la liste de ses œuvres : BnF :http://data.bnf.fr/fr/documents-by-rdt/11886766/70/page 1 et https://plato.stanford.edu/entries/lefevre-etaples/#Bib
[7] C'est Georges Hermonyme de Sparte qui venu de Mistra à Paris en 1476 lui enseigna le grec. Mistra (Péloponnèse) fut au XIVème siècle un grand centre culturel byzantin qui influença la Renaissance Florentine par le biais notamment le néoplatonicien Gemiste Pléthon (Voir Nicolas de Cues).
[8] Portrait tracé par Marie-Madeleine de la Garanderie au travers de sa Correspondance avec Érasme, in Qui était Guillaume Budé: Bulletin de l'Association Guillaume Budé Année 1967 Volume 1 Numéro 2 pp. 192-211
[9] Certaines sources indiquent que déjà en cour sous Charles VIII, il aurait été secrétaire de Louis XII; ce qui ne semble pas être le cas.
[10] Certaines sources indiquent qu’elle a été déplacée de Fontainebleau à Paris en 1567, lorsque J. Amyot était le Maître de La Librairie Royale. Le fond fut déposé dans une maison de location, il sera pillé par les ligueurs en 1593 (Wikipédia/jacques_Amyot).
[11] Louise de Savoie, mère de François 1er revendiqua ses droits sur le Bourbonnais. Le long procès qui s’en suivit amena le connétable à s’allier à Charles-Quint. L’avocat Louis de Berquin († 1529) fut supplicié puis brûlé pour avoir pris parti contre l’université en faveur des Huguenots (voir La Réforme/Réforme en France/Humanistes et Réformés).
[12] Voir Marie-Madeleine de la Garanderie Ref. citée, Pg. 200 et svt
[13] Rabelais fit les frais de cette interdiction, qui se vit retirer ses livres en grec en 1523 par ordre de la Sorbonne (Lagarde et Michard, XVIème Siècle, Rabelais, Édit Bordas)
[14] Sur Seyssel et sur la "Libraire de Blois", cf P. Chavy, Humanisme Français, P.361 et svt. Études sur la Philosophie de la Renaissance https://books.google.fr/books?id=JOarIGGD_fkC&pg=PA386&dq='Etudes+sur+la+Philosophie+de+la+renaissance&hl
[15] Pour en savoir plus sur Ramus, voir Institut Français de l'Éducation, Gabriel Compayré :http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3490
[16]http://classes.bnf.fr/dossitsm/textfond.htm#Bude. Aristote non seulement adhérait à la théorie géocentrique de l’univers partagée par tous pendant des siècles et des siècles, mais encore la ‘perfectionna‘ en inventant un système de sphères porteuses des planètes pour expliquer le mouvement rétrograde de celles-ci.
[17] L'anacoluthe est une rupture syntaxique de la phrase, volontaire ou involontaire. Involontaire quand le sujet supposé n'est pas le sujet indiqué:« «En courant, son cœur se mit à battre fort.» au lieu de «En courant, Jean sentit son cœur battre fort.». Quand elle est volontaire l'anacoluthe est une figure de style créant un effet de surprise et prend des formes variées comme l'inversion, le zeugma, le solécisme" etc. (voir art. Wikipédia).
« L’anacoluthe (une) est une figure par laquelle on opère volontairement (on le suppose…) une rupture dans la syntaxe. La construction grammaticale de la phrase est transformée pour lui donner un effet rhétorique. C’est une faute maîtrisée. Exp. : « Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, la face du monde en eût été changée ». (Pascal, Pensées, 392) Ici, le verbe aurait dû avoir « le nez » pour sujet. Le sujet « La face du monde » apparaît sans qu’on l’attende.
Première Génération - Seconde Génération - L'Ecole de Salamanque -
La cour de Jean II de Castille (1405-1454), arrière-petit fils de Édouard III et père d’Isabelle la Catholique (1451-1504) était tout imprégnée des auteurs classiques auxquels la future reine d’Espagne et future épouse de Ferdinand V d’Aragon e aura été formée. Dans les collèges, on étudié le latin et on traduisait Boccace.
« A l’Université de Valence, on lisait publiquement les îuvres des poètes latins dès 1424… L’archevêque humaniste de Tarragone, Antonio Augustin, se passionne pour l’archéologie en même temps que Ferdinand de Cordoue se livre à des travaux philosophiques qui sont déjà très remarquable pour le milieu du XVème siècle. Cette efflorescence de l’Humanisme st du reste facilitée par l’apparition en Espagne de l’imprimerie qui s’établit à Saragosse en 1475 » (George Barraud, Naissance de l’Humanisme en Espagne, https://www.persee.fr/doc/bude_0004-5527_1953_num_1_1_4523).
Mais, les humanistes italiens ou portugais ancien élève du Politien et autre Flamand arriveront à partir de la fin du siècle pour enseigner à la célèbre université de Salamanque. Là, seront étudiés les grands classiques. Le grec, le latin mais aussi l’hébreu et le chaldéen y seront enseignés.
« Au début du XVIème siècle, plus de 7000 étudiants grouillaient dans cette ville que se partageaient 25 paroisses, une cinquantaine de couvents, tandis que prospéraient sous l’égide de l’université, 52 imprimerie et 84 librairies ». (G. Barraud. Ref. citées)
Les humanistes espagnols resteront toujours fortement imprégnés de religion. Mais la pensée érasmienne joua un rôle fort important au point que l’on a parlé d’érasmisme pour l’humanisme espagnol. Juan Luis de Vivès fut un des esprits les plus marqué par l’auteur de l’Éloge de la Folie (voir Humanisme du Nord).
Alonso Alfonso Garcia de Santa Maria de Cartagena (1385-1456), fils du rabbin de Burgos se convertira au catholicisme en 1390, le roi Juan II l’envoya comme doyen de St Jacques de Compostelle au Concile de Bâle. Il deviendra évêque de Carthagène après une brillante carrière diplomatique. Son œuvre en latin et castillan traite principalement de la morale en matière de politique. Traducteur de Sénèque (Cordoue -4 –65) et de Cicéron (Rome 106-43).
Il a voyagé en France, en Suisse, en Autriche, en Allemagne et en Bohême de 1434 à 1439 et revient en 1440 avec l’architecte Jean de Cologne (1410-1481) pour travailler au remaniement de la Cathédrale de Burgos dans le style di Gothique Tardif que ce dernier introduisit dans la péninsule [1]. Le Gothique Flamboyant conjugué au traditionnel Style Mudéjar donnera naissance au Style Hispano-flamand.(voir Renaissance/Art/Espagne/ Gothique Isabélin).
Hernán Núñez y Guzmán (Ferdenandus Nunius Pincianus,1478-1553) dit El Pinciano[2], né à Tolède, est considéré comme le premier des hellénistes espagnols. De 1490 à 1498, il est étudiant à l’université de Bologne. De retour en Espagne, il devient à Grenade précepteur de la puissante famille Mendoza. Il achève en 1505 son commentaire du Laberinto de Fortuna du célèbre poète Juan de Mena (1411-1456), Glosa sobre las Trezientas. Il apprend l’hébreu et l’arabe.
Il se spécialise dans la parémiologie, l’étude des proverbes, sentences, préceptes, devises etc. Paraitre en 1555, post mortem, Refranes o proverbios en romance qui receuille par moins de 8500 proverbes et autres dictons commentés et comparés à d’autres langues (latin, grec, français, italiens…)
En 1509, paraît sa traduction de l'Histoire de Bohème d'Enea Silvio Piccolomini augmentée en 1519, à des fins didactiques, de textes grecs et latins. Nommé professeur de rhétorique à la jeune Université d'Alcalá, le Cardinal Cisneros (Voir Contre-Réforme/Espagne) le charge de contrôler la censure. En 1519, il est également nommé à la chaire de grec.
Pendant la guerre des communautés de Castille (1520-1521), il se rangea du côté des comuneros (Voir Événements Majeurs/ Guerre des Communautés), mais un partisan le poignardera. En 1523, il doit quitter Grenade pour Salamanque où il est nommé à la chaire de grec et commente ‘encyclopédiste romain Pline l’Ancien (23-79), le poète grec Théocrite (310-250) et le stoïcien cordouan Sénèque (-4 -- 65) ; commentaires qui le rendront célèbre en Europe.
Entré à 15 ans dans L'ordre de Santiago (Saint-Jacques de l'Épée) -ordre religieux et militaire fondé en 1170 ayant pour vocation de combattre l’infidèle et non comme les Templiers et Hospitaliers de défendre les pèlerins - il en deviendra le commandant. A 1548, à l’âge de 70 ans, il se démet de ses charges d’enseignant et se consacre à l’étude.
A ne pas confondre avec l’humaniste Alonso López (1547-1627) dit López Pinciano (Voir Seconde Génération).
Juan Luis Vivès (1492-1540), converso (juif converti au catholicisme), quitte définitivement l’Espagne à 17 ans pour fuir l’Inquisition. Il passera sa vie en Flandre et mourra à Bruges.Voir Humanisme du Nord.
Juan de Valdès (1499-1541) a été un humaniste, imprégné des idées d’Érasme qui fut son ami[3]. Pourchassé par l’inquisition espagnole, il dut se réfugier au Royaume de Naples[4]. De tendance spiritualiste (ou mystique), il a prôné une foi vivante de l’intérieur, sans recours à aucune manifestation ou soutien extérieur. Tolérant, il n’a prêché aucun ostracisme, a refusé les jugements comme les condamnations. Pour lui, tout est une affaire intérieure et pour chacun. Selon J.N. Bakhuizen, fuyant l’Italie, il a fini ses jours à Genève où Calvin l’a accueilli.
Le valdéisme se répandra en Europe. Ses ouvrages principaux sont Dialogo de Doctrina Christiana paru en 1529 et Beneficio de Christo qui « centré sur la justification par la foi seule révèle à la fois des éléments propres à la réforme catholique et aux réformateurs Luther, Mélanchton et Calvin. » (Giovanni Gonnet ‘Les Débuts de la Réforme en Italie’, Revue de l’Histoire des religions, Persée.fr)
Valdès n’était pas de ces contraires (contrarii) à l’Église mais de ses contradicteurs (contraditorii) selon l’expression de l’historien B. Croce[5].
Voir aussi La Réforme/ la Réforme en Italie
L’École de Salamanque est le nom qui a été donné par des économistes du XIXème siècle à des juristes universitaires salmantins qui ont créé au XVIème siècle « un corps de doctrine sur le droit naturel, le droit international et la théorie monétaire. » (Histoire du Libéralisme, 2010, Contrepoint.org). Leur chef de file fut Francisco de Vitoria (1483-1546).
Avant d’être économistes, ces philosophes, encore appelés scolastiques de part leur attachement à la pensée aristotélicienne émise par St Thomas d’Aquin, étaient des juristes mais juristes non pas tant en ce qu’ils voulaient faire prévaloir le droit juridique, mais promouvoir la recherche d’une justice pour les peuples, une justice équitable basée non plus sur le droit divin ou temporel mais sur un droit que tout individu peut et doit revendiquer, le droit naturel, une notion fondamentale instaurée par l’école. Les questions politiques, économiques, sociales devaient pouvoir être abordées à partir de la loi naturelle, celle qui régit et le droit et la morale.
Le droit naturel échappe aux contingences de la société dans laquelle vit l’individu. Il est indépendant du droit positif qui rassemble, lui, les règles de droit édictées par un état. Le droit naturel est inhérent à l’homme en ce qu’il lui permet le développement de ces qualités et potentialités. Ce droit se décline essentiellement en droit à la vie, droit à la liberté, droit à la propriété, ce dernier étant la conséquence de son droit à exercer sa liberté, sa liberté d’entreprendre, de réaliser à partir de ses capacités une œuvre quelconque dont la pleine jouissance lui revient.
La notion de droit naturel émise par les membres de l’École de Salamanque est héritée d’Aristote, le premier philosophe à l’ avoir établie. Pour le Stagirite, c’est à partir d’un syllogisme, mode de raisonnement dont il est le créateur, que se prouve l’exigence de l’exercice du droit naturel:
Aristote s’oppose aux sophistes qui invoquent la notion de légitimité fondée sur l’arbitraire et le nécessaire d’une convention sociale, et à Platon qui invoque la notion de justice mais d’une justice idéale, eidétique. Pour l’auteur de La République, le droit ne relève pas d’une convention social qu’il dépasse dans son indépendance du temps et du lieu.
L’Église ne s’opposa pas à la notion de droit naturel mais l’inscrivit dans le cadre plus large du droit divin. En quelque sorte, Dieu a encore son mot à dire. La loi naturelle n’est que l’expression ici-bas de la loi divine qui lui donne sa finalité. Le droit canon, qui régit la vie de l’Église, les sacrements et les tribunaux ecclésiastiques, est ce compromis entre droit naturel et droit divin. Les juristes salamantins allèrent plus avant sous-tendant que le droit naturel de la loi naturelle s’exprime par la nature humaine. De par cette loi naturelle, le droit et la morale se confondent dans le comportement qui est et qui doit être celui de l’humain. Tout jugement de droit est un jugement moral. In fine, il s’agit pour ces juristes de savoir ce qui est juste. Les questions politiques, économiques et sociales entrent dans le cadre de cette justice.
Francisco de Vitoria (1483/86-1546) et l’École de Salamanque, sur les traces de St Thomas d’Aquin en introduisant les notions de loi de la nature et de droits naturels de l’homme en opposition à une conception théologique de la nature et de l’homme s’inscrivent dans le droit fil de la pensée humaniste. Ils vont lier à ces notions une nouvelle économie basée sur la liberté d’échange et de circulation, sur le droit à l’enrichissement voire au prêt avec intérêt interdit depuis le deuxième Concile de Latran en 1139. Nouvelle conception de l’économie par les catholiques qui rejoint celles des protestants et des luthériens du Nord de l’Europe.
Cela se traduit par une liberté d’entreprendre et une libre circulation. « Pour eux, le caractère volontaire et le libre consentement – ainsi que l’absence de fraude ou de tromperie – étaient les bases de la moralité en matière de fixation des prix ou des salaires… [qu’ils expriment] quand ils rejettent les monopoles et les impôts élevés, dans leur dénonciation de l’inflation définie comme un vol déguisé commis par l’État, par leur préoccupation du bien-être des travailleurs et des consommateurs» (Histoire du Libéralisme, 2010, Contrepoint.org).
Ainsi Francisco de Vitoria remit en cause la légitimité de la colonisation du Nouveau Monde dans son livre De Indis. Dans son autre ouvrage, De jure belli, ce sont les méthodes employées par les conquistadors qu’il dénonce, ceux-ci provoquant une (atroce) guerre de conquête de territoires et d’asservissement des populations et non une ‘Guerre Juste’ que seul valide le droit à se défendre. Dans de Potestate Civili (de la Puissance Civile), il est le premier à poser les bases d’un droit international s’appliquant à toutes les communautés humaines sur la base du droit naturel.
Firent notamment partie de l’école, Domingo de Soto (1494-1560), auteur en 1556 de De justitia et jure (De la Justice et du Droit) ; Luis de Molina (1535-1604) qui joua un rôle déterminant dans le développement de la Compagnie de Jésus (1539,voir Contre-Réforme/Espagne). Il écrira en 1597, La teoría del justo precio (La Théorie du Juste Prix) ; Melchor Cano ( 1509-1560) ; Francisco Suárez (1548-1617), un des plus grands scolastiques de la survivance médiévale dont les écrits sur le droit naturel influencèrent des philosophes du siècle suivant, surtout le juriste Hugo de Groot (Huig de Groot, dit Grotius 1583-1645) mais encore Descartes (1595-1650) et Leibniz (1646-1716).
Domingo de Soto (1494-1560), théologien dominicain, confesseur de Charles-Quint, participa, lui, à la Polémique des naturels ou des Justes titres qui s’ouvrit dans le cadre de la Controverse de Valladolid (1550) opposant les partisans de la défense des droits naturels des indigènes derrière Bartolomé de Las Casas, aux partisans d’une colonisation ‘à juste titre’ derrière Juan Ginés de Sepúlveda. (voir Événements Majeurs/ Conquête du Nouveau Monde/de Las Casas).
Melchor Cano ( 1509-1560) soutiendra le pouvoir impérial face à celui du pape, tout en soutenant la Contre-Réforme en reformulant la théologie, la faisant reposer sur dix sources d’autorité qui vont des Écriture Saintes à l’étude de l’histoire en passant par les Pères de l’Église, les conciles ou encore le droit canon qu’il expose dans De Locis Theologicis (1563).
Alonso López (1547- 1672), connu sous le nom de El Pinciano serait né à Valladolid ce qui expliquerait son surnom. On sait peu de chose de sa vie. Il a été le médecin de Marie d'Autriche[7], fille de Charles-Quint II, épouse de l’empereur Maximilien II, et de sa fille l’infante Marguerite. Il a connu les deux dramaturges baroques Juan Ruiz de Alarcón († 1639) et Luis Vélez de Guevara (†1644) qui habitaient dans la même rue que lui.
Il a traduit les aphorismes d'Hippocrate, mais son œuvre majeure est la Philosophie de la Poésie Antique, parue en 1596.
Il s’agit « d’un traité pédagogique de poétique divisé en épîtres. Les lettres contiennent des dialogues[8] sur le bonheur, la poésie, une théorie sur la tragédie, la comédie. Sa rhétorique suit celle du poète latin Horace (65 -8). On pense que ce livre a été écrit dans le but de mettre un frein classique aux succès dramatiques de Lope de Vega. C'est pourquoi Pinciano est considéré comme un précepteur aristotélicien ». Sa référence aux auteurs de l’antiquité est constante.
« La Philosophia Antiqua Poetica doit avant tout être lue comme un commentaire sur une œuvre majeure, La Poétique[9] d’Aristote » (Ricardo Saez, Imprimé et Pouvoirs dans les Langues Romanes, PUD-Rennes ebook).
Voir Contre-Réforme/Les Jésuites/Francisco Suárez
Francisco Suárez (1538-1617), le dernier grand scolastique dont les Disputationes Metaphysicae de 1597 rassemblent et commentent tous les courants de la scolastique médiévale, fut un des membres des plus éminents de l’École de Salamanque, jésuite à côté des dominicains Francisco Vitoria (1546), Dominigo de Soto (†1560) et Melchor Cano (†1560. Il a fait ses études de droit à l’Université réputée de Salamanque mais enseigna la théologie. Dans son Tractatus de legibus ac Deo legislatore (Traité des Lois et de Dieu le Législateur de 1612 et dans Defensio fidei catholicae de 1613, il s’attache à particulièrement traiter des rapports du droit naturel et du droit international devançant en cela Hugo Grotius (1583-1645) qui, considéré comme le fondateur du droit international (voir Âge Classique/ Droit Naturel), lui est redevable de plusieurs de ses idées de base. Certaines sources considèrent que c’est Francisco Vitoria (1486-1546) dans De potestate civili (1528) qui a établi les bases théoriques du droit international moderne comme il fut dans son De Jure Belli de 1539 un des premiers à affirmer que la différence de religion ne peut être une cause de juste guerre. Il fut avec Suárez et par la suite Grotius l’un des premiers a aborder la question qui va devenir essentielle avec la conquête du Nouveau-Monde de la Guerre Juste et de la Guerre Sainte.
« S'opposant au principe de la royauté de droit divin, Suárez considère les peuples eux-mêmes comme étant les détenteurs de l'autorité politique et l'État comme résultant d'un contrat social auquel le peuple donne son consentement » (Encyclopédie Universalis).
« Il s'est opposé au thème du contrat social, et à la théorie qui est devenue dominante au début de la modernité chez les philosophes politiques tels que Thomas Hobbes et John Locke » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Francisco_Suarez#Philosophie_du_droit
Les deux sources s’accordent néanmoins sur le fait qu’il s’oppose à la théorie du droit divin que mit en avant Jacques 1er Stuart monté sur le trône d’Angleterre en 1603, ainsi que sur le fait le monarque ne saurait exiger de ses sujets autre qu’une obéissance aux lois temporelles, de politique et de justice, mais en rien en ce qui touche à la question religieuse. En fait, en bon jésuite Suárez soutient non seulement la légitimité du pouvoir royal mais en une forme de monarchie absolue, le pouvoir politique, le droit positif étant ou devant être une expression du droit naturel, quoique celui-ci, jusqu’à la Déclaration de droits de l’Homme et du Citoyen, ne relevait aucune prescription ni d’aucun code écrit.
Le jusnaturalisme ( le droit naturel) s’oppose au positivisme juridique (droit positif) de par son universalisme, en ce qu’il s’applique à tous les hommes et n’est pas propre à une société particulière.
« Ces idées de contrat social et de droits de l'individu conduisent Suárez à des conclusions intéressant les comportements de certaines nations, notamment les pratiques de la colonisation espagnole (De bello et Indis). Il voit dans les territoires indiens des États souverains légalement égaux à l'Espagne et des membres de droit de la communauté mondiale, le pape ni l'empereur ni aucun prince chrétien ne pouvant s'autoriser à les occuper ou à les conquérir sous prétexte de leur apporter la foi. » (Encyclop. Universalis).
Notes
[1] Stephen Brindle, https://doi.org/10.1093/gao/9781884446054.article.T001995
[2] Base de la biographie https://es.wikipedia.org/wiki/Pinciano
[3] Yvonne Charlier, Érasme et l’Amitié d’après sa Correspondance, Édit Belles Lettres 1977 : la diffusion de la théologie érasmienne en Espagne déchaina une lutte passionnée entre les humanistes et les moines scolastiques. Certains défenseurs d’Érasme comme Valdès seront emprisonnés.
[4] Comme le Royaume de Sicile, le Royaume de Naples était une possession espagnole à la différence qu’il était convoité par le roi de France Charles VIII qui chassa Frédéric 1er d’Aragon, ce qui donna naissance à partir de 1494 aux Guerres d’Italie, que poursuivirent, Louis XII, François 1er et Henri II, jusqu’au traité de Cateau-Cambrésis en 1559 signé entre la France et l’Espagne des Habsbourg, entre Henri II et Philippe II, fils de Charles-Quint. Dans la première moitié du XVIème siècle, Naples et la Sicile étaient gouvernés par des vice-rois nommés par le roi d’Espagne, ce qui leur donnait une autonomie certaine.
[5] Cité par et pour en savoir plus sur la vie et la pensée de Valdès : J.N. Bakhuizen van den Brink in ‘Juan Valdès Réformateur en Espagne et en Italie’ Édit. Librairie Droz, 1967, Pg 47)
[6] Maryvonne Longeart , La Justice et le droit, le Droit Naturel :
http://www.acgrenoble.fr/PhiloSophie/logphil/notions/justice/esp_prof/synthese/droitnat.htmhttp://www.acgrenoble.fr/PhiloSophie/logphil/notions/justice/esp_prof/synthese/droitnat.htm
[7] A cette époque, Tomás Luis de Victoria (1611), sans doute le plus grand compositeur espagnol du XVIème siècle, est chef de chœur au Monastère des Déchaussées Royales (les clarisses) de Madrid fondé en 1559 où Marie d’Autriche († 1603), sœur de Philippe II et veuve de Maximilien II, s’est retirée avec sa fille, Marguerite d’Autriche (Sœur Marguerite de la Croix †1633). Il composera pour ses funérailles sa dernière œuvre L’Officium Defunctorum (Office des Morts).
[8] Sur l’importance du dialogue dans l’œuvre cf. Marie-Françoise André, Les États du dialogue à l’âge de l’humanisme, PFU-Rabelais 2015
[9] La Poétique a été traduite en latin en 1498 par l’encyclopédiste et commentateur de Ciceron, Giorgio Valla (1447-1500) à ne pas confondre avec son cousin, le philologue Lorenzo Valla (1407-1457), adversaire d’Aristote.
La Poétique, plusieurs fois traduite en latin et en grec, redécouverte à la fin du XVème siècle, circulera tout au long du XVIè dans tous les milieux littéraires d’Europe montrant l’intérêt pour la rhétorique poétique à cette époque.
« L’idéal philosophique humaniste tel qu’il s’est développé à partir de la Renaissance consacre la liberté de l’Homme par sa capacité à justifier par lui-même la légitimité des lois, scientifiques, morales et politiques, auxquels il est soumis ».
(Laurent de Briey, https://www.revuepolitique.be/lhumanisme-un-projet-politique-specifique/)
« Un autre humanisme va se développer au cours du XIVe et du XVe siècle, un humanisme politique que l’on appellera beaucoup plus tard « humanisme civique ». Leonardo Bruni[1], le grand humaniste florentin fait entrer l’humanisme dans la sphère politique…Il s’agit en réalité de tout un courant qui redonne toute son importance à la politique en tant que telle, c’est-à-dire à la recherche de la vie heureuse à l’intérieur d’une cité qui repose sur la participation populaire aux instances de décision ».
(http://denis-collin.viabloga.com/news/reflexions-sur-l’humanisme).
Jean-Dominique Campanella (1568-1639), d’une famille analphabète calabraise, est né à Stilo, non loin de là où naquit Giordano Bruno, vingt ans plus tôt. Repéré pour ses dons précoces, il entre dans les ordres dominicains à l’âge de 14 ans et prend le nom de Thomaso.
Il parcourt la péninsule. En 1592 à Padoue, il rencontre Galilée (1564-1642) qui attend son deuxième procès après un premier à Naples. Il le soutiendra dans son Apologia pro Galileo (1622). Il est emprisonné une première fois en 1594 à Rome pendant un an dans la prison romaine où se trouve déjà Giordano Bruno. Pour hérésie, suite probablement à la parution de son ouvrage Philosophia Sensibus Demonstrata (1590/91) par trop marqué de naturalisme.
De retour en Calabre, en 1598, il écrit sa Monarchie Espagnole, et l’année suivante, il fomente en intriguant avec les Turcs un soulèvement contre l’autorité espagnole, s’entourant de moines, de pauvres paysans et de sans-travail. Le complot échoue. Arrêté en 1601, il est à nouveau condamné à Naples, quatre fois (ou sept fois?) torturé. Il échappe à la mort en feignant la folie, folie dont certains pensèrent qu’elle n’était pas si feinte que cela comme le pensait Descartes qui refusa de le recevoir (cf. M.Gandillac).
L’Église lui reproche comme hérétique « de nier la Trinité, l’Incarnation, la présence eucharistique et de réhabiliter la chair » (M.Gandillac). Au plan politique, il s’est élevé contre la domination espagnole. Mais aussi son antiaristotélisme et donc son opposition à Saint Thomas d’Aquin, la référence absolu de l’Ordre Dominicain, vient charger le dossier. Une autre raison qui n’est pas incompatible pourrait être sa défense des philosophies naturelles de Giordano Bruno, également adversaire du Stagirite, de Raymond Sebond[2] (1385-1436), disciple de R. Lulle, et de son compatriote calabrais, le philosophe naturaliste Bernardino Telesio[3] (1509-1588) pour qui il ne saurait y avoir de connaissance sans une expérimentation préalable par les sens. Comme eux, il s’attaquera à l’aristotélisme triomphant de la scolastique, déjà battu en brèche par le mouvement platonisant de la Première Renaissance[4]. Pour Campanella le liber naturæ vaut le Livre des livres, et porte tout autant à la connaissance du mystère divin. Il est incarcéré à Naples. Condamné à perpétuité, il n’échappera à la prison qu’en 1626. Mais trois ans plus tard, le pape Urbain VIII l’appelle à Rome en 1629 pour le placer à ses côtés et le surveiller. Il l’honore d’un titre de Maître en Théologie.
Dans ses années de prison, par delà son souverainisme, Campanella n’aura rien perdu de son optimisme exalté et ses ouvrages « où se précise son identification au Christ. » (M. Gandillac) révèleront en voulant jouer le rôle d’un « messie politique » (E.Bloch), une tendance à la mégalomanie. Il écrit notamment sa Civitas Solis (Cité du Soleil, 1602), publié en 1623, Les Quatre Livres du Sens des Choses et de la Magie, publié en 1620, De l’Athéisme Vaincu ou du Retour de la Religion par la Vérité des Sciences, publié en 1630 et Métaphysique qui sera intégré à La Philosophie Universelle, publié en 1639 à Paris, et Livres de Médecine, Astroligia et Apologie de Galilée.
Il s’exile à Paris en 1634. Sur son chemin, il rencontre à Aix-en Provence le savant et philosophe provençal Gassendi (1592-1665), dont il conteste les thèses, alors qu’ils pourraient se retrouver sur leur commun antiaristotélisme. Arrivé dans la capitale, Campanella s’installe chez les dominicains du Faubourg St Honoré. Sous la protection de Richelieu, il a ses entrées à la cour où il suscite la curiosité. La Sorbonne publie son Athéisme Vaincu. Il meurt en 1639 après avoir célébré « la miraculeuse naissance du Dauphin » (tant attendue), le futur Louis XIV, à qui il prédit un destin exceptionnel, et dont il fait le roi de son « État –Soleil. [5] ». Il écrit pour lui une Egloga in portentosam Delphini Nativitatem( Églogue pour la Naissance du Dauphin).
L’œuvre de Campanella est d’un volume considérable. Chacun pourra y puiser à son compte, de la théorie des mondes possibles de Leibniz au cogito de Descartes, et y trouver des théories anciennes comme l’héliocentrisme, l’animation universelle par la chaleur, l’opposition de l’active chaleur et de la froideur passive (du soleil, symbole de l’amour et de la terre, froide et passive) sans doute empruntée à Bernardino Telesio. L’œuvre que l’on aura retenu de lui aura été son utopique Cité du Soleil.
Le socle de la pensée de Campanella est subjectif, c’est « la certitude du moi », « l’autocertitude ». A la différence de Descartes pour qui le cogito[6] d’où découle toutes les autres certitudes est un processus intellectuel (rationnel), pour Campanella, le processus est psychologique. Il s’agit d’une expérience psychique, intérieure. Pouvoir, savoir et volonté sont les trois activités fondamentales que le moi expérimente. Elles ont pour corollaires les trois vertus, puissance, sagesse, amour. S’il reste enfermé dans sa finitude, le moi sera soumis à la dualité: La puissance se heurtera à l’impuissance, la sagesse à la sottise et l’amour à la haine.
Dans la hiérarchie de la connaissance, plus élevées que puissance, sagesse et amour sont nécessité, fatum (destin) et harmonie, mais qui peuvent aussi être « prisonnières » de leur limitation, car le néant les habitent, aussi la nécessité se heurte à la contingence, le hasard ; le fatum se voit opposé le particulier ; et l’harmonie, la chance, la « fortune capricieuse ».
Cette limitation, Campanella la définit comme non-sens, néant.
« C’est à la fin du Moyen-âge que le néant devient un élément intégrant de la création du monde à partir du néant, car le nihilo de la phrase deus mundum a nihilo creavit ne signifie plus seulement la chaos, le tohu-bohu, le vide originel aboli par la création mais un néant matière première contenue dans toutes les formes du monde. L’altérité et la finitude naissent du nihil. Alteritas ex nihilo oritur. Explique Nicolas de Cues. » (E.Bloch Op. Cit.).
Dans ses écrit politiques, Discours sur Les Moyens de Ramener les Pays-Bas à l’0bédience Catholique (1602) et Résumé sur La Dissertation sur la Nature des Choses (1617), Campanella s’en prenant à la Réforme, fait du pape l’indispensable unificateur religieux de l’Europe et annonce déjà le rôle central qu’il accordera à la papauté dans sa vision d’une cité nouvelle.
Son traité de Monarchia Hispanica paru au début de la Guerre de Trente Ans (1618>48) fut très mal perçu dans les cours d’Europe.
« Ce traité sonne le glas de toutes les libertés…l’Individu les ordres, les privilèges des nobles mais aussi les maigres droits des pauvres sont abolis… Un monde où les seuls objets d’adoration sont une discipline de fer et les moyens effroyables pour la maintenir. » (E..Bloc La Philosophie de la Renaissance, Édit Payot 1994).
Son but aurait été d’installer son État-Soleil avec l’aide des Espagnols et des Français pour ensuite faire du pape le maître du monde et faire de lui-même un « esprit-soleil metaphysicus éclairant l’univers » (E.Bloch).
La Cité du Soleil est écrite d’abord en langue vulgaire en 1602 puis réécrite en latin en 1613, publiée en 1623. Elle se présente sous la forme d’un dialogue entre le Grand Maître des Hospitaliers et un capitaine génois, ancien pilote de Christophe Colomb, qui lui relate sa découverte d’un peuple d’Asie habitant dans l’océan Indien, les Solariens. Cette île est divisées en 7 cercles concentriques (les 7 planètes) séparés par des fortifications. En son centre, sur une colline est bâti un temple. Le capitaine décrit les mœurs et coutumes de ce peuple non tant éloigné d’un christianisme primitif dont les formes d’inceste peuvent rappeler ceux de la Bible. Décrivant une société communautariste où l’on mange et l’on dort ensemble, l’auteur dénonce a contrario la corruption de l’argent et les formes d’exploitation du régime libéral, défend plus une richesse collective qu’individuelle. Le grand prêtre est le « Métaphysicien » et ses assistants ne sont autres que les trois primalité, Puissance, chef des armées, Sagesse, au service des sciences et des arts, Amour qui préside aux unions charnelles qui sont contrôlées et décidées par les astrologues et les médecins. Les affinités s’exprimant de façon platoniques. L’institution familiale est ainsi brisée. Les enfants sont élevés en groupe, à part de leurs parents biologiques. Quatre magistrats, Tempérance, Magnanimité, Justice, Activité, que le peuple peut révoquer, régissent la vie collective. L’égalité n’exclut pas la diversité des tâches selon les aptitudes de chacun. L’égalité règne entre hommes et femmes. De même que la technique est en bonne place aux mains des prêtres. La confession est obligatoire.
Dans sa dernière œuvre, l’Églogue, écrite l’année de sa mort en 1639, Campanella se voit encore comme prophète :
“Alors mes dits de vérité trouveront paix; Moi-même, ayant triomphé des sophistes, je conduirai, vainqueur, le char des Muses jusqu’au sommet du capitole.” (cit. par M. Gandillac)
Nicolo Machiavelli (1467/69-1527), né et mort à Florence, est issu d’une famille de magistrat. L’on ne sait que peu de choses de son enfance et de sa formation. En 1498, il devient fonctionnaire de la toute jeune République de Florence. Il est nommé à la chancellerie comme secrétaire des «dix magistrats commis à la liberté et à la paix, poste qu’il occupera pendant quatorze ans[7]». Il effectuera de nombreuses missions dans le cadre de ses fonctions dans d’autres cités de la péninsule et deux en France, la première en 1500 alors qu’il était en charge des finances de la ville et la seconde en 1510 auprès de Louis XII en conflit avec le pape mécène Jules II à qui l’on doit la Basilique St Pierre et qui passa commande entre autres à Michel-Ange et Raphaël .
En 1494, Laurent est mort depuis deux ans, son fils Pierre lui a succédé[8] et Savonarole (1442-1498), antihumaniste, n’a eu cesse de lancer depuis deux ans ses austères prédications sur une population florentine dont il veut réformer les mœurs qu’il juge dissolues. Même si l’opposition menée par les arrabiati (furieux) est forte, ses partisans, les piagnoni (pleurnicheurs), mais aussi le bigi (le gris, les indécis) parviennent à chasser Pierre. A son entrée dans la ville à la fin de l’année 1494, Charles VIII comme en suite à Rome et Naples est accueilli en libérateur. Savonarole qui l’accueille et voit en lui l’Ange Vengeur, n’en est que plus conforté dans ses admonestations. Sa constitution de 1494 veut faire obstacle à tout retour à un pouvoir tyrannique et promulgue un Grand Conseil, constitué de neufs membres renouvelés tous les deux mois et issus de la classe de notables dont le pouvoir censitaire leur permet d’élire les magistrats de la cité. A sa tête se trouve, le Gonfalonnier de Justice, véritable chef d’un gouvernement. Savonarole réserve à la plèbe, qui est incapable de toute conscience politique, des conditions de vie meilleures car la pauvreté est ferment de troubles.
Machiavel se range lui du côté des compagnacci, qui s’opposent tout à la fois aux arribiati et aux piagnoni mais aussi aux partisans des Médicis, les palleschi. C’est un parti de juristes qui sont contre la constitution de Savonarole lui reprochant entre autres un mandat trop bref des gonfaloniers. Après la condamnation de Savonarole en 1498, Machiavel occupe le poste de secrétaire de chancellerie qui l’amènera à des missions diplomatiques auprès de l’Empereur Maximilien 1er, du Roi de France, Louis XII, du pape Alexandre VI et de son fils César. En tant que secrétaire des ‘nove delle milizie’ (des neuf milices), il s’occupe du recrutement et de la formation, remplaçant ainsi les troupes de mercenaires par une armée de métier. En 1509, cette armée va se battre victorieusement à la Bataille d’Agnadel (Pavie) qui opposait la France à Venise; mais elle va s’effondrer à Prato en 1512, aux côtés des troupes françaises de François 1er, battues par celles du pape Jules II. Un mois plus tard, en septembre, la République de Florence est renversée, les Médicis reprennent le pouvoir.
César Borgia meurt en 1507. Ce fils du pape Alexandre VI Borgia, entre autres duc, dernier représentant des Borgia, chef des armées papales, cardinal, qui avait la réputation non surfaite d’assassin de son frère Juan, de belliqueux, de sanguinaire, d’assoiffé d’argent et de puissance, aura servi de modèle à Machiavel pour son Prince. Le royaume que César s’était bâti par les armes en Romagne inspire l’écrivain politique dans son projet de réunification de la péninsule. Il admire chez celui qu’il a bien connu, la vaillance et l’intransigeance. Mais l’éclat de ce nouveau César se ternira bien vite à la mort de son pape de père. Arrêté, emprisonné, expédié en Espagne, il se réfugiera en Navarre où il épousera la sœur du roi Jean III de Navarre[9], et mourra en combattant avec lui les Espagnols, à 32 ans.
Dans une Florence qui subit les hostilités du pape guerrier Jules II[10] (celui de St Pierre, de Raphaël et Michel-Ange) et de François 1er, Machiavel, qui a participé à un complot contre les Médicis, est condamné à l’exil. Amnistié, il revient à Florence et dédit en 1513 au au Prince Médicis (Laurent II) son œuvre qui l’a rendu célèbre, le Prince (Les Principautés, titre original).
En 1525, il publie ses Histoires Florentines et obtient une bourse. Il effectue quelques missions. Alors qu’il pense pouvoir les accomplir à sa hauteur, en 1527, le peuple de Florence se soulève contre les Médicis et recouvre pour trois ans leur indépendance. Machiavel se retrouve abandonné et meurt dans une extrême pauvreté la même année.
Outre son œuvre la plus connue, Le Principe, Machiavel a également écrit L’Art de la Guerre, Histoires Florentines et La Mandragore, une farce burlesque écrite en 1518, jouée en 1526 et qui connut un grand succès. Le compositeur Philippe Verdelot aurait contribué à sa mise en scène (voir Musique/ Vers La Monodie).
Dans L’Art de la Guerre (1520), sous forme d’un dialogue, Machiavel décrit en détail le fonctionnement d’une armée telle qu’il la conçoit :bataillons ayant chacun leur spécificité, logistique et organisation des camps, armement et exercices des soldats, et bien sûr sa défense (fortification) et son attaque (stratégie et tactique). Outre cet art militaire, Machiavel apporte la nouveauté d’une armée de métier permanente et non plus une armée d’enrôlés et de mercenaires. Sa source d’inspiration est la légion romaine. Le chef militaire, le commandant des armées doit indispensablement être doté de la virtù. « Par virtù, concept central de la pensée machiavélienne, il faut entendre la capacité humaine, éminemment politique, à s’adapter et à influer sur le cours des événements. » (Matthieu Roger, Machiavel, Œuvres Complètes, Êdit. Gallimard-La Pléiade 1952)
Dans sa pièce de théâtre, La Mandragore (1520), Machiavel reste fidèle à lui-même quant au jugement sans illusions qu’il porte sur l’âme humaine, mais c’est sur le ton d’une comédie drôle qu’il se charge de nous montrer toute la perfidie dont elle est capable. Un jeune homme pour séduire une belle, mariée, prude et toujours sans enfant, use du stratagème de la potion qui la rendra fertile mais à condition qu’elle couche avec un homme, autre que son mari, car cet homme mourra dans les jours qui suivent. Si au début, elle est résolument opposée à faire l’amour avec un inconnu, elle finit par céder sous la pression de l’abbé, de sa mère et de son mari. Chacun agissant pour son seul intérêt, le mari, l’amant, la mère, l’abbé au détriment de la vertu de la belle dont il n’ont cure.
Certaines sources mentionnent cette pièce comme préfigurant la Commedia dell’Arte. Il est à rappeler que la Comédie de l’Art (d’Improviser) ou Art des Rues trouve sons origine dans les fêtes populaires et carnavals du XVème siècle.(Voir Littérature Renaissance/ Théâtre/Italie/Commedia dell’Arte).
Le Prince (1515) est réparti en 26 chapitres; Du 1er au 11ème, Machiavel traite des différentes sortent de principalités, qu’il distingue des républiques, et de la façon dont le prince doit les gouverner; Du 12ème au 25ème , il traite des qualités et mérites du prince; le dernier chapitre étant consacré aux secrétaires du prince.
Alors que la brève république de Florence[11] s’effondre, Machiavel dédicace son Il Principe à Laurent de Médicis, non au Magnifique mais à son petit-fils Laurent II (1492-1529), duc d’Urbino. La famille de Médicis a repris le pouvoir sur Florence avec les consentements de l’empereur Maximilien 1er de Habsbourg et du roi Ferdinand II d’Aragon (†1516). Machiavel qui vivifie pour la première fois un sentiment national, comprend toute la fragilité du morcellement politique de la péninsule et prône son unification. Le dernier chapitre du Prince s’intitule, « Exhortation à prendre l’Italie et à la libérer des barbares. »
Le livre a été mis à l’Index dès sa publication. Machiavel donne une image de l’homme qui par son apparente « inhumanité » s’écarte de la vision biblique.
Quelques principes du gouvernement de Machiavel fondés sur le réalisme politique et basés sur sa propre expérience de diplomate:
Machiavel a également écrit Les discours sur la première décade de Tite-Live . Parti des dix premiers livre de l’Histoire de Rome écrite par l’historien padouan Tite-Live († 17), Machiavel, en trois livres, considère l’histoire des régimes politiques et leur évolutions, les différentes républiques, la démocratie et les conditions de sa préservation. Il pose notamment la double question des circonstances dans lesquelles il serait nécessaire pour le maintient de l’État d’instaurer une dictature en remettant les pleins pouvoirs à quelques magistrats et de comment éviter tout débordement de ce pouvoir à des fins particulières et sectaires. Son modèle d’état reste la Rome Antique. Cet œuvre commencée à la même période que le Prince restera inachevée.
La Grant’Monarchie de France, œuvre de juriste et théoricien politique Claude Seyssel paraît dans une première édition falsifiée en 1519 sur laquelle seront basée les suivantes jusqu’à l’édition complète et original de 1961. (Voir Humanisme Français/Claude Seyssel),
Notes
[1] Léonardo Bruni dit d’Arétin, (1370-1444), traducteur et historien, Chancelier de la Seigneurie de Florence à ne pas confondre avec Pierre l’Arétin (1492-1556) dramaturge.
[2] Voir Premiers Humaniste/ R. Lulle et la Renaissance.
[3] La pensée centrale de Telesio est de « rejeter la théorie aristotélicienne de la forme et de la substance* et tout principe transcendant au nom d'un naturalisme immanentiste fondé sur le double principe matériel et antithétique du chaud et du froid. À la hiérarchie ontologique d’Aristote il substitue une conception continuiste des phénomènes de la nature, dont la différence et le développement ne sont que l'effet des divers degrés de chaud et de froid, conception qui n'introduit aucune distinction qualitative entre l'homme et l'animal. » (Encyclopedia Universalis). * Cette théorie fondée par Aristote de la forme-subtance connu sous le nom d’hylémorphisme (hylé=matière,morphé=forme) sera un des piiers de la réflexion scolastique (Tome 1/XIIIème s./Scolastique).
Telesio, docteur en théologie en 1535, enseigna à Rome. Homme humble, refusant les honneurs et dont la vie fut ponctuée d’épreuves, ruiné pendant le sac de Rome, il ne survivra pas à la mort de sa femme et de ses fils. Il n’en connut pas moins une grande renommée et son œuvre majeure De natura rerum iuxta propria principia fut célébrée dans les grandes citées.
[4] Quoique l'aristotélicien Thomas d'Aquin avait déjà défendu une philosophie de la nature et une noétique des sens. Thomas part toujours du niveau le plus bas, de la chose créée, de l'homme tel qu'il est, de ce qui est, manifesté, sensible, de "l'intuition sensible d'existants réels" (André Hayen) pour progressivement en cela, "saisir" Dieu en sa création. "Il découvre le Créateur à la racine, à l'origine de l'être fini ; dans sa « présence substantielle » aux substances qui nous entourent, il découvre l'Acte pur d'exister qui tient les choses dans l'être.(André Hayen, Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, tome 51, n°30, 1953. pp. 233-294.doi 10.3406/phlou. 1953.4441).
[5] C'est de là, selon E. Bloch, l'origine du "roi soleil". Une autre source donne comme origine le Carrousel (char du soleil) de 1662 aux Tuileries pour lequel Louis XIV prit pour emblème le soleil. C'est son fondeur qui pour ses boutons d'habits avait choisi pour motif le soleil. D'autre sources donnent, le solaire Apollon sous les traits duquel le roi se représentait. Pour le ballet de nuit de 1662, il se présenta en habit d'or.
[6] Descartes reviendra à la fin de sa vie sur le bien fondé de son cogito.
[7] http://www.cosmovisions.com/Machiavel.htm
[8] Depuis le 12ème siège, Florence s'est instituée en 'simple' commune. En 1434, avec Cosme l'Ancien, les Médicis détenant un pouvoir financier considérable deviennent maître de la ville. A la mort de Laurent, en 1492, sous l'impulsion de Savonarole (†1498), Pierre II de Médicis est chassé de la ville qui s'érige en république. Entre 1512 elle revient sous la coupe des Médicis. En 1529, pour avoir pris parti pour François 1er, la ville sera assiégée par la coalition de l'empereur du St Empire et des troupes du Pape Clément VII (Jules de Médicis) qui, en 1532, feront d'Alexandre de Médicis le premier duc de Florence, Un autre Alexandre de Médicis sera élu pape en 1605 sous le nom de Léon XI.
[9] Jean III de Navarre ou Jean II d’Albret (1469-1516) roi de Navarre par son mariage avec Catherine de Foix-Navarre, arrière-grand-père de Henri IV. Il perd en 1512 le Sud de la Navarre conquise par Ferdinand II d’Aragon (voir Événements Majeurs/ 4ème Guerre d’Italie).
[10] Ne pas confondre Giulano della Rover († 1513), pape soldat et mécène, élu en 1509 sous le nom de Jules II (†1534) et Jules de Médicis élu pape en 1523 sous le nom de Clément VII.
[11] Depuis le XIIème siècle, Florence s'est instituée en 'simple' commune. En 1434, avec Cosme l'Ancien, les Médicis détenant un pouvoir financier considérable deviennent maître de la ville. A la mort de Laurent, en 1492, sous l'impulsion de Savonarole (†1498), Pierre II de Médicis est chassé de la ville qui s'érige en république. Entre 1512, elle revient sous la coupe des Médicis. En 1529, pour avoir pris parti pour François 1er, la ville sera assiégée par les trpupes coalisées du pape et de Charles Quint qui, en 1532, feront d'Alexandre de Médicis le premier duc de Florence, Un autre Alexandre de Médicis sera élu pape en 1605 sous le nom de Léon XI.
Ce mouvement, qui s’étend sur les deux siècles de la Renaissance, ne fait pas de la raison le primat de la connaissance. Les chrétiens Francesco Zorzi, Johannes Reuchlin, Guillaume Postel et les juifs León Hebreo et Juda ben Yehiel vont partie de ce mouvement hébraïsant qui, avec Pic de la Mirandole en de chef de file de la cabbale chrétienne[1], révèle sans constituer une école, l’intérêt porté par les humanistes à l’hébreu, à la culture hébraïque et à la Kabbale. Il montre comment celles-ci peuvent être en adéquation avec un humanisme qui plonge ses racines dans la tradition païenne antique, comment elles peuvent permettre un approfondissement de la compréhension des Saintes Écritures ou/et s’inscrire dans un mouvement d’émancipation universaliste, et s’intégrer à l’enseignement des arts libéraux.
Si à Florence, c’est à l’exemple de Pic de la Mirandole que se diffuse l’intérêt pour l’hébreu et de là pour la cabbale, à Rome, c’est dans l’entourage du cardinal Gilles de Viterbe (1469-1532), théologien, grand orateur, lui-même cabaliste, qu’avec Élie Lévita qui lui enseigna l’hébreu et Baruch di Benevento (dit Baruch de Bénévent) qui l’initia au Zohar, que l’étude de la langue hébraïque trouve une audience de plus en plus importante auprès des humanistes qui gravitent alors dans le voisinage de la papauté.
Le Zohar (Sepher ha-Zohar, Le Livre de la Splendeur, ca.1280) est la pièce centrale du système kabbalistique. Il expose la méthode propre à la Kabbale de commenter la Torah. Le Zohar fait référence chez tous les kabbalistes humanistes, juifs et chrétiens. Ces derniers y trouvant entre autres la confirmation de la vérité du christianisme.
« Pic entre en relation avec le rabbin Yohanan Alemanno (1435-1504), un disciple de Juda ben Yehiel, le représentant le plus remarquable de la Kabbale italienne dans les années 1480. Alemanno est connu pour ses commentaires sur le Pentateuque et sur le Cantique des Cantiques où il expose les méthodes d’exégèse kabbalistique. La rencontre de Pic et d’Alemanno est à la source de la création de la kabbale chrétienne, selon Charles Mopsik[2] ».
Francesco Zorzi (Francesco Giorgio Veneto, 1466-1540), vénitien, théologien franciscain et poète, fut proche de Pic et influencé par lui. Son œuvre majeure Harmonia Mundi (De Harmonia Mundi Totius Cantica Tria 1525), composé de trois cantiques, eut un grand retentissement en Europe. Comme son œuvre In Scripturam Sacram Problemata, elle sera mise à l’Index.
« La doctrine exposée dans De harmonia mundi est fondée sur la conviction qu’il existe un lien intime entre l’architecture universelle du cosmos, l’émanation du divin et la variété inépuisable de choses existants. » (http://www.treccani.it/enciclopedia/francesco-zorzi_(Dizionario-di-filosofia)
« Dans De Harmonia Mundi (1525), œuvre majeure de Zorzi dédiée au pape Clément VII, on retrouve les thèmes hermétiques classiques des sept sphères, de l’angéologie et de l’influence des planètes, complétés par une approche kabbalistique. En réalité, il s’agit bien d’un retour au paganisme, présenté comme parfaitement compatible avec la doctrine chrétienne ! »(Karl Vereycken:http://www.solidariteetprogres.org/documents-de-fond-7/culture/article/albrecht-durer-contre-la-melancolie-neo.html)
Yehuda Abravanel (1460-1521, León Hebreo, Léon l’Hébreu) est issu d’une riche famille juive portugaise. Son père propriétaire terrien, conseiller et exégète, dû se réfugier en 1483 en Espagne. Quand les juifs furent chassés de la péninsule ibérique en 1492, León accompagna son père qui s’installa dans la capitale du royaume de Naples à la tête duquel se trouvait alors Alphonse II d’Aragon[3]. Hebreo professe un temps comme médecin à Naples et à Gênes puis voyage à travers l’Italie, rencontre les humanistes.
Ses Dialogues d’Amour (1502), inspirés des Dialogues sur l’Amour de Ficin et republiés tout au long du XVIème siècle, sont composés de trois dialogues. On y retrouve les influences platoniciennes et néoplatoniciennes, la tradition juive, mais également des remontées socratiques, des références au poète andalou néoplatonicien Ibn Gabirol[4].
Comme chez tous les humanistes platoniciens et qui n’ont pas oublié St Augustin, l’Amour y tient une place essentielle. C’est par l’amour et non l’intellect que l’homme s’approche du divin. La foi ne nécessite nullement le soutien de la raison. Hebreo rejette les aristotéliciens et le rationalisme d’un Maïmonide[5] mais de lui retient les leçons de Platon.
Il écrivit quelques poèmes en hébreu. Sa poésie influença celle de Michel-Ange poète et le poète dramaturge l’Arétin (Pietro Aretino, 1492-1556)[6]. Spinoza connaissait son œuvre.
Johannes Reuchlin (1455-1522), né dans le Bade-Wurtemberg d’une famille modeste, fait ses études à Fribourg puis à Orléans. Il étudie le droit, la rhétorique et la grammaire. Il apprend le grec et commence l’étude de l’hébreu à Paris en 1473. En1485, il obtient son doctorat de droit.
Reuchlin entre au service du Duc Eberhard de Wurtemberg et sert aussi l’électeur du Palatinat. C’est en Italie en 1486, lors de ses missions diplomatiques, qu’il découvre au contact des rabbins la pensée juive et qu’il poursuit sa connaissance de l’hébreu par l’apprentissage de son alphabet.
L’empereur Frederick III l’anoblit en 1492. Après une brillante carrière de juge à Spire (Rhénanie-Palatinat), d’avocat et de membre de la Cour Suprême de la Ligue de Souabe de 1502 à 1513, il quitte ses fonctions et enseigne le grec et l’hébreu.
Il défendit la religion juive et ses écrits qu’il estimait non antinomique au christianisme. Il s’opposa pour cela au théologien Johannes Pfefferkorn (1469-1522 ?), juif converti au christianisme, qui en 1507 avait commencé à réclamer avec le soutien de l’Inquisition[7] de Cologne des mesures contres les juifs (interdiction de prêt, obligation d’assister aux sermons…) et qu’un décret de l’empereur du St Empire Romain germanique, Maximilien 1er, lui permit d’appliquer (interdictions des écrits juifs, autodafé…). L’intervention de Reuchlin fut décisive et le décret abrogé. Mais accusé de judaïsme, il fut condamné par l’Inquisition à verser une amende au pape. Érasme qui l’admirait, regretta par la suite de ne pas avoir pris sa défense. Toutes ses œuvres furent mises à l’Index[8]. Les historiens s’accordent aujourd’hui pour dire que cette condamnation tint autant à l’antisémitisme du moment que d’une position hérétique des écrits de Reuchlin. Reuchlin prit en tout cas position contre la réforme luthérienne.
Ces principaux ouvrages sont: Rudimenta hebraicae linguae (Rudiments de l’Hébreu,1506) sur son vocabulaire et sa grammaire, qu’il améliore avec De Accentibus et Orthographia Linguae Hebraicæ (1517) ; De Verbo Mirifico (Du Verbe Admirable, 1494) représentatif de ce souci de syncrétisme entre hermétisme, cabbale, christianisme et néoplatonisme. Dans De Arte Cabbalistica (De l’Art Cabbalistique, 1517), reprenant ses positions du Verbe, il présente une conciliation entre judaïsme et christianisme, foi et science. Dans son Augenspiegel (Le Miroir des Yeux, 1510), Reuchlin s’élève contre la volonté de Pfeffrkorn de brûler les écrits juifs.
Johannes Reuchlin était l’oncle de Mélanchton.
Guillaume Postel (1510-1581) nait en Basse-Normandie dans une famille plus que modeste. Ses parents meurent de la peste dans sa petite enfance. Il gagne sa vie comme valet de ferme et maître d’école. Il entre comme domestique d’un élève au Collège Sainte-Barbe à Paris, établissement indépendant alors très réputé pour l’ouverture de son enseignement et va pouvoir ainsi poursuivre ses études. Il en ressort maître-ès-arts. Après son noviciat à Rome, les Jésuites refusèrent son entrée dans la Compagnie de Jésus (voir Réforme Catholique).
Protégé de Marguerite d’Angoulême, sœur du roi, reine de Navarre et favorable aux idées de la Réforme, Postel se voit confier par François Ier en 1535 la mission, au sein de la suite du premier ambassadeur de France à Constantinople, de ramener des manuscrits d’Orient. Il y apprend l’arabe et le turc et fréquente savants, lettrés et médecins. Il revient un an plus tard, faisant halte à Venise, porteur de rares manuscrits scientifiques arabes et turcs, notamment sur la cosmographie et l’astronomie, dont un ouvrage contenant les alphabets de douze langues et une grammaire arabe, le Linguarum duodecim characteribus differentium alphabetum. A la suite de quoi, il fut nommé en 1538 (39) « lecteur royal pour les mathématiques et les langues étrangères » au tout nouveau Collège des Lecteurs Royaux (Collège de France) fondé en 1530 par François 1er sous l’impulsion de Guillaume Budé.
En 1543, il écrit, après une Description de la Syrie, Les Raisons du Saint-Esprit, traité de théologie qui laisse déjà apparaître son ‘originalité’. Dans son œuvre majeure, De Orbis Terraæ Concordia, il aborde la question politique et les fondements de la société. Outre l’étude des ‘républiques’, turque, vénitienne et française, au travers de l’histoire, il recherche les fondements d’une société nouvelle, naturelle, dont il définit les croyances indispensables à sa cohésion et les bases juridiques. Il prône la tolérance et la cohabitation de sociétés différentes qui chacune se structure et s’organise selon ses propres besoins. Au-delà du Postel paranoïaque qui se donnait une mission carrément messianique de « nouveau Caïn », il y a un Postel précurseur d’un Montesquieu, des penseurs politiques du XVIIIème siècle, au même titre que Machiavel.
En 1547, à Venise, il rencontre la mère Jeanne, Zuana Suor, selon les sources, donatrice de vêtements pour enfants ou fondatrice d’un hospice à Padoue puis à Venise. Postel devient son directeur de conscience. Elle prêche une nouvelle rédemption qu’elle fonde sur ses visions. Postel trouve là l’opportunité de laisser s’exprimer sa nature exaltée. A l’annonce par Joachim de Flore, faite au XIIème siècle de la venue d’un âge nouveau qui verra l’émergence d’une Église nouvelle, qui, guidée par l’Esprit Saint, répandra ‘l’évangile éternel’ sur terre, il greffe une approche kabbalistique de la seconde venue d’un nouveau christ d’essence féminine. Adam (l’homme en sa virilité), tenté par Ève, a été entaché par le péché et le (premier) Christ est venu les sauver. Mais son esprit féminin doit être sauvé par un second messie, la Sagesse (référence à la cabbale) qui est l’anima mundi, l’âme du monde (référence néoplatonicienne). Mère Jeanne serait cette sagesse incarnée et à sa mort, elle se serait réincarnée en lui. C’est à cette épisode de sa vie que Postel doit pour une bonne part sa réputation de « fol et docte Postel » auprès de ses confrères. Postel aura été amené à connaître au cours de son existence, l’errance et la misère.
Il retourne en Orient en 1540, puis pérégrine à travers l’Europe. Il enseigne un temps à l’Université de Vienne. C’est là qu’il contribua à la première impression en 1553 du Nouveau Testament en Syriaque, qui paraitra en 1555. Projet qu’il caressait de longue date C’est sous sa direction que Kaspar Kraft établit l’écriture syriaque utilisée.
En 1553, il retourne à Venise où ses livres sont taxés d’hérésie et condamnés. Et si lui-même n’est pas condamné, « c’est qu’il passe pour fou. » (Philo.Renais. Op. cit.) A Ravenne puis à Rome, il sera quand même emprisonné pendant quatre ans. Cette même année, il dessine deux cartes célestes et en 1560, une carte de France. En 1562, il revient à Paris et termine ses jours au Prieuré de St Martin des Champs (sis dans l’actuel 3ème arr. de Paris) où, bien traité, il n’en est pas moins forcé à résidence.
Au travers de ses pérégrinations, Postel aura eu l’occasion de rencontrer et de travailler avec des linguistes, des éditeurs, des spirituels allemands comme les disciples de Caspar Schenckfeld (Voir Mystique ) à Bâle. Reconnu comme orientaliste et philologue, Postel a eut cet esprit universel de la Renaissance qui le fait s’intéresser aux mathématiques, à la philosophie, à la médecine, à la géographie. L’archiviste paléographe contemporain, Émile Dermenghem dans son livre Thomas Morus et les Utopistes de la Renaissance, le classe avec Thomas Moore parmi les utopistes de la Renaissance. “Défendant le libre-arbitre contre le fatalisme padouan et la prédestination calviniste, Postel refuse l’éternité du monde et professe l’immortalité individuelle” (Ph.Renais. Op. Cit)
“Guillaume Postel fut considéré au XVIe siècle comme un grand orientaliste; Vatable, Danès, Widmandstadt, Masius, Pellican avaient de la considération pour lui; brillant professeur, il attirait une véritable foule à ses cours. Mais le plus grand service qu’il ait rendu aux langues orientales, c’est d’apporter en Europe des manuscrits importants, par exemple des œuvres d’Abufelda, de Damascène, et un manuscrit qui servit pour éditer à Vienne, en 1555, le Nouveau Testament syriaque… [auquel il participa indirectement]… Ses rêveries sur la future union de tous les humains, sur leur régénération par la mère Jeanne, sont exposées dans un langage tellement obscur qu’on ne peut les comprendre. Mais il fut, avec Castellion, un des premiers théologiens qui recommandèrent la tolérance.”[9]
D’aucuns le considèrent comme « le plus grand orientaliste de la Renaissance française. »[10]
Son œuvre est importante et diverse. Alcorani seu legis Mahometi et evangelistarum concordiæ liber In quo de calamitatibus orbi christiano imminentibus tractatur (La Loi du livre du Coran, Mahomet et les Évangelistes, dans lequel les troubles qui nous assaillent sont à considérer) est le premier commentaire du Coran dans le texte. La Clé des Choses Cachées et L’Exégèse du Candélabre Mystique dans le Tabernacle de Moïse, aux titres évocateurs, sont des écrits « qui appliquent l’herméneutique juive à la mission du roi de France » (Philo. Renais. Op. Cit.)
De Orbis Terrae Concordia (La Concorde du Monde) paraît en 1543 à Bâle. En 1553, paraît Les très merveilleuses victoires des femmes du monde [sic] et comment elles doivent à tout le monde par raison commander. C’est un ouvrage d’inspiration mystique qui fait suite à sa rencontre avec mère Jeanne, réincarnée en lui (selon lui). En 1560, paraît De la République des Turcs, [et] là où l’occasion s’offrera, des meurs [et] loy de tous Muhamedistes. Son dernier ouvrage est daté de 1579, Les Premiers Éléments d’Esclide Chrestien, pour raison de la Divine et Éternelle Vérité Démontrée.
Conrad Pellican ou Pellikan (Konrad Kürschner, 1478-1556), né à Rouffach en Alsace, est issu d’une famille bourgeoise protestante dont le père était tisserand. Il entre à l’Université d’Heidelberg à 13 ans. Ses parents ne pouvant financer jusqu’à leur terme ses études, il commence un noviciat chez les frères mineurs (franciscains) en 1494 et les poursuit en 1496 à l’Université de Tübingen qui vient d’être fondée en 1477 par le futur Duc de Wurtemberg à l’instigation de son conseiller Johannes Reuchlin. Il devient l’élève préféré du franciscain Paul Scriptoris (Schreiber=écrivain,1460-1505). Particulièrement versé dans les sciences naturelles et la cosmographie, Scriptoris écrivit dès 1499 un traité sur la transsubstantiation qui lui valut d’être exclu de son ordre et de s’exiler en Alsace. La question de la transsubstantiation sera une des pommes de discorde entre les réformateurs luthériens et les calvinistes et les catholiques (voir Réforme).
Pellican apprend l’hébreu sur un exemplaire de l’Ancien Testament que lui a offert un prêtre. J. Reuchlin le guidera dans cette voie. En 1501, il est fait prêtre et l’année suivante, il enseigne la théologie d’abord à Bâle puis dans d’autres villes. Sa nomination de secrétaire du Vicaire Général de l’Ordre lui donne la possibilité de voyager. A Paris, il rencontre le franciscain Lefèvre d’Etaples. En 1504, il rédige une grammaire et un dictionnaire hébraïques édités à Strasbourg.
De retour à Bâle, où il enseigne à l’université, il fréquente les humanistes dont Érasme est la figure de Proue, mais aussi les réformés dont le chef de file est Œcolompade. En 1525, il rompt ses vœux, se marie et part à Zurich à la demande du suisse réformateur, le zurichois Uldrich Zwingli (1484-1531) pour enseigner le grec et l’hébreu à l’école de théologie fondée par ce dernier. Il occupera ses fonctions jusqu’à sa mort.
Il est l’oncle de Conrad Wolfhart (1518-1561) connu sous le nom de Conrad Lycosthenes, auteur d’un fameux recueil de prodiges, Prodigiorum ac ostentorum chronicon (1557) dans lequel sont compilés sans grande rigueur tous les grands prodiges que les historiens ont recensés depuis la création du monde (4000 av.J.C.) jusqu’à son époque.
Juda ben Yehiel (1422-1498) dit Messer Léon né en Vénétie,fait des études traditionnelles juives en parallèle d’études de Médecine. Rabbin à Ancône en 1460, il y fonde une académie talmudique. Ses élèves le suivront dans les différentes villes où il enseignera, à Padoue où il reçoit le titre de docteur en philosophie, à Bologne, à Naples dans les années 1470. Les circonstances et la date de sa mort ne sont pas connues, 1498?
Au travers de son enseignement du triumvir et de ses commentaires sur Aristote et Averroès, Yehiel est représentatif sous la Première Renaissance de cette interpénétration des cultures, hébraïque et scolastique qui tente « de concilier la philosophie aristotélicienne, dominante alors dans les communautés juives italiennes, et la philosophie néo-platonicienne d’inspiration kabbalistique) ». (https://c-est- quoi.com/fr/ definition/kabbale)
Ne pas confondre avec Yehiel ben Joseph dit Yehiel de Paris (†1286) qui, en 1240, soutint contre Donin, juif converti, la dispute voulue par Louis IX sur la question du Talmud. A la suite de laquelle, deux ans plus tard, en 1242, « vingt-quatre charretées d’exemplaires du Talmud, de la Michna et du Midrash furent brûlées en place de Grève. » (http://letalmud.blogspot.fr/2010/01/autodafe.html)
[1] Pour en savoir plus voir, entre autres, l'œuvre, de l'historien contemporain François Secret qui a porté ses études sur la cabbale chrétienne et sur ces hébraïsants, notamment avec son ouvrage sur Les Kabbalistes Chrétiens de la Renaissance (Édit.Dunod, Paris, 1964) ; et Aristote et les kabbalistes Chrétiens de la Renaissance (16ème Colloque International, Tours, 1976)
[2] https://c-est-quoi.com/fr/definition/kabbaleà. Charles Mopsik (1956 -2003) « est une des figures importantes du renouveau des études juives en France à la fin des années 1970… une figure majeure de l’étude de la Cabale, à la fois comme traducteur, comme historien et comme chercheur. »(Wikipédia)
[3] Très bref règne de ce fils du roi Ferdinand 1er de Naples, auquel succèdera le non mois bref règne de son fils Ferdinand II chassait en 1494 par Charles VIII lors de la Première Guerre d’Italie.
[4] Salomon Ibn Gabirol (Shelōmōh ben Yehudāh ibn Gěbirol 1022-1058), connu également sous le nom d'Avicebron, est un poète philosophe juif espagnol d'inspiration néoplatonicienne. Il fut apprécié des scolastiques, notamment de St Thomas d'Aquin et sa conception mystique de la cabbale influença le maître de celui-ci, Albert le Grand (voir Tome 1).
[5] Dans son ouvrage, Le Guides des Égarés (ou des Perplexes), Moïse Maïmonide (1135-1204), s'adresse aux juifs partagés entre la tradition rabbinique et les courants novateurs comme l'aristotélisme que véhiculent les penseurs de l’âge d'or musulman. Cet ouvrage est non seulement une référence majeure de la pensée juive du Moyen-âge mais, au-delà, il est encore considéré comme un ouvrage majeur de l'expression de la philosophie spirituelle. (Voir Tome I)
[6] A ne pas confondre avec l’humaniste historien Léonardo Bruni dit d’Arétin, (1370-1444), traducteur et historien, Chancelier de la Seigneurie de Florence
[7] Inquisition :voir Tome 1/ 1200-Âge d'Or de la Scolastique/Ordre Dominicain
[8] L’expression ‘mise à l’Index’ est utilisée pour des interdictions par l’Église de lire certains ouvrages antérieures aux premier véritable Index qui fut l’Index Librorum Prohibitorum datant de 1557 établi par l’Inquisition et approuvé par le pape Paul IV. L’Index disparaît en 1948. D’autres sources indiquent le Concile de Trente, terminé 1563, comme à l’origine de l’Index.
[9] En savoir plus sur http://www.cosmovisions.com/Postel.htm - OiDkj2w2V4m115co.99.
Sur Casteillon : Jean-François Maillard in Revue de l'histoire des religions Année 1983 Volume 200 N°4 pp. 446-447 :
« Sébastien Castellion (1515-1563) publiera après l’exécution de Michel Servet, en 1553, un Traité des Hérétiques dans lequel à l’appui de citations des Pères de l’Église, de Luther et d’Érasme qui avait lui-même remis en cause le trinitarisme, il développe une véritable charge contre Calvin et conteste que l’on puisse convaincre de la vérité d’une croyance par la force. Il écrit cette phrase restée célèbre : « Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme. »
[10] J.P. Maillard [compte-rendu] de M. L. Kuntz. Guillaume Postel Prophet of the Restitution of All Things. His Life and Thought .
Introduction - L'Art de La Mémoire - L'Hermétisme - L'Astrologie - L'Alchimie - L'Holysme
Ramener le mouvement Renaissant à la seule émancipation de l’homme vis-à-vis de la religion et des dites superstitions du Moyen-âge et le promouvoir en une avancée décisive du rationalisme dans les mentalités risque de lui ôter sa « substantifique moelle. » L’humanisme florentin fut imprégné par-delà le christianisme des doctrines anciennes venues d’Asie Mineure et d’Égypte, le mithraïsme, le zoroastrisme cher à Gémiste Pléthon, et l’hermétisme. Ficin les intègre à son platonisme : « pour lui Mithra, Ormuzd, Ahriman ne sont que les trois principes que Platon nomme Dieu, esprit et âme. » (M.Gandillac in Hist. Philo. Ren. Op. Cit).
A la Renaissance, particulièrement dans sa seconde phase, au XVIème siècle, les arts sacrés connurent un fort regain d’intérêts. Les forces obscures, occultes, cosmiques furent l’objet de nouvelles études et recherches pratiques. L’hermétisme d’un Marsile Ficin, le cabalisme d’un Pic de la Mirandole, le vitalisme d’un Giordano Bruno, l’interdépendance universelle d’un Paracelse, l’art du feu d’un Grosparmy, l’ésotérisme d’un Corneille Agrippa, le lullisme de Padoue ou des Chartreux de Vauvert (Paris) donnent au mouvement Renaissant toute sa richesse et sa complexité.
« Paracelse était un homme de son époque, tout le monde croyait aussi bien à la transmutation des métaux qu’à l’influence des astres. » ( A.Koyré, Mystiq. Spirit., Alchim. du 16ème siècle Édit. Gallimard 1971).
Sans oublier les lulliens de Padoue ni les Chartreux de Vauvert (Paris), c’est par l’attention que Nicolas de Cues et Sibiuda (voir ci-avant R.Lulle et La Renaissance) portèrent à Raymond Lulle, que le Christianus Arabicus entre de plain-pied dans le mouvement Renaissant. L’élève de Lefèvre, Charles de Bouelles (1479-1553), écrivit une Vie de Lulle. Lefèvre d’Etaples, lui-même, participa grandement à ce regain d’intérêt pour le Majorquais dont Le Livre de la Contemplation en Dieu provoqua chez lui une véritable crise mystique. Et Lefèvre fera avec le concours des humanistes entrer l’étude de l’Ars Magna à l’Université de Paris, alors qu’en 1390, Pierre d’Ailly, chancelier de l’Université aurait condamné l’enseignement de Lulle et que son successeur, Jean de Gerson (†1429), en tout cas, fulmina contre le philosophe catalan en dénonçant dans son Contra Raimundum Lulli (1423) son ars combinatoria.
Raymond Lulle tiendra sous la Renaissance une place importante dans le courant hermétiste animé par les lulliens de Pavie et les Chartreux du couvent de Vauvert qui était situé sur l’actuel emplacement du jardin du Luxembourg.
Alors qu’il y a encore peu, il ne faisait aucun doute pour qui l’étudiait que Lulle avait été alchimiste tout comme R. Bacon et Arnaud de Villeneuve pour lesquels on ne remet pas en cause le fait qu’ils l’aient été, des lullistes modernes, hors mis les lullistes anglais (voir sa correspondance avec le Roi Robert d’Écosse), ont remise en cause que Lulle ait été alchimiste. Chez Lulle, il s’agit de l’alchimie spirituelle dont une des étapes est l’alchimie médicale comme la pratiquait Arnaud de Villeneuve.
Cette alchimie recherche la fabrication d’un élixir de longue-vie à des fins médicales de guérison mais également à fin de prolonger la vie en permettant une régénération du corps physique. L’étape ultime est la découverte de la Pierre Philosophale que Lull assimile au Christ. Elle permet la régénération de l’homme au plan moral et la contemplation de « Dieu en sa splendeur ». Dans son livre l’Alchimie Spirituelle[1] Robert Ambelain parle de celle-ci comme d’ « une technique de la voie intérieure et cite Albert Poisson:
« L’homme est l’athanor philosophique où s’accomplit l’élaboration des vertus… car l’œuvre est avec vous et chez vous…le trouvant en vous-mêmes où il est continuellement. »
On peut admettre que tout en ne croyant pas à une transmutation des métaux, Lulle ait pu adhérer à une telle doctrine au vu de l’importance qu’il a accordé à la régénération du corps en vue de sa résurrection (recréation) qui est la vraie visée alchimique selon lui, la réintégration du corps et de toute la création dans le Corps Glorieux du Christ. Il a été fortement influencé par l’alchimiste arabe Jâbir ibn Hayyân (721-815) qui, médecin, pratiquait cette alchimie médicale[2]. Après Lulle et Bacon, tout un corpus d’ouvrages alchimiques se constitua parfois même en empruntant leurs noms.
De même qu’on lui attribua le livre de référence des alchimistes, le Testamentum, d’un anonyme qui prit son nom et qui suscita bien des vocations, on finit par attribuer à Lulle le De Auditu Cabbalistico, tentative de synthèse entre alchimie et cabbale, originellement attribué à un médecin de Vérone, Pietro Mai Nardi et qu’une édition à Strasbourg de 1598 assimila aux œuvres lulliennes. Pic de la Mirandole se lancera aussi dans cette tentative de conciliation entre l’Art du Feu et la Kabbale.
Lulle ne dissocia pas son hermétisme de l’art de la mémoire. La combinatoire qu’il expose dans son Ars Magna se présente tout à la fois comme une calculette de la pensée qui met en correspondance des concepts et qui donne ainsi en résultat une pensée qu’il reste à développer, et comme un moyen mnémonique de la structure hiérarchique des intelligibles. Cette combinatoire est une résurgence de l’art de la mémoire cultivé par les rhéteurs classiques, qui au plus beaux temps de la scolastique n’alimenta aucun courant. Sur l’ars combinatoria de Lulle, Jean de Gerson (T 1429) écrira
« qu’il vise à faciliter par des procédés mécaniques l’enchaînement de la pensée….se proposant de visualiser de cette manière tous les rapports logiques et même toutes les combinaisons possibles de manière déductive et mécanique” (Ernst Bloch in La Philosophie de la Renaissance, Édit. Payot 1994).
« L’ésotérisme Renaissant retrouvera cette tradition de l’antique art de la mémoire. Giordano Bruno (1548-1600) sera l’auteur d’un certain nombre d’ écrits sur l’Art. Le célèbre moine renégat associera son penchant pour l’art combinatoire et la mnémotechnique à l’hermétisme avant d’ébaucher une pensée de caractère moniste qui éclatera la conception de Dieu de Lulle et Nicolas de Cues dans la ligne d’un Dieu-nature, objet d’une nouvelle piété cosmique. » (Eusebe Colomer in Les Chemins du Lullisme en Europe).
Voir aussi Bas Moyen-Âge/1200 Scolastique/R. Lulle/Ars Magna
« Inventé au Ve siècle avant J.-C., puis transformé en doctrine au Moyen Âge, l’Art de la Mémoire se propage chez les penseurs occultes de la Renaissance et lègue aux siècles suivants un ensemble de grands préceptes desquels des auteurs comme Francis Bacon, René Descartes et Gottfried W. Leibniz se sont emparés [dans le cadre de l’art de la mémoire]. Il s’agit d’accéder aux secrets de l’univers par le biais d’une classification systématique des choses du monde et à l’aide d’une clé universelle.[3] »
L’art combinatoire de Lulle s’inscrit dans la longue tradition d’une science de la mémoire, de l’art mnésique. La mémoire s’inscrit dans et par les signes. Elle est, pourrait-on dire, la nourriture de la sémiotique. Au Moyen-âge, les signes de la mémoire prennent souvent formes d’allégories avec les représentations imagées, picturales ou sculpturales, qui en découlent. A la Renaissance, l’approche occulte, symbolique du monde nécessite une connaissance de son langage occulte, une connaissance des correspondances, une clé des mystères. De Ficin à Bacon en passant par Paracelse ou Agrippas, le besoin de comprendre, de mémoriser de manière encyclopédique, toutes ces connaissances et de les articuler replongera les humanistes dans cet art de la mémoire mais non plus sous sa forme de l’imagerie chrétienne mais de manière, dirions nous, plus scientifique, sous la forme d’une méthode. Lulle, en cela, se démarqua au XIIIème siècle de la scolastique pour imaginer son art combinatoire totalement innovant, né d’une vision.
Éminent rhétoricien et ardent défenseur de Cicéron (contre Érasme),Giulio Camillo Delminio (1480-1544), né dans le Frioul (N.E. Italie) fut très célèbre de son temps, non seulement pour son Théâtre de la Mémoire mais aussi comme commentateur du grandissime jeune rhéteur Hermogène de Tarse (2ème-3èmes.av.j.c.) et pour ses commentaires des Rimes de Pétrarque (†1374). Ami des grandes figures de son temps, l’Arétin, Bembo, le Titien, Lorenzo Lotto, il est évoqué par l’Arioste dans son Rolando Furioso[4]. Il enseigna un temps à Bologne, voyagea en Italie. A Paris, en 1530, sans jamais pouvoir l’achever, il fit construisit pour François 1er à qui il en réserva le secret du fonctionnement, son théâtre mnémonique.
Camillo conçut en effet un Théâtre de la Mémoire[5]. Il s’inspira pour cela d’un texte hermétique arabe, le Picatrix (le Ghâyat al-hakîm, 10ème siècle) attribué à l’hermétiste Jâbir ibn Hayyân (721-815) et dont la traduction par le roi de Castille-León, Alphonse le Sage († 1284) fut très répandue au Moyen-âge. Il s’inspira aussi du palais de l’Africa de Pétrarque; et encore des édifices cabalistiques du Zohar; pour les correspondances cabalistiques, Camillo se réfère à Harmonie du Monde de F. Zorzi (voir Humanisme Hébraïsant).
L’amphithéâtre devant lequel se tient l’unique spectateur s’étage sur 7 gradins divisés verticalement en 7 sections correspondant aux 7 astres, l’ensemble constituant ainsi 49 compartiments. Du premier gradin, le plus proche de la scène vers le plus haut, s’échelonne les 7 planètes (émanation divines, principes de l’Univers), le Banquet (des dieux, le monde intelligible), La Caverne (d’Homère, les éléments), les Gorgones (l’âme et le monde intérieur), Pasiphaé (l’âme incarnée, l’homme extérieur relié au cosmos), les Talonnières (de Mercure, action de l’homme), Prométhée (les œuvres de l’homme). Ces 7 gradins de l’amphithéâtre sont divisés de gauche à droite par les secteurs Lune, Mercure, Vénus, Le Banquet, (décalé avec Apollon-soleil situé au gradin supérieur), Mars, Jupiter, Saturne. Dans chacune des sections seront représentées des scènes. Ainsi dans Prométhée-Lune on verra « Diane à qui Mercure passe un vêtement, scène qui renvoie aux mois, Neptune (arts relatifs à l’eau), Daphné (jardin arts relatifs au bois), etc. « Le théâtre se présente donc comme une image complète du monde dans laquelle il est possible de représenter par un nombre fini d’images, la somme de toutes les choses, idées et concepts, la totalité du monde connaissable. »
Au-delà du procédé mnémonique, l’ambition de Camillo fut « d’édifier une langue et une grammaire visuelle. De manière plus générale, la Renaissance dépassant le simple procédé mnémonique « s’attacha à l’idée plus profondément philosophique qu’il était possible de convertir une faculté naturelle en faculté artificielle et, partant, qu’il était possible de constituer un système de correspondances ou une combinatoire universelle comme tentèrent de le faire notamment l’Art de Raymond Lulle, Giordano Bruno et Liebniz.
C’est ainsi que, jusqu’au XVIème siècle un nombre considérable d’arts de la mémoire et de traités mnémoniques continuèrent de voir le jour ».(Bertrand Scheffer).
« L’effort de Leibniz, qui vise à inventer un calcul universel recourant à des combinaisons de signes ou de caractères, apparaît incontestablement comme une descendance historique des efforts de la Renaissance pour combiner le Lullisme et l’art de la mémoire. » (Yates Frances, L’Art de la Mémoire,première traduction de l’anglais par Daniel Arasse, Mayenne Gallimard 1975).
« Au XIXe siècle, l’œuvre de Leibniz influence profondément George Boole (1815-1864), vis-à-vis duquel Charles S. Peirce (1839-1914, fondateur de la sémiologie moderne) se positionnera à son tour. Boole, que l’on considère communément comme le fondateur de la logique moderne, réalise le projet de Leibniz – et sa logique binaire servira à formaliser le langage informatique au XXe siècle, langage dont la prétention est éminemment universelle. » (http://www.revuecygnenoir.org/numero/article/mysteres-art-memoire-semiotique#footnote17_ourqatm).
Descartes et Bacon connaîtront bien ces méthodes mnémotechniques mais leur refuseront leur caractère occultes.
A la demande du Marquis del Vasto, Camillo dicta « un modèle de son théâtre », l’Idea del Theatro dell’Eccelent M.Giulio Camillo (Florence, 1550). Aucun de ses écrits ne furent publiés de son vivant.
Jacopo ou Giovanni Fontana (1393-1455), Vénitien ou Padouan ( ?), fut médecin et ingénieur. Il se présentait comme un mage autour de qui flottait une aura d’ésotérisme. Il a publié au moins quinze traités sur ses recherches et inventions, aussi bien sur la trigonométrie et la perspective que sur différents types d’horloges. Son Bellicorum instrumentorum liber, figura et fictitys litoris conscriptus (Livre d'instruments De Guerre Illustré et Crypté [en partie]), contient quantité d’inventions aussi diverses que des pompes, des moteurs de levage, des tours de défense, un oiseau propulsé par une fusée, une lanterne magique, un vélo mu par une corde entrainant la roue par engrenage (pignons). Il doit son surnom de della Fontana à ses inventions de fontaines. Dans son « Secretum de thesauro experimentorum ymaginationis hominum", Fontana étudia les différents types de mémoire et expliqua les fonctions de la mémoire artificielle. Il propose des dispositifs de mémoire et des "machines", ayant une structure fixe (roues, spirales, cylindres) et une partie mobile et variable permettant de changer les combinaisons de signes au sein de ce système, une réalisation du rêve lullien par un ingénieur. » (https://history-computer.com/Dreamers/Fontana.html).
L’hermétisme, qui est souvent synonyme d’occultisme, d’ésotérisme ou encore d’alchimie, tire son nom d’Hermès Trismégiste, Hermès Trois Fois Grand. La fonction Hermès Trismégiste est analogue à celle du dieu égyptien Thot que les grecs avaient assimilé à leur dieu; Tout deux sont conducteurs des âmes. Dieu ou être déifié, on lui attribue traditionnellement l’invention des sciences (médecine, astrologie, alchimie). Particulièrement vénéré dans l’Égypte romaine, Clément d’Alexandrie évoque à son sujet les processions cérémonielles de milliers de ses ouvrages qui, de son temps (2èmes.ap.J.C.), avaient lieu.
L’hermétisme dit alexandrin (d’Alexandrie) est apparu dans les tout premiers siècles après J.C. au moment de la résurgence à Rome de l’École Néoplatonicienne (apparue à Athènes au 5ème av.J.C.s.)dont Plotin (205-270), Porphyre de Tyr (243-305), Jamblique (250-330) furent les représentants les plus importants. Les deux doctrines sont étroitement liées. Lactance (250-305) qui faillit être un père de l’Église, et par la suite Saint Augustin (354-430) ‘christianisèrent’ l’hermétisme, voyant en Hermès Trismégiste, qu’ils faisaient vivre bien avant la Grèce hellénistique, un annonciateur du nouveau Messie.
En ce même début de notre ère, apparaît en Égypte, l’L’Alchimie qui apporte aux spéculations philosophico-cosmiques des hermétistes et des gnostiques une pratique et une ascèse sur le travail du feu.
«Le Corpus Hermeticum a été écrit aux IIe et IIIe siècles. Il s’agit d’une collection de dix-huit traités (I-XVIII) …[Dans] le premier [numéroté I] de ces dix-huit traités, il s’agit de la création du monde, tandis que le reste est consacré à l’ascension de l’âme à travers les sphères célestes et ses séjours divins, un processus censé provoquer la régénération de l’être humain… On y joint l’Asclépios (connu à l’origine en grec sous le nom de Logos Teleios et traduit en latin au IVe siècle), qui fut attribué faussement à Apuleius de Madaura. L’Asclépios a survécu dans une ancienne traduction latine (la version originale grecque n’a jamais été trouvée), dont une grande partie en copie copte n’a été retrouvée qu’à la fin du XXe siècle, dans la bibliothèque de Nag Hammadi. » (Thomson Gale: Environment Encyclopedias almanacs transcripts and maps Hermetism).
L’Asclépios prophétisait la fin de la domination grecque en Égypte et le retour à la Tradition.
Ce Corpus Hermeticum, désigné sous le nom des Hermetica, comprend donc :
L’Hermès Trismégiste a été connu tout au long du Moyen-Âge, de Saint Augustin à Albert le Grand. L’un des premiers à y faire référence dans la première moitié du XVème siècle est le néoplatonicien et zoroastrien Gémiste Pléthon qui enseignait dans le grand centre culturel de Mistra (Péloponnèse).
En 1471, les publications des travaux de Marsile Ficin marquent le début du renouveau de l’hermétisme. Une publication de ce corpus hermétique par Lefèvre d’Étaples avec ses propres commentaires paraitra en France en 1505. La traduction en français des trois ouvrages paraîtra en 1549. En 1579, l’évêque François de Foix publiera une traduction en français du Pimandre.
Le fort regain d’intérêt pour la science hermétique prit à la Renaissance une orientation nouvelle ou plus exactement une de ses orientation prévalut, « celle centrée sur l’Un-Tout, la divinisation de l’esprit, les correspondances, l’alchimie mystique » (https://my-definitions.com /fr/definition/hermétisme.) Les œuvres d’Hermès Trismégiste sont vues et lues comme des préfigurations des doctrines chrétiennes « tant elles ont pénétré dans le secret de la divinité et semblent célébrer (les) dogmes chrétiens. » Pour Ficin « Mithra, Ormuzd, Ahriman ne sont que les trois principes que Platon nomme Dieu, esprit et âme. » (M.Gandillac in Hist. Philo. Ren. Op. Cit).
Lefèvre d’Etaples, Symphorien Champier, l’évêque François de Foix de Candale (†1594), le poète de la Pléiade Pontus de Tyard (1521-1605), Giodano Bruno, Thomas More, John Colet sont selon Frances Yates parmi les plus connus des auteurs Renaissants relevant d’un « hérmétisme religieux ».
L’astrologie était déjà très vivante dans leq siècles précédents. Certaines villes comme Florence avaient leurs astrologues attitrès.
« Du quatorzième au seizième siècle, les universités ont même à côté d’astronomes proprement dits, des professeurs spéciaux qui sont chargés d’enseigner cette science mensongère… la plupart des papes ne font pas mystère de l’habitude qu’ils ont d’interroger les étoiles… aussi y avait-il infiniment plus d’astrologues en Italie que dans le reste de l’Europe, où on ne les trouve que dans certaines cours importantes… Dans l’entourage de Laurent le Magnifique, parmi ses platoniciens les plus éminents, les avis étaient partagés à cet égard... Pic de la Mirandole fait vraiment époque dans cette question par sa réfutation des erreurs astrologiques…mais d’autres académiciens étaient adonnés à l’astrologie. « (Jacob Burckhardt, La Civilisation de la Renaissance en Italie. Extrait de l’Encyclopédie de l’Agora).
La position de Ficin face à l’astrologie a pu être contestée, entre autres par J. Burckhardt[6] qui ne portait pas cette science (sacrée) dans son cœur. Mais il ne semble pas faire de doute que, dans son souci de mener une vie harmonieuse, l’auteur de De Vita Sana ait porté un intérêt certain à l’influence des planètes sur la santé. Il pensait que leur étude menait l’homme à son « génie naturel ». Dans son In Astrologiam, Pic a une position totalement opposée à celle de son ami, déclarant que « plus grand sont les miracles de l’esprit que ceux du ciel » (des astrologues).
L’al-chimie de l’arabe al-kimiya est souvent considéré de nos jours comme une pratique sinon une science, qui conduira à la chimie moderne en ce qu’elle travaille sur les métaux et les sels en vue de leur transformation (transmutation). Ce n’est qu’au XVIIIème siècle qu’elle sera distinguée de la chimie.
L’alchimie apparaît en Égypte au début de notre ère. Elle apporte aux spéculations philosophico-cosmiques des hermétistes et des gnostiques une pratique et une ascèse basées sur le travail du feu. Elle va orienter les connaissances sur la fusion et les alliage des métaux par le feu- jusqu’alors utilisées dans la métallurgique et l’orfèvrerie- vers la recherche d’une transmutation de ces métaux et des pierres précieuses à des fins de santé et d’harmonisation, corporelle, morale et spirituelle:
« L’alchimie enseigne le moyen de réparer les corps des métaux, des pierres précieuses et des hommes. Ce moyen est la semence métallique qui se multiplie à l’infini, c’est la nature qui fait tous les œuvres, mais l’art lui donne la matière (Nicolas de Grosparmy, Abrégé de Théorique, Livre 1).
La base théorique est la conception d’une matière universelle et première, la materia prima de laquelle toutes les autres formes de matières seraient dérivées. Ce qui induit la théorie d’une correspondance universelle qui voudrait que tous les éléments de la nature soient reliés entre eux par des forces physiques et/ou subtiles (occultes). Cette pratique qui devint une véritable ascèse pour l’alchimiste émergeait des courants hermétistes, gnostiques et néoplatoniciens qui lui étaient contemporains; Et dans ses extensions spirituelle comme eux, elle imprégna la nouvelle religion chrétienne.
«Il n’y a pas de différence essentielle entre la Naissance Éternelle, la Réintégration et la découverte de la Pierre Philosophale. Tout étant issu de l’unité, tout doit y retourner de semblable façon » (Jacob Boehme De Signatura Rerum )
Il a toujours existé deux alchimies, physique et spirituelle, qui n’en sont qu’une. L’alchimie de l’athanor travaillant à la transmutation du plomb en or et à la découverte de la pierre philosophale, et l’alchimie spirituelle travaillant sur leurs symboles dans une démarche intérieure.
L’Œuvre est la transmutation des métaux en or; L’Élixir de Longue Vie, une médecine universelle; La Réintégration, l’élément de régénération du cosmos tout entier.(cf. R.Ambelain, L’Aclchimie Spirituelle Édit. La Diffusion Scientifique 1974)
« Le Grand Œuvre a par suite une triple but: dans le Monde Matériel, la Transmutation des métaux pour les faire arriver à l’or, à la Perfection; dans le Microcosme, le perfectionnement de l’Homme moral; dans le Monde Divin, la contemplation de la divinité en Sa Splendeur. » (A.Poisson cité par R.A. Cit.)
Arnaud de Villeneuve (1235-1311), Raymond Lulle (1232-1315), Nicolas Flamel (vers 1330/40-1418), sont des noms connus pour avoir travailler au Grand Œuvre.
Au XVème et XVIème siècles, l’alchimie connut une grande vogue. Nobles, roturiers aisés et même membres du clergé voire des empereurs germaniques cultivaient eux-mêmes l’art du feu. Certains alchimistes ont marqué cette période tels Grosparmy, Paracelse, Corneille Agrippa.
Nicolas Grosparmy, Nicolas Valois et Pierre Vitecoq ont travaillé ('labouré') de concert au Grand Œuvre. Tous les trois sont auteurs d’ouvrages hermétiques entre 1440 et 1450. Entre 1444 et 1449, Nicolas de Gorsparmy[7], seigneur puis baron de Flers écrit les Lettres des Grands Secrets des Secrets (ou Trésor des Trésors). Selon M. Alfred de Caix, il s’agirait de la traduction du Clavis Majoris Sapientiae, que le chimiste français M.E. Chevreul (1786–1889) attribue à Artefius[8]. Grosparmy pratiquait l’alchimie assisté de Nicolas de Valois et de l’abbé Pierre Vicot (ou Vitecoq). « Ils « labouraient » à Flers et réalisaient le Grand Œuvre, l’an 1420 » (Fulcanelli, Les Demeures Philosophales Pg35).
Il semble incontestable quelles que soient les erreurs chronologiques d’annotations sur les manuscrits transmis des ouvrages de Grosparmy, qu’il soit l’auteur de l’Abrégé de Théorique achevé le 29 décembre 1449. Valois a écrit les Cinq Livres (ou Le Livre des secrets); Le manuscrit porte la date de 1444.
Théophraste Bombastus, Comte de Hohenheim, dit Paracelse (1493-1541) a rajouté à son nom d’emprunt celui d’Aurélien (de aurelus : d’or). Sa mère est l’intendante de l’hospice de sa ville natale, Einsiedeln en Suisse (canton de Schwyz). Son père Guillaume, petit noble qui a quitté le Bade-Wurtemberg de ses ancêtres, est médecin et alchimiste. Théophraste suivra ses traces.
En 1502, il professe à Villach (Sud-Autriche) dans une école fondée par les banquiers Fugger. Puis, il est fait docteur en médecine, à Vérone (selon Koyré) ou à Ferrare (selon Gandillac). il exerce d’abord comme médecin des mineurs des mines appartenant à cette grande famille richissime des Fugger, avant d’aller travailler lui même dans les mines argentifères d’Innsbruck où un des fils Fugger pratique l’alchimie. Il écrira par la suite un traité sur les lésions pulmonaires.
En 1517, il est chirurgien militaire. En 1519, il visite les mines de fer de Suède. Toujours mêlé au peuple, aux travailleurs, en habit de travail, emportant toujours avec lui ses instruments de Spagiriste[9], entouré d’élèves, il parcourt l’Empire, de Strasbourg à Bâle où Érasme lui obtient une chaire à l’université en 1527, qu’il devra abandonner l’année suivante sous la pression de l’hostilité de ses confrères ; de Ratisbone à Innsbrück en passant par Saint Gall (1531), pour se trouver en Moravie, en Bohême, puis à Vienne en 1537-38 où il écrit sa Grande Astronomie. Retour à Villach. Il meurt à Salzbourg en 1541 d’un cancer du foie (?) ou d’une fracture de l’os temporal(?)[10]
Paracelse aura mené une vie itinérante, « encombrée de légendes ». Homme parfaitement intègre, indépendant, refusant toute compromission, il suscita autant d’admiration que d’hostilité. Souvent traité de charlatan autant que de génie. Vu comme cabaliste, panthéiste, néoplatonisant ou homme penché sur la souffrance de l’humanité, ayant une nouvelle conception de l’homme, de la vie, de l’univers, il fut adversaire d’Aristote, de la médecine de Galien et d’Hippocrate, et comme Symphorien Champier de la médecine venue « du désert » (musulmane).
Paracelse fait preuve d’une grande originalité en étiologie ; par exemple au sujet de la syphilis ou du « mal des mineurs ». Il innova totalement en ce qui concerne l’approche psychologique des maladies. Certains le diront précurseur de la science moderne.
D’une inextinguible soif de connaissances sur l’homme, le monde et de savoir des sciences de son temps, nous le qualifierions aujourd’hui « d’homme de terrain ». Un praticien, un empiriste. toujours à l’écoute des gens du peuple et de leur savoir transmis de générations en générations, curieux des pratiques populaire.
« Un esprit profondément chrétien qui aurait prêché une religion évangélique très pure et très élevée, une religion mystique sans clergé, sans dogmes ni rites? Ou un chrétien qui serait resté fidèle à son Église et aurait préféré le catholicisme aux Églises protestantes? …L’astrologie et l’alchimie étaient les fondements mêmes de sa science…Génie barbare mais génie quand même ». (A.Koyré Op. Cit)
Ce n’est pas chez les humanistes du Nord ni de Florence qu’il a lus, qu’il nourrit son sentiment de la nature. Pour ce philosophe naturaliste,
« la nature n’est ni un système de lois ni un système de corps régi par des lois. La nature, c’est cette force magique et vitale qui, sans cesse, crée, produit et lance dans le monde ses enfants… Pour Paracelse comme pour les Renaissants, la nature est magique parce ce que la magie est naturelle ».
L’univers comme l’homme a une part visible, le corps et une part invisible, l’âme, le Gestrin ou l’Astrum pour l’univers. Et de même, dans tout élément de la nature, vivant ou inerte, il existe une âme invisible. Cette âme de l’univers s’exprime par les positions planétaires. Et de même que les astres agissent sur notre corps en tant que corps célestes, ils agissent sur nos états d’âmes par leur Astrum ou Gestirn incorporel. Une autre entité peut agir sur nos âmes, l’evestrum, le corps astral des âmes défuntes. Il ne s’agit pas des ombres (Shatten), des larvæ, « images flottantes de la vie passée, qui reviennent [revenants] hanter par ‘mécanisme’, habitude, les lieux où le corps animé a séjourné. [Mais de] L’evestrum, centre de force et de pensée, peut agir et peut traverser à une vitesse extrême les régions les plus éloignées et permet aux vrais mages de communiquer entre eux[11] ».
Cornelius Agrippa (1486-1535) enseignait quelques chose d’analogue.
Sa médecine intègre les savoirs et pratiques populaires sur les plantes, les ‘remèdes de bonnes femmes’. « Il a étudié les antiques légendes susceptibles de l’éclairer sur les phénomènes de la nature, la forêt, les entrailles de la terre, les eaux souterraines. » (E. Bloch, La Philosophie de la Renaissance Édit. Payot 1994).
A pertir de quoi, il a mis au point une nouvelle médecine dite chimiatrie ou iatrochimie. Elle est basée sur deux idées : Tout d’abord l’idée que l’organisme fonctionne selon des processus chimiques tels que la fermentation, la distillation, la vaporisation, processus que l’on retrouve dans le processus alchimique. Ensuite sur l’idée que la pathologie est la manifestation d’un déséquilibre entre l’homme et son environnement, entre le microcosme et le macrocosme.
La doctrine de Paracelse pourrait se résumer à la devise hermétique: « Omnia ab uno, et in unum omnia (Toutes les choses sont unes et tout est en un) ». Et l’on pourrait ajouter on ne peut plus justement avec l’humoriste Alphonse. Allais « et inversement ». Autrement dit, la correspondance est totale entre le monde extérieur et le monde intérieur, entre le monde d’en-bas et le monde d’en-haut. Ce que la formule hermétique traduit par « Ce qui est en haut et en bas et ce qui n’est pas en haut n’est nulle part. »
Médecin-philosophe, Paracelse a une conception originale de la maladie, qu’il faut entendre en un sens très large, non seulement somatique mais aussi psychologique. Il est à l’origine de cette notion moderne de la maladie « psychosomatique ». Pour lui, la maladie est
« un être organique ayant accédé à tort à l’autonomie, tout à la fois une entité parasitaire au plan organique et un complexe psychique rendu autonome au plan psychopathologique. Guérir, c’est réintégrer le cours naturel de la vie. Se guérir, c’est guérir aussi le monde ou plus exactement participer à la guérison du monde, à son perfectionnement qui est en cours de façon permanente. »
Plus encore par la magie sous toute ses formes, l’alchimie, l’astrologie, l’homme peut agir directement sur la nature pour mener la nature à son perfectionnement. L’homme de Paracelse est prométhéen. Paracelse croit au perfectionnement possible de la créature de Dieu par elle-même, en un homme nouveau. Pour cela, l’homme doit faire appel à toutes ses potentialités, à toutes ses facultés et en premier lieu à son imagination créatrice.
« L’homme doit avoir une confiance illimitée dans la puissance humaine et la perfection cachée de la nature ».
Cette conception d’un homme nouveau aurait donné à Paracelse son idée de l’homunculus généré dans l’athanor. (Voir la notion de l’embryon d’or et de l’éternelle jeunesse dans l’alchimie chinoise). Pour son Faust, Gœthe s’est profondément inspiré de Paracelse[12].
Paracelse se sert de l’astrologie et de l’alchimie dans l’analyse des facteurs de la maladie. L’astrologie en ce que les planètes agissent sur le corps et déterminent chez le malade (pour emprunter un terme à la médecine homéopathique) son terrain. L’alchimie en ce que la présence des trois éléments hermétiques fondamentaux, souffre, mercure et sel, selon leur dissolution, condensation, vaporisation déterminent les effets de la maladie. Sa thérapeutique est basée sur le principe de similitude et de la prescription du mal lui-même comme cela se pratiquera plus tard avec la vaccination.
« Selon Paracelse, la langue adamique, en nommant les choses du monde, aurait laissé sa signature jusque dans la morphologie des plantes, et cette signature permettrait de connaître les propriétés médicinales de ces dernières, comme l’illustre l’euphraise officinale, anciennement appelée ophthalmica, qui présente un motif en forme d’œil et qui permet de soigner les maladies oculaires ». (http://www.revuecygnenoir.org/numero/article/mysteres-art-memoire-semiotique#footnote17_ourqatm, Emmanuelle Camacco, Des mystères de l’Art de la Mémoire aux mystères de la sémiotique)
Paracelse prononça une phrase demeurée célèbre: « Tout est poison, rien n’est poison », voulant indiquer par là qu’il n’y a de poison que par la dose que l’on en ingurgite, et qu’au contraire l’absorption d’une dose appropriée, non létale, peut faire du poison une médecine.
Pour Paracelse, l’imaginatio est l’intelligence créatrice de l’homme.
« L’âme est une source de force qu’elle dirige elle-même en lui proposant par son imagination le but à réaliser » (Paracelse).
« L’âme pense quelque chose, s’attache à cette pensée, en forme l’image, la désire… et sa force plastique et formatrice s’y ‘’introduit’’ comme dans un moule… et imprime au corps l’image conçue par l’imagination… L’image est le corps de notre pensée, de notre désir…L’imagination est l’expression par une image d’une tendance de la volonté…[elle] est la force magique par excellence…L’image produit par l’âme est un produit naturel, organique du corps astral de l’âme… l’âme enfante des pensées, des désirs, leur donne par l’imagination un être suis generis, ce n’est pas encore un être réel ; par elle… les idées que nous concevons deviennent des centres de forces qui peuvent agir et exercer une influence. Ce sont dans le Gestirn de petits centres d’action, de petits êtres magiques ne créant pas au sens fort du terme… L’âme confère à l’image une sorte d’existence magique, indépendante…c’est exactement de la même manière ‘’en l’imagination’’ que Dieu a créé l’univers…La notion de l’imagination, intermédiaire magique entre la pensée et l’être, incarnation de la pensée dans l’image et position de l’image dans l’être est une conception de la plus haute importance qui jour un rôle de premier plan dans la philosophie de la Renaissance. » (A.Koyré, Op.Cit.)
La méthaphore de la semence était chose courante chez les prédécesseurs de Paracelse. Les stoïciens ont systématisé cette notion des semences des ‘logoi spermatikoi’: « le principe actif de l’univers est spécifiquement séminal, unifiant le rôle de la force motrice et celui de l’origine de l’existence. »[13] Cette théorie se retrouvent chez les néoplatoniciens et les premiers Chrétiens jusqu’à Saint Augustin qui parle des rationes siminales , de primordia semina ou du principium simenale. Cette théorie a été ainsi transmise aux philosophes du Moyen-Âge et notamment à Albert le Grand, mais avec nettement moins d’impact chez les scolastiques que l’aristotélisme et la notion de pneuma, souffle pouvant être à l’origine de la vie, esprit (saint). Elle eut plus de succès chez les alchimistes dont la pensée analogique leur fit appliquer le concept de semence à la formation des métaux. Pour eux, les deux semences premières étaient le soufre, principe mâle et le mercure, principe femelle, qui composaient une matière première bien concrète dans l’athanor. A noter que la croyance en la croissance des minéraux était très répandue au Moyen-âge et à la Renaissance. La théorie des semences reprit force à la Renaissance. M. Ficin emprunta d’ailleurs pour sa consmogonie la notion de semences génératrices à Plotin.
Le concept de semence tient une place privilégiée dans la philosophie du « médecin tudesque ». Son originalité est d’avoir associé le concept de semence à son l’hylozoïsme, théorie qui remonte aux temps présocratiques et selon laquelle tout être est doté d’une vie, la matière dite inerte comme les êtres dit vivants. Il a ainsi généralisé la théorie des semences la rapportant aux êtres inorganiques en tant qu’alchimiste mais aussi aux maladies (étiologie) en tant que médecin et aux activités mentales (passion, volonté, raison). Aux deux semences primordiales, soufre et mercure, Paracelse a ajouté le sel (théorie des tria prima) :
« Forces invisibles et spirituelles, ces tria prima sont les véritables principes des choses naturelles. » Chaque chose de la nature est composée de ses propres soufre, mercure et sel. « Le sel donne toutes les couleurs, la coagulation, le baume; le soufre le corps, la substance, la construction; le mercure, les vertus, les forces et les arcanes ». (Jean-François Gibert, Henri Coton-Alavart, La doctrine spagyrique de Paracelse, Édit. Le Mercure Dauphinois, 2015)
Ces trois principes dont les noms sont symboliques ne sont pas les choses elles-mêmes mais ils leur donnent naissance. De même, les éléments naturels (eau, air, feu, terre) sont les matrices des choses naturelles ; l’eau étant le premier des élément créés par Dieu et contenant les tria prima. Dans la hiérarchie des éléments, l’eau est la matière ultime parce que materia prima. La materia ultima étant l’état primordial et parfait que doit réintégrer toute chose créée.
Pour Paracelse, Dieu est éternel et éternel « centre de force, qui se développe, s’extériorise, s’épanche » (A.Koyré). L’univers grossier qui est le notre n’est pas éternel. Créé, il disparaitra, et Dieu exprimera un autre monde. (voir la notion de cycles dans la tradition hindouiste). Du Mysterium Magnum qui pourrait être ce « centre incréé du monde d’où tout d’écoule » (les termes utilisés par Paracelse non pas toujours la même signification) émerge ou émane l’Yliaster, la materia ultima-prima, création principielle du monde qui contient les tria prima[14], le Gestrin. L’Yliaster que Paracelse décrit comme « tenu, subtil » est « impalpable, invisible mais il est sur la voie qui mène aux éléments. Il est déjà la première condensation ou coagulation » (Koryé). Ce développement ou déploiement ne peut pas ne pas évoquer le déploiement des 26 tattvas (principes) du Samkya dans la tradition hindouiste.[15]
L’œuvre de Paracelse est toute rédigée en dialecte alémanique qui était parlé et écrit en Allemagne du Sud, en Suisse dite allemande et en Alsace, et non en dialecte germanique. Paracelse use d’une langue familière, colorée, dynamique dans un style élémentaire encombrée de digressions et d’une surabondance de termes techniques souvent en latin (langue qu’il n’utilise qu’à cet occasion) ce qui est une vraie originalité pour l’époque. Ses écrits ont connu un retentissement considérable et leur influence fut forte. Sa production est énorme: 14 volumes de médecine, de magie; 5 volumes d’écrits moraux, politiques et théologiques (C. Gandillac Op. Cit.).
Ces textes sont groupés sous des titres comme l’Opus Paramirum (1520>25>31), De Mineralibus (1526>27), l’Opus Paragranim (1529), De Natura Rerum, De Signatura rerum naturalium, De Generatione Stultorum, Spiltalbusch (1529, condensé de ses observations cliniques), Astronomia Magna (1538). Les traités médicaux traitent de maladies comme la goutte, l’hydropisie, les maladies tartriques, la syphilis, l’épilepsie, les maladies invisibles (psychologiques, 1531>32).
Nombre d’auteurs hermétiques se sont revendiqués de Paracelse. Nombre de textes lui sont attribués à tort comme cela été aussi le cas pour R. Lulle.
Agrippa de Nettesheim[16] (1486-1535), issu d’une modeste famille de petite noblesse de Cologne, commence sa vie par des études de droits et de médecine dans la ville d’Agrippine. Vie qui sera aussi itinérante que celle de son cadet Paracelse.
En 1506, il fait partie des jeunes humanistes qui gravitent à Paris autour de Lefèvre d’Étaples. On le retrouve en 1508 dans les Pyrénées, assiégé dans un château par des paysans révoltés. Il pérégrine de l’Espagne à Lyon en passant par Avignon. Un an plus tard, il est à Dole (Jura, Germanie) où il commente Reuchlin et dédie à Marguerite de Bourgogne (†1530), régente des Pays-Bas, De la Noblesse et Précellence du Sexe Féminin dans lequel son intérêt se porte sur la valeur des noms, révélateurs de la nature de ce qu’ils désignent, ainsi Ève (la vie) n’a pas été entachée par le péché contrairement à Adam (la terre). Il défend le rôle géniteur de la mère jusqu’à évoquer sa possibilité d’enfanter par parthénogenèse. Il relève l’importance des femmes dans la Bible.
En 1509, il se rend en Angleterre auprès de l’humaniste J. Colet (1467-1519) qui, ami d’Érasme et de More, enseigne le grec à Oxford. Il rejoint ensuite l’ésotériste Trithème[17] à Wurtzburg qui l’initie aux « choses chimiques, magiques et kabbalistiques ». Retour d’Angleterre, il revient à Dole où il enseigne la théologie.
En 1511, il siège au Concile de Pise en tant que théologien[18]. Puis il se rend à Pavie où il donne des cours sur le Trismégiste. En 1515, il enseigne à Turin. Il écrit le Philosophie Occulte, « mélange de physique aristotélicienne et de thèmes présocratiques dans lequel le feu est principe actif et la terre principe passif »; et aussi le De Triplici ratione Cognoscendi Dei (des Trois Moyens de Connaître Dieu), celui des Gentils, connaissance du mouvement créateur, celui des juifs, connaissance des secrets celés dans les livres d’Esdras de la Bible Hébraïque (Tanakh) et celui de l’Esprit saint révélé par la grâce.
Il revient ensuite à Pavie avec sa femme qu’il perdra quelques années plus tard. Il y commente le Banquet au gymnasium de Pavie et le Pimandre d’Hermès Trismégiste (que Ficin avait traduit), faisant d’Hermès le petit-fils d’Abraham, annonciateur comme pour les humanistes florentins du XVème siècle, du christianisme
En 1518, certaines sources le mentionne comme avocat en la ville de Metz, d’autres entrant au service de l’empereur du St Empire Maximilien 1er d’Autriche (†1519) comme ingénieur des mines puis comme capitaine dans la guerre contre Venise.
Il écrit De Originali Peccato dans lequel il reprend le thème de la mère et de la vierge à propos de St Anne. Il dit « avoir gaspiller son temps à ‘scruter la nature’ et veut se consacrer aux Saines Écritures». Il donne une interprétation toute symbolique de la Genèse dans laquelle une large place est faite à la sexualité du serpent, représentant le phallus et à Adam qui a « offert son membre viril à Ève »; Concupiscence qui s’efface dans la descendance d’Abel jusqu’à Anne et Marie. « Agrippa revient à la physiologie aristotélicienne pour justifier que le péché se transmet par l’homme seul…. De Peccato se termine par une éloge ardent de la chasteté. » A noter que Agrippa s’est très vite remarier avec une fille qu’il décrit comme « noble et belle » et qui lui donne quatre enfants.
En 1520, il est de retour à Cologne où il hérite du manuscrit du Stéganographe de Trithème (†1516).
En 1522 et 1523, il vit à Berne, Genève, Fribourg. Il suit le mouvement des réformateurs et suit la montée en puissance de Luther dont il veut une entente avec Érasme.
En 1524, Marguerite de Navarre[19], sœur de François 1er, l’appelle à Lyon où il reste quatre ans. Il écrit De Sacramento Matrimoni, dans lequel, la chasteté et le célibat ne revêtent plus qu’un caractère exceptionnel.
Dans De Vasanitate Scientiarum , il dénonce toutes les sciences. Les savoirs n’aident pas au salut des âmes et ne permettent pas la connaissance divine, trop de sujets au relatifs et matière à dispute. Leur multiplicité est la preuve de leur impuissance. Il met au même plan les arts qui ne sont que sujets à idolâtrie, qu’illusion, vaine dépendance face à la misère du peuple. Mais sans pour autant se détacher de son ésotérisme. Il s’en prend à ceux qui veulent user d’une science occulte qu’ils ne maitrisent pas et créent « des monstres d’hérésie », et dont l’art reste bien faible à côté des Zoroastre, Hermès et Salomon. Il n’en continue pas moins de rattacher la Kabbale à des origines mosaïques et évoque le Christ enseignant les «hauts mystères » aux «Parfaits ».
Démocrate comme nous l’entendrions aujourd’hui, il rejette les puissances de l’argent, méprise les gens de cour, se montre plus favorable aux travaux des champs dans une vision bucolique qu’aux métiers du textile et plus favorable aux paysans qu’au bourgeois. Il s’en prend aussi aux médecins charlatans aussi bien qu’à la vénalité et la fourberie des gens de robe. L’Église n’échappe pas à sa critique, qu’il juge corrompue, croulant sous la pompe, encombrée d’idolâtrie, et rappelle à la pauvreté franciscaine.
Pour autant, il prône la diversité des cultes. Il reproche à la scolastique d’être devenue « un mélange de discours divins et de raisons philosophiques » et de s’empêtrer dans des distinctions oiseuses en accusant les successeurs de Duns Scot d’être des « trafiquants du Verbe ». Il est pour un retour à
« l’ancienne « théologie interprétative », c’est-à-dire non seulement la quadruple herméneutique (littérale, tropologique [figurée], morale et anagogique [spirituelle]) et pour l’exposition « typique » (où excellèrent Joachim de Flore et Savanarole) qui tire de l’Écriture l’annonce du changement des temps et la mutation des règnes, et [pour] l’exposition « physique et naturelle » des textes sacrés qui découvre les forces à l’œuvre dans le monde sensible. »
Le De Vaniate se termine par une apologie de l’âne (de l’idiot) « dont on trouvera l’écho presque littéral chez Nietsche au dernier champ de son Zarathoustra. » Sur le thème de l’idiot, autrement dit du pauvre en esprit qu’il oppose aux doctes savants, Agrippa aborde le thème plotinien de la chute et de la réminiscence, du réveil et de la lumière.
En disgrâce à la cour de François 1er, il se range en 1527 aux côtés de Charles Quint (†1558), qui, en 1519,a succédé à Maximilien 1er sur le trône impérial. Il quitte Lyon pour Paris, puis se rend à Anvers en 1528 où sa nombreuse famille et sa domesticité ne le rejoindront qu’un an plus tard faute d’argent. Il pratique la médecine avec succès mais sa femme meurt de la « fièvre pernicieuse ».
Sa renommée est telle qu’il est demandé à la cour des rois et des princes. En 1530, il choisit d’entrer au service de Marie d’Autriche (de Hongrie)[20], demi-sœur de Charles-Quint pour le compte de qui elle a longtemps été régente des Pays-Bas des Pays-Bas. Elle fera nommer par son demi- frère, agrippa son archiviste-historiographe. Elle mourra la même année que l’empereur.
Il remanie son Occulta Philosophia avec l’aide du manuscrit de Trithème, et y ajoute un troisième livre dans une ultime tentative de conciliation de la cabbale, des mystères antiques et de la religion. Il s’y rapproche des néoplatoniciens Philon d’Alexandrie (†45), Plotin (†270), Jamblique (325) en qui il voit une approche de la Trinité, et se rapproche de même « des prêtres de l’Inde ». Quant aux héros païens, ils « coopèrent maintenant au salut du genre humain ». De cet ouvrage, il ne tirera que des déboires en devant se retirer après un passage dans les geôles de Bruxelles pour dettes [21], dans sa ville natale de Cologne où il adhère ouvertement aux thèses de Luther. Il retourne malheureusement à Lyon où il est enfermé sur ordre de la reine mère, Louise de Savoie († 1531). Les derniers moments de sa vie sont mal connus. Il serait allé ensuite en 1533 (ou 1535) à Grenoble où il serait mort dans un hôpital en 1535.
Comme pour tous les ésotéristes de son époque, la magie naturelle d’Agrippa repose sur la loi de similitude (un cerveau aide un cerveau, un œil de grenouille rend la vue claire au chassieux). Il sait les sympathies et les antipathies entre les plantes, les minéraux et les astres (la reine mère lui demanda de dresser le thème natal de son fils François 1er). Il adhère à la symbolique qui fait de l’un le symbole, selon les plans, de l’essence divine, de l’âme humaine, du soleil, de la pierre philosophale, du cœur, et dans les enfers, de Lucifer. Il voit en l’homme « l’image » parfaite du cosmos et la « similitude » de Dieu lui-même.
Notes
[1] Édit La Diffusion Scientifique, Paris 1974
[2] Jâbir ibn Hayyân (721-815), né en Iran, mort en Irak, connu dans l'Occident médiéval sous le nom de Geber, était considéré comme le premier alchimiste. Il est l'auteur de centaines de traités dont une grande partie sur la chimie. L'anglais Robert de Chester a traduit en 1144 son 'Kitab Al-kîmiâ' (Livre de la Chimie) qui sortira le mot alchimie. Il est le père de l'expérimentation. A rappeler que Alchimie vient de Al Kémia qui signifie la Terre Noire et que Kem est le nom donné sous l’antiquité à la terre d’Égypte.
[3]Emmanuelle Camacco, Des mystères de l’Art de la mémoire aux mystères de la sémiotique, http://www.revuecygnenoir.org/numero/article/mysteres-art-memoire semiotique#footnote17_ourqatm
[4] Pour les informations biographiques, la disposition du Théâtre et en savoir plus voir B. Scheffer, l’Idea del Theatro dell’Eccelent M.Giulio Camillo (Florence, 1550 (Le Théâtre de la Mémoire), Édit. Allia 2007, traduction Eva Cantavenera et Bertrand Scheffer.
[5] Ce projet est largement inspiré du moyen mnémotechnique de l'antiquité, qui pour l'orateur consistait à mémoriser des lieux en rapport avec ce dont il devait se souvenir dans son discours. Le rhéteur latin Quintilien (1er s.a.j.c.) préconisait de visualiser un vaste bâtiment avec des pièces dans lesquelles l'orateur plaçait mentales des images.
[6] Le bâlois Carl Jacob Christoph Burckhardt (1818-1897) a été un historien des arts spécialiste de la Grèce antique et (re)découvreur de la Renaissance. Nourri de Platon et de Hegel, admirateur de l’archéologue et théoricien du néoclassicisme Johann Winckelmann († 1768), il a donné à sa conception de l’histoire de l’art une orientation individualiste qui détache les œuvres de leur contexte historique et culturel pour les reconnaître en tant que telles tout en montrant pourtant combien les formes d’expression d’une période artistique sont liées entre elles. Parmi ses œuvres majeures Cicerone (18§5) et La Civilisation de la Renaissance en Italie (1860). Nietzsche a fortement était inspiré par lui et à travers lui par Schopenhauer.
[7] Alain Garric sur https://gw.geneanet.org/garric? lang=fr&n=de +grosparmy &oc =0&p=nicolas donne Grosparmy « né vers 1450 , marié vers 1480 » ( ?)
[8] Les philosophes musulmans, savants et médecins, Al-Ghazil, Avicennes, Averroès entre autres, vivant à l'époque de notre Bas Moyen-âge, n'ont pas ignoré l'alchimie voire l'ont pratiquée. L'un des plus célèbres alchimistes, musulman ou juif (?), Artéfius, qui vivait dans la première moitié du 12ème siècle a laissé d'importants ouvrages hermétiques que les alchimistes de la Renaissance et du 17ème siècle, dont Francis Bacon, compulseront. Le site Le Miroir alchimique semble attribuer la paternité de l'ouvrage à Grosparmy..
(https://le-miroir-alchimique.blogspot.fr/2011/02/nicolas-de-grosparmy-le-tresor-des.html).
A noter que Fulcanelli nous dit que Chevreul se fia aux fausses chronologies inscrites en marge des manuscrits de Grosparmy.
[9] La Spagyrie désigne l'art de la condensation et de la vaporisation des métaux, base de l'alchimie.Elle désigne aussi une pharmacopée élaborée à partir des trois principes fondamentaux de l’alchimie, le mercure, le soufre et le sel. Le spagyriste est un médecin qui met en pratique les théories hermétiques et prescrit des médecines naturelles en application du principe de similitude. L'homéopathie repose sur les mêmes base que la médecine spagyrique. Le spagyrique est un médicament puissant, onguent armaire, ou onguent des armes qui étalé sur une arme blanche (ou un bois selon Roberto Poma) peut accompagné de quelques prescriptions supplémentaires guérir le blessé à distance. La question avec son dérivé, la Poudre Sympathie, occupa tout les XVIème et XVIIème siècle, jusqu'à Descartes.
[10] Sur la biographie de Paracelse et plus voir M. Gandillac Histoire de la Philosophie de la Renaissance T II Édit.Gallimard 1973
[11] Citations et résumé de Mystiques, Spirituels et Alchimistes du XVIème siècle de Alexandre Koyré, Édit; Gallimard 1971
[12] Citations et Résumé de Paracelse/ La Philosophie de la Renaissance de E. Bloch Édit. Payot 1994
[13] Cf. Hiro Hirai Les 'logoi spermatikoi' et le concept de semence dans la minéralogie et la cosmogonie de Paracelse :
http://www.academia.edu/7962/_Les_logoi_spermatikoi_et_le_concept_de_semence_dans_la_minéralogie_et_la_cosmogonie_de_Paracelse_Revue_
d_histoire_des_sciences_61_2008_245-264
[14] Divergence entre A.Koyré et Hiro Hirai dans l'ordre du déroulement cosmogonique. Koyré fait précéder les Tria prima aux quatre éléments tandis que H.Hirai les fait naître du premier élément créé par Dieu, l'eau.
[15] Voir entres autres Les Strophes du Samkya, Édit. Les Belles Lettres 1964 et La Puissance du Serpent d' A.Avalon, Édit. Dervy-Livres 1977
[16] Citations, biographie et analyses de Maurice Gandillac (Op. Cité)
[17] Johannes von Heidenberg (1462-1516), né à Tritheim, a écrit un livre d'inspiration cabbalistique, Stéganographie, livre codé par stéganographie, l'art de cacher l'énoncé d'une vérité par un autre. On lui attribue à tort le Carré de Vigenère, tableau de lettres permettant un codage par permutation de celles-ci.
[18] Toutes les sources ne mentionnent pas qu’en 1511, il serait entré au service de l’empereur Maximilien1er .
[19] C’est à Lyon, qu’un an plus tard, l’année où serait née la poétesse lyonnaise Louise Labé, que la future grand-mère d’Henri IV apprendra la défaite de Pavie et l’emprisonnement de son royal frère. Son époux, Charles IV de Valois, Duc d’Alençon, prince de sang l’a rejoint cette même année et meurt quelques mois plus tard. Sur Lyon, centre culturel de la premièemoitié du XVIème siècle voir Humanisme Français/Symphorien Champier et Littérature/Poésie Française/ Louise Labé et Maurice Scève.
[20] A ne pas confondre avec Marguerite d’Autriche (†1530), tante de Charles-Quint, qu’elle l’éleva en Flandres et qui fut aussi sa régente aux Pays-Bas, ni avec Marie d’Autriche (†1630), fille ainée de Charles-Quint, épouse de l’empereur Maximilien II, ni avec
[21] D’autres sources indiquent que ce serait suite à une cabale contre La Philosophie Occulte.
Léonce Pilate † 1366
Pétrarque 1304-1374
Boccace 1313-1375
Coluccio Salutati 1331-1406
Niccolo Nicolli 1364-1437
Leonardo Bruni 1374-1444 dit l’Arétin
Poggio Bracciolini dit Le Pogge 1380-1459
Guarino Véronese (ou d’Averona) 1370-1460
Jean Argyropoulos 1395-1487
Francesco Filelfo 1396-1481
Venus de Constantinople :
Batista Guarino 1435-1513
Manuel Chrysoloras 1355-1415
Gémiste Phléton (1360-1452)
Basileus (Jean) Bessarion 1403-1472
Quattrocento :
Lorenzo Valla 1407-1457,
Marsile Ficin (Marsile Diotifici) 1433-1499
Pic de La Mirandole (Giovanni Pico Della Mirandola) 1463-1494
Pomponace (Pietro Pomponazzi, Pierre de Mantoue) 1462-1525
Nicolas de Cues (de Cuse, le Cusain, Krebs ou Krypfs) 1401-1464
Rodulphus Agricola 1443-1496
Johannes Reuchlin 1455-1522
Didier Érasme 1466/67/69 ?-1536/38
Juan Luis Vivès 1492-1540
John Colet 1467-1519
Thomas More 1478-1519
William Blount, 4e baron de Mountjoy 1478-1534
William Grocyn 1446-1519
Jean Charlin de Montreuil 1318-1415
Guillaume Fichet 1433-ca1485
Robert Gaguin 1434-1501
Lefèvre d’Étaples (Jacobus Fabri Stapulensis) 1450-1537
Claude de Seyssel 1450 -1520
Guillaume Budé 1467-1540
Symphorien Champier (c.1472- ca.1531
Ramon Sibiuda (Raymond Sebond, 1385-1436
Juan de Valdès 1499-1541
Francisco de Vitoria 1483-1546
Scolastique : Francisco Suárez 1548-1617
Jean Dorat (Jean Dinemandi Auratus, dit d’Aurat (d’Or) 1508-1588
Jacques Amyot 1513-1593
Pierre de La Ramée (Pierre Ramus) 1515-1572
Michel Eyquem, Seigneur de Montaigne 1533-1592
Filippo Giordano Bruno 1548-1600
Humanisme en Angleterre
Francis bacon 1561-1626
Tommaso (Jean-Dominique) Campanella 1568-1639
Nicolo Machiavelli 1467/69-1527
Claude de Seyssel 1450 -1520
Francesco Zorzi (Francesco Giorgio Veneto) 1466-1540
Yehuda Abravanel (dit León Hebreo, Léon l’Hébreu) 1460 ?-1521
Johannes Reuchlin 1455-1522
Guillaume Postel 1510-1581
Conrad Pellican ou Pellikan (Konrad Kürschner) 1478-1556
Juda ben Yehiel dit Messer Léon 1422-1498
Lullisme : Charles de Bouelles 1479-1553
Art de La Mémoire : Giulio Camillo Delminio 1480-1544
Alchimie 1440-1450 : Nicolas Grosparmy,
Nicolas de Valois
Abbé Pierre Vicot (ou Vitecoq)
Spagyrie : Paracelse (Théophraste Bombastus) 1493-1541
Ésotérisme : Johannes von Heidenberg 1462-1516
Gilles de Viterbe 1469-1532
Corneille Agrippa (Agrippa de Nettesheim) 1486-1535
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